L’art du chant diphonique est connu de longue date, notamment parmi les chanteurs traditionnels de Mongolie. Grâce au Web, il est aujourd’hui possible de découvrir cette technique vocale, et même, de se l’approprier au service de langages musicaux divers.
Ainsi, la chanteuse bavaroise Anna-Maria Hefele présente sur YouTube divers exemples de sa pratique du chant diphonique, allant d’arpèges simples à de véritables mélodies :
https://www.youtube.com/watch?v=UHTF1-IhuC0
On reconnaît à la fin de cette démonstration la mélodie «Sehnsucht nach dem Frühlinge» de Mozart (ici présentée par l’interprète, étrangement, comme une mélodie populaire).
Or, les sons diphoniques (harmoniques naturelles) ne permettant pas l’intervalle de dixième mineure, elle emploie à deux endroits (lors de la modulation à la dominante, puis à la toute fin de la mélodie) des notes fondamentales étrangères à la tonalité (des septièmes degrés abaissés, autrement des notes non-sensibles). De fait, l’air prend ainsi une toute autre couleur... plus proche d’une musique populaire non-occidentale, que du langage tonal classique dont il est en fait issu.
Les temps ne sont plus ce qu’ils étaient. L’homme moderne est entièrement tributaire de médicaments chimiques, de chirurgie robotisée, de psychothérapie et de séminaires de gestion du stress... Que n’avons-nous gardé le savoir de nos ancêtres, qui étaient en mesure de vivre heureux et en bonne santé par la SEULE vertu... des notes de musique ?
Cet exposé (en anglais) du toujours excellent site Skeptoid présente les "fréquences solfégiques" (Solfeggio Frequencies), n-ième avatar de ces pseudosciences qui nous promettent amour, gloire et beauté par des moyens divers -- quoique toujours inspirés, au choix, de mère Nature ou de la Sagesse des Anciens.
Au menu :
- la fréquence 396 Hz (approximativement Sol4), dénommée «UT», est censée nous "libérer de la culpabilité et de la peur"
- la fréquence 417 Hz (approximativement La bémol 4), dénommée «RE», est utile pour "résoudre des problèmes et accompagner le changement"
- la fréquence 528 Hz (approximativement Do5), dénommée «MI», accomplit des "métamorphoses et miracles", ce qui inclue -- quoi que l’on puisse entendre par là -- la réparation de l’ADN.
- la fréquence 629 Hz (approximativement Mi bémol 5), dénommée «FA», est celle de "l’amour, du lien et des relations"
- la fréquence 741 Hz (approximativement Fa dièse 5), dénommée «SOL», sert à "éveiller l’intuition".
- enfin la fréquence 852 Hz (environ Sol dièse 5), dénommée «LA» permet de "restaurer l’ordre spirituel".
Selon les sources, ces fréquences et les vertus leur étant attribuées peuvent varier.
Le nom donné à ces hauteurs trahit le public auquel elles s’adressent : dans les pays anglo-saxon, le modèle do-re-mi-fa-sol-la-ti (baptisé "tonic sol-fa") est utilisé pour désigner des mouvements mélodiques relatifs, tandis que parler de hauteurs absolues l’on se servira plus volontiers de lettres de l’alphabet : A signifie La, B, correpond à Si, et ainsi de suite. Quelques détails supplémentaires se trouvent sur notre page http://oumupo.org/wiki/index.php/Solmisation
Notons toutefois que la série de notes présentée ici ne commence pas par un La mais par ce qui correspond à notre Sol actuel ; c’est que ces notes se réfèrent à des musiques anciennes, où le diapason était plus bas (quoique pas toujours). De fait, certains promoteurs des "fréquences solfégiques" nous fournissent même une théorie du complot pour expliquer la hausse du diapason : elle serait due à des forces obscures œuvrant pour la perte de l’humanité et cherchant à dissimuler jalousement le secret des Fréquences ; d’ailleurs il suffit pour s’en convaincre, de savoir que le La a été standardisé à 440 Hz à l’époque... des nazis.
La série télévisée américaine Battlestar Galactica (2003-2009, d’après une série précédente en 1978) est une fresque de science-fiction emblématique de la première décennie du XXIe siècle. Si les critiques n’ont pas manqué de souligner les sinuosités parfois hasardeuses de son parcours narratif, une large part de sa cohérence stylistique est due sans aucun doute à sa bande son, accordant une large part aux percussions et instruments non-occidentaux (même si le compositeur Bear McCreary ne se prive pas de gestes hollywoodiens plus habituels).
Cependant, au fil des saisons, la musique va au-delà de sa fonction illustrative et tend à faire irruption dans la diégèse même de la série ; elle en vient à jouer un rôle essentiel de résolution des arcs narratifs (d’une façon qui confine au merveilleux, ce qui au passage semble bien pratique pour des scénaristes ne sachant comment terminer leur histoire).
C’est ainsi qu’un motif mélodique, à l’origine pensé comme un riff d’accompagnement pour la chanson «All Along the Watchtower» de Bob Dylan (que les producteurs souhaitaient utiliser à la fin de la saison 3), va progressivement prendre une place prédominante dans le récit.
http://www.bearmccreary.com/wp-content/uploads/2007/12/theme-watchtower.jpg
Après s’être fait entendre furtivement dans des récepteurs radio ou dans l’esprit de certains personnages, le motif apparaît dans son intégralité en compagnie de la chanson, et dévoile ainsi (dans les épisodes finaux de la saison 3) la nature non-humaine de plusieurs personnages importants. (Il faudrait d’ailleurs examiner le sous-texte culturel conduisant à rédiger ce motif dans un mode phrygien "exotique" et à le faire jouer par des instruments non-occidentaux, là où d’autres protagonistes certifiés 100% humains -- blancs pour la plupart -- ont droit à des thèmes mélodiques irlandais ou gaéliques.)
Dans la saison suivante, le même motif se retrouve dans les souvenirs d’enfance et improvisations au piano d’une autre personnage, ce qui là encore donne lieu à de nouvelles révélations.
https://www.youtube.com/watch?v=z-BsOrV80SY
De surcroît, une jeune enfant dessine sur un papier des traces dont on comprend qu’elles constituent une partition sommaire de cette même mélodie.
http://www.bearmccreary.com/wp-content/uploads/2009/02/dots-evolution1.jpg
http://www.bearmccreary.com/wp-content/uploads/2009/02/dots-evolution3.jpg
Enfin, à la toute fin de la série, l’on «découvre» que ces notes, transformées en chiffres, correspondent à des coordonnées spatiales qui indiquent l’emplacement de la Terre (littéralement) promise. On touche ici à un stratagème narratif de deus ex machina...
http://www.bearmccreary.com/wp-content/uploads/2009/03/theme-coordinates.jpg
Le compositeur Bear McCreary fournit sur son site quelques témoignages sur son travail autour de Battlestar Galactica. Au-delà de considérations parfois superficielles ou auto-congratulatoires, il évoque les instruments exotiques mis à contribution (de façon très "world culture", c’est-à-dire entièrement utilitariste et mélangée), et raconte également de quelle façon il a insensiblement substitué sa propre mélodie à la chanson originellement choisie par les producteurs ; ou encore ses différentes propositions pour faire correspondre (a posteriori) un codage numérique à ladite mélodie.
http://www.bearmccreary.com/blog/battlestar-galactica-3/bg3-crossroads-part-ii/
http://www.bearmccreary.com/blog/battlestar-galactica-3/bg4-someone-to-watch-over-me-pt-1/
http://www.bearmccreary.com/blog/battlestar-galactica-3/bg4-daybreak-pt-2/
Dans «Rencontres du troisième type» (Close Encounters of the Third Kind, 1977), des extraterrestres entrent en communication avec l’espèce humaine au moyen de motifs mélodiques, à commencer par un groupe de cinq notes devenu emblématique de ce film.
(À ces cinq notes sont également associés des motifs lumineux et colorés, ainsi que des gestes de la main correspondant à la codification Curwen/Kodály que nous évoquons ici-même)
La «conversation» culmine en un mémorable duo hautbois/tuba basse dû à John Williams.
Que pouvons-nous inférer de ce motif de cinq notes ?
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Les aliens s’expriment en langage tempéré (preuve s’il en est de leur avance technologique, le monde occidental ayant mis plusieurs siècles à y parvenir) ;
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Les aliens attachent beaucoup d’importance à la tonalité majeure (il ne s’agit, après tout, que d’un accord parfait orné)... mais peu importe laquelle (le motif est donné dans de nombreuses transpositions : la M, sib M, do M etc.
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Le rythme, en revanche, semble d’une importance toute accessoire (il est d’ailleurs étrange de voir les «scientifiques» humains donner des instructions portant uniquement sur les rythmes et non les intervalles).
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Ces aliens sont de piètres mélodistes (même au regard de productions ultérieures telles que les indicatifs SNCF actuellement en vigueur) ; ligne brisée sans direction déterminée, sauts d’octave gratuits et désinence sur la quinte...
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Fins observateurs de la culture humaine et en particulier d’Amérique du Nord (leur destination élective), les aliens ont non seulement choisi pour s’exprimer l’un de ces jingles qui ponctuent notre vie quotidienne, mais le font entendre avec une sonorité qui rappelle à s’y méprendre l’orgue électromécanique «Hammond» dont les monodies simplistes jalonnent les matchs de hockey et de baseball.
Bien joué.
Identifiable dès ses deux premières notes (mi-fa grave, jouées au tuba basse), le thème musical du film Jaws ("Les dents de la mer", 1975) imprègne l’imaginaire musical occidental depuis quatre décennies — que l’on ait ou non vu le film en question.
Doit-on en conclure que ces deux notes sont en elles-mêmes chargées de sens, ou, plus probablement, qu’elles convoquent très efficacement les fragments narratifs (et partant, le sentiment de tension et de danger) auxquelles elles sont associées ? Il s’agit moins de "deux notes", comme ne l’ont que trop souligné les critiques, que d’un mouvement mélodique, ascendant et suspensif (l’appui est clairement sur la première note, ce qui exclut par exemple d’y voir une résolution sensible-tonique). Quant au choix d’une tessiture grave, il exprime moins une métaphore "sous-marine" (que l’on reste libre d’imaginer) que le rôle harmonique du motif (la broderie demeure irrésolue, et le demi-ton montre clairement qu’il s’agit d’une dominante dans un contexte mineur et non d’une tonique).
Quoi qu’il en soit, le fait que ce thème soit (pour un large public occidental) aisément identifiable au moyen de ses deux notes seulement (de même que les quatre notes "pom pom pom poom" évoquent grossièrement Beethoven), constitue un point notable, et peut-être inégalé, de notre imaginaire musical collectif.
Fin 2013, cette courte animation en boucle (Gif animé) a amusé quelques milliers d’internautes car elle évoque irrésistiblement (pour qui possède la référence pop-culturelle requise) une chanson.
Rares sont les exemples de synesthésie aussi simples et accessibles, comme n’ont pas manqué de le souligner les hordes de Redditeurs rompus aux considérations «meta» :
http://www.reddit.com/r/gifs/comments/1ui2jf/hear_with_your_eyes/
http://www.reddit.com/r/woahdude/comments/251478/can_you_hear_it/
http://www.reddit.com/r/gifs/comments/2a4f2t/i_can_actually_hear_this_gif/
Évidemment, la chose s’adresse nécessairement à un public bien précis, ayant grandi à une époque où ladite chanson s’est imposée comme la tarte à la crème des publicités télévisuelles (Evian, Halo, Pepsi) et dont les forums Web et le gif animé sont le signe de ralliement par excellence. (Cette génération est notamment décrite dans la série télévisée "Veronica Mars" -- dont l’épisode 14, saison 1, fait précisément intervenir ce motif rythmique.)
Toujours signalé par Martin Granger, cet autre "fad" actuel à partir des vidéos musicales sur YouTube : enlevez le son, et reconstituez-le, mais sans musique. Les bruitages prennent évidemment une place prédominante, mais ce qui frappe sans doute le plus est l’absence de la piste musicale qui donne son sens originel à la vidéo. De cette absence naît un sens nouveau : un numéro de danse devient ainsi une étrange pantomine possédée, et ainsi de suite.
Quelques exemples au hasard :
https://www.youtube.com/watch?v=om8kt8gi93Q
https://www.youtube.com/watch?v=hbKh0Y_QCrc
https://www.youtube.com/watch?v=u3wx60nKkt4
https://www.youtube.com/watch?v=5Jd9AmepgdM
https://www.youtube.com/watch?v=fRqCVcSWbDc
Dans un style un peu différent :
https://www.youtube.com/watch?v=2ArMS3MSQwc
Martin Granger nous signale cette mode récente sur YouTube : prenez une vidéo musicale, remplacez le son (avec une attention toute particulière pour les bruitages) et débrouillez-vous pour que les chanteurs et instrumentistes présentés à l’écran n’apparaissent pas, comment dire, au sommet de leur art.
Quelques exemples en vrac :
Les concerts de rock sont une cible de choix :
Le jazz n’y échappe pas :
- voici un shred très subtil et progressif
- un autre
Et la musique savante non plus :
- concerto pour cor de Mozart
- un hilarant shred de Glenn Gould, avec une grande attention portée aux mouvements des doigts sur le clavier