La page Wikipédia de la chanson Kâtibim nous la présente comme un chant traditionnel turc (ses paroles feraient même référence à la guerre de Crimée des années 1850). Et pourtant, de cette chanson existe au moins une dizaine d’autres versions, issues d’autres nations — chacune se revendiquant comme étant l’authentique origine de la chanson. On en trouve des traces plus bas sur ladite page, ainsi que sur la page de discussion, ou encore sur la version russe, un peu plus détaillée.
Quelques informations supplémentaires sont proposées dans la description en grec d’un enregistrement dirigé par Jordi Savall, qui insistent sur une origine probablement juive séfarade ; originaire des quartiers juifs d’Istanbul, elle aurait été importée en Grèce lors de la migration forcée des juifs vers Thessalonique… en 1492. Voici une traduction de ces explications, non sourcées :
De Constantinople à New York et d'Alexandrie à Tokyo. La petite "Odyssée" d'une chanson.
Üsküdar ou Scutari est l'ancienne Chrysopolis, grande banlieue de la partie asiatique d'Istanbul, où ont vécu plusieurs milliers de Grecs et où a été écrite la célèbre chanson qui s'est diffusée jusqu'en Egypte et est considéré comme la plus célèbre de la tradition séfarade de la Méditerranée orientale.
En Egypte on la connaît comme "Fel S hara" ou "Ya Banat Iskandaria". Iskanderia est Alexandrie. Il y a une affinité, puisque en turc Isctern est Alexander. Dans notre langue [le grec] la mélodie chantée dans différentes parties de la Grèce comme "d'un pays étranger..." est considérée comme l'une des chansons les plus célèbres des rivages d'Anatolie.
En 1960, Markos Vamvakaris l'a incluse dans son répertoire etéenregistre avec Katie Gray.
Dans les années 1950, Eartha Kitt, actrice et chanteuse du style de l'ancien Cabaret, l'a fait connaître au-delà de l'Atlantique, alors que la mélodie a atteint le cœur du jazz américain avec des performances comme celle du célèbre flûtiste Herbie Mann, mais aussi l'Extrême-Orient avec le son électrique du célèbre guitariste japonais Taketsi Teraoutsi.
Pour séduisante qu’elle soit, cette hypothèse ferait remonter ladite chanson à plus d’un demi-millénaire, ce qui demanderait à être étayé par des documents historiques semblant faire défaut à ce stade.
En tout cas, la multiplicité des versions actuelles est indéniable, et a même constitué le sujet d’un documentaire télévisuel de moyen-métrage réalisé en 2003 par la réalisatrice bulgare Adela Peeva avec le soutien de l’Union Européenne, intitulé Чия е тази песен? (Whose is this song, «à qui est cette chanson»).
Son financement partiellement public n’ayant pas empêché les producteurs de censurer une copie de ce documentaire, l’on ne peut s’en faire une idée que par quelques extraits mis en ligne tout aussi illégalement. La documentariste semble avoir été davantage intéressée par un état des lieux de la diffusion de cette chanson et par l’aspect folklorique (voire nationaliste) qu’elle représente, que par une étude historique de sa trajectoire possible.
Quelques années plus tard, le projet *Everybody’s Song mené entre 2006 et 2008 par l’institut Future Worlds Center de Chypre a pris cette chanson comme prétexte pour organiser des concerts et rassemblements de jeunes autour des Balkans et de la région Adriatique. Là encore, cette opération ne semble pas avoir inclus de recherche scientifique.
Au-delà de l’intérêt culturel de cette chanson — qui, pourtant indéniable, reste à ce jour confiné à un aspect anecdotique ou à des enjeux géopolitiques — un véritable travail scientifique reste donc à mener, non seulement d’un point de vue historique et ethnographique, mais aussi d’un point de vue sémiologique et musical. Ainsi, il ne semble pas qu’existe pour l’instant une description analytique de la chanson, de par sa structure, le mode utilisé, et les remarquables variations de tempo et de caractère d’un pays à l’autre (lesquelles vont peut-être de pair avec les non moins frappantes différences de paroles et de thématique). Finalement, au-delà même de l’origine de la chanson (turque, séfarade ou quelle qu’elle puisse être), c’est peut-être précisément dans ces variations que l’on peut lire, par contraste, les différences entre des traditions musicales et culturelles nationales.
Étrange période que celle qui a débuté à l’automne 2017. Dans un contexte d’instabilité politique pour les sociétés réputées prospères, et de relative déréliction des acteurs médiatiques autrefois légitimés, c’est comme en un ultime sursaut que la classe politique et l’industrie culturelle s’émurent soudainement de quelques témoignages (d’abord isolés, mais bientôt torrentiels) de victimes de harcèlement sexuel. Favorisé par l’appétence (irrationnelle) de notre société envers l’information immédiate et non-vérifiée, ce phénomène jeta à bas en quelques instants plusieurs personnages puissants, voire idolâtrés depuis des décennies, soudainement discrédités auprès de l’opinion publique (avant toute procédure judiciaire, du reste hypothétique), mais également auprès du reste de la profession glorieusement offusquée — trop heureuse de pouvoir s’acheter à si bon compte une bonne conscience moralisatrice.
Au-delà du risque (jamais nul) d’accusations infondées ou calomnieuses, de la pertinence discutable pouvant conduire à agréger des faits objectivement inexcusables avec des situations subjectivement déplaisantes mais non répréhensibles, du caractère injuste ayant pu conduire à clouer certains accusés au pilori mais d’autres non, il convient sans doute de s’interroger moins sur les témoignages eux-mêmes (sous condition qu’ils aient été dûment déposés en justice, et étayés dans la mesure du possible) que sur le mouvement en résultant, peut-être moins sous forme de véritable soulèvement social que par effet de mode (un peu comme l’anti-racisme des années 1980 co-opté par la classe politique française), tendant in fine à maintenir le statu quo au prix de quelques déboulonnages symboliques.
Une illustration de cette ambigüité est à trouver dans une émission radiophonique diffusée sur BBC Radio 3 début décembre 2017, puis reprise dans une dépêche de l’agence britannique Associated Press, elle-même diligemment reproduite par le Guardian et l’Independent vite suivis d’une myriade de sites d’information, chacun reprenant à hauts cris le titre de ladite dépêche :
En musique classique, six interprètes sur 10 sont victimes de harcèlement sexuel.
Le chiffre a de quoi frapper : il est rond, élevé, difficile à croire mais facile à répéter.
Il est aussi, et c’est peut-être le principal (mais qui sommes-nous pour en juger), entièrement faux.
Les violences sexuelles et la protection de catégories du corps social réputées sans défense sont deux zones sensibles dans la perception symbolique et idéologique de nos sociétés (il suffit de voir combien la «protection des enfants contre les prédateurs sexuels» permet aux législateurs de faire passer de lois) ; dans ce cadre propice aux réactions irrationnelles (surestimation du risque, curiosité voyeuriste du public, mauvaise conscience ou culpabilisation, sanctification symbolique du statut de victime «survivante» quand bien même les victimes bien réelles sont souvent oubliées derrière l’emballage symbolique), les véritables travaux scientifiques — quand ils existent, ce qui n’est que trop rare — se retrouvent noyés dans le flot de «commentaire à chaud» et de récupération politique ; à l’exposé raisonné de problématiques complexes, l’on préférera immanquablement une poignée de chiffres frappants et le plus souvent fantaisistes, fournissant autant de munitions commodes pour les donneurs d’injonctions moralistes et de matraquage médiatique. Comme le rapportait Mark Twain (se référant à un politicien difficilement identifiable) : There are three kinds of lies: lies, damned lies, and statistics («il y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les mensonges condamnables, et les statistiques»).
Un exemple nous en est fourni par le combat mené par le gouvernement des États-Unis en 2014-2015 contre le harcèlement sexuel sur les campus universitaires, s’appuyant sur une unique assertion, non-sourcée, selon laquelle «une femme sur cinq» avait été victime d’agressions sexuelles (chiffre variant parfois entre 1/5 et 1/4, et désignant parfois l’ensemble de la population adulte ou seulement les étudiantes en université). Il est établi que cette statistique ne repose sur rien, quand bien même certains s’emploient à la justifier (tout aussi incorrectement) par des contorsions autour du nombre — nécessairement invérifiable — d’agressions passées sous silence.
Revenons-en aux musicien(ne)s britanniques. Les deux seules sources interrogées par la BBC sont un questionnaire en ligne, proposé par le magazine Arts Professional à son lectorat — sans nous attarder sur la validité scientifique des sondages en ligne (ils n’en ont aucune), notons qu’y ont ici répondu 1580 personnes, dont seulement 861 réponses exploitables (dont 706 femmes), et dont seulement 120&nsbp;musicien(ne)s, sur lesquel(le)s 51% déclarent avoir été victimes de harcèlement sexuel «sous quelque forme» (l’expression n’étant définie à aucun endroit). Même si certains des témoignages sont touchants (et d’autres, purement anecdotiques), on reste loin d’une évaluation statistiquement probante.
Notons qu’à aucun moment cette «étude» ne propose de différence entre les musicien(ne)s «classiques» et les autres ; il faut pour cela nous pencher sur l’autre source invoquée par l’émission en question. Il s’agit d’un autre questionnaire en ligne, provenant cette fois de l’Incorporated Society of Musicians, syndicat de musiciens (globalement plus conservateur que la Musicians Union, l’autre syndicat britannique), dont les résultats ne sont pas encore publiés au moment ou nous écrivons ces lignes — faut-il en conclure que «faire le buzz» est une priorité plus urgente que de rendre public un travail sérieux et concret ? La façon dont cette initiative a été annoncée n’est pas de nature à nous rassurer sur cette question : un mois auparavant, l’ISM avait publié un premier communiqué relativement convenu, s’indignant de l’actualité récente et promeuvant sa propre équipe d’«avocats du travail hautement compétents de sexe féminin» ; cinq jours plus tard un nouveau communiqué réécrit le précédent et le transforme en appel à témoignages. Quoi qu’il en soit, l’ISM s’interroge sur la «discrimination» ou les «comportements inappropriés» (on dépasse donc, à nouveau, le cadre des agressions sexuelles au sens strict), s’adresse donc surtout aux personnes se sentant personnellement concernées par ce sujet précis, et quémande même explicitement des récits allant dans ce sens. Le fait que seulement 250 réponses aient été reçues, que sur ces réponses, seules 60% indiquent avoir été affectées par «une forme ou une autre de discrimination», et qu’enfin sur ces cas de discrimination, le harcèlement sexuel soit représenté (à quelle proportion exacte ? cela n’est pas dit), montre une fois de plus le peu de fiabilité du résultat. Ce qui n’empêchera nullement, gageons-le, quelque responsable politique de s’en saisir lorsque l’opportunité s’y prêtera.
Du reste, l’ISM n’en est pas à son coup d’essai pour ce qui est d’attraper des trains en marche. Rien qu’en 2017, l’organisme a publié en fanfare un «guide pour les professeurs de musique» redéfinissant le trac ressenti par les élèves en trouble d’anxiété ; quelques mois plus tard, à la faveur d’une campagne électorale, il s’est référé dans un «manifeste» à une étude selon laquelle «plus de 60% des musiciens souffrent de problèmes de santé mentale». Encore une «étude» ! Encore «six sur dix» !
Le harcèlement sexuel existe-t-il dans le milieu de la «musique classique» ? À n’en pas douter. Les musiciennes y sont-elles confrontées à des inégalités de traitement ? Fréquemment, certes (mais ce n’est pas la même chose que des agressions ou du harcèlement). De même que dans tous les secteurs professionnels qui, à un moment ou un autre, ont éprouvé le besoin de se pencher sur la question ces dernières années : «les femmes» ne sont pas mieux traitées dans l’informatique, dans l’armée, dans le journalisme, dans les laboratoires (pour ne prendre que quelques gros titres parus récemment). Mais évidemment, le milieu des musicien(ne)s classiques, ces animaux étranges, à la fois prestigieux mais un peu has-been en même temps, à la fois proche et dépaysant, possède son charme propre. Ce qui permet à des journalistes de redécouvrir benoîtement, à peu près chaque année, une (véritable) étude datant de plus de vingt ans, sur les auditions en aveugle dans les orchestres symphoniques.
Quand bien même nous pourrions le souhaiter (ce qui ne serait d’ailleurs guère charitable pour le reste de nos concitoyens), le milieu musical n’est exempt d’aucun vice ni d’aucune avanie. Ni même des chiffres bidons.
Début juin 2009, la radio associative WMFU (diffusée dans le New-Jersey et à New-York) poste sur son blog une série de pistes inédites, dont l’histoire est peut-être encore plus spectaculaire que le contenu.
De mars à août 1957, se tiennent au Greenwich House de New-York, tous les dimanches, des séances d’enregistrement organisées par le jeune compositeur conceptuel Earle Brown (1926-2002) et le producteur Teo Macero (1925-2008, futur producteur de Dave Brubeck et Miles Davis), lequel avait déjà contribué depuis quelques années aux Jazz Workshops du jazzman Charles Mingus. Cet atelier-là, cependant, est d’une nature très particulière : les séances en sont dirigées par un compositeur contemporain de tout premier plan, Edgard Varèse.
On sait peu, en effet, combien Varèse s’intéressait au jazz : résidant dans le Greenwich Village, il assistait régulièrement aux concerts de John Coltrane. Réciproquement, le monde du jazz ne lui était pas indifférent : ainsi, le flûtiste de jazz Eric Dolphy enregistrerait avec bonheur la pièce de Varèse Density 21.5 ; le saxophoniste Charlie Parker avait tenté d’étudier auprès de lui dans les derniers mois de sa vie, de même que le tout jeune Frank Zappa qui lui adressa à l’âge de seize ans une lettre tout aussi touchante que le témoignage qu’il en ferait ultérieurement.
Pour ces séances de 1957, se réunissent non seulement Mingus à la contrebasse et Macero au saxophone, mais aussi le batteur Ed Shaughnessy, le pianiste Hall Overton, le vibraphoniste Teddy Charles, le trompettiste Art Farmer, le clarinettiste Hal McKusick, les trombonistes Eddie Bert et Frank Rehak, le tubiste Don Butterfield,… À ces séances assistent également des personnalités essentielles de la création artistique de l’époque : John Cage et son compagnon Merce Cunningham, le compositeur James Tenney, ainsi que Earle Brown déjà mentionné.
Le rôle joué par Varèse dans ces improvisations collectives n’est pas entièrement établi : il semble qu’il ait fourni aux musiciens quelques consignes de jeu instrumental, et une partition graphique. En retour, leur langage musical et sonore a contribué à nourrir sa propre inventivité, tout particulièrement dans le Poème électronique qu’il créera l’année suivante (et dans lequel il utilisera même, selon certaines sources, des fragments de ces enregistrements).
Toutefois, c’est peut-être au regard de l’histoire du jazz lui-même que cet atelier prend son importance la plus capitale. En effet, le milieu du XXe siècle est à ce titre une période de redéfinition et de révolution esthétique, que préfigurent les improvisations collectives et poly- (ou a-)tonales de Lennie Tristano et ses épigones dès 1949, et qu’actera publiquement, en 1960, l’album Free Jazz du saxophoniste Ornette Coleman. Et c’est donc trois ans avant la naissance officielle de ce «free jazz», que les sessions de Mingus, Macero et Varèse nous donnent déjà à entendre une musique complètement nouvelle, faite de gestes instrumentaux extraordinairement libres : un moment privilégié de création, s’abstrayant de toute codification pré-existante.
John Cage aux champignons, Stravinksy en maillot de bain, Puccini qui fait du catch, Messiaen en pique-nique familial... Depuis sa création début 2014, le compte tumblr (et twitter) Composers Doing Normal Shit recense des photographies montrant des compositeurs et compositrices dans leur vie quotidienne (et se consacrant, de préférence, aux tâches les plus triviales possibles). Cet effet désacralisant (ou sacrilège, dans le meilleur sens du terme) est renforcé par les légendes les accompagnant, lapidaires et prosaïques sur un registre délibérément anachronique : «Debussy chilling out with his dog», «Scriabin kickin’ it on the lawn», «Boulez having a miserable time at lunch»... sans parler, bien évidemment, de l’intitulé même du site (originellement emprunté à un compte consacré... aux rappeurs), intraduisible en français mais suffisamment transparent.
Identifier l’auteur de ce site unique en son genre requiert de fouiller un peu, car son nom n’apparaît nulle part ; il s’agit en fait du jeune guitariste bostonien John Nolan, ce qui explique qu’y figurent une majorité de compositeurs américains. John Nolan (à qui l’on doit quelques albums combinant esthétique easy-listening et humour meta -- ainsi, il signe sous l’intitulé «John `The Nickname’ Nolan») a suivi des études universitaires où il a pratiqué l’histoire de la musique, ainsi que la composition (de musique de film mais aussi de musique savante) ; peut-être est-ce là ce qui l’a conduit à lancer cette initiative (gentiment) irrévérencieuse, par esprit de parodie ou de revanche ? En tout cas, il y a là une manière saine et intéressante d’approcher l’histoire et l’écriture sur un plan personnel ; pas forcément indispensable, mais toujours bienvenue.
Cet enregistrement de juin 1944 (dont un extrait, légèrement meilleur, est disponible ici) nous présente l’actrice allemande Marlene Dietrich (1901-1992, naturalisée américaine en 1939), pratiquant la scie musicale.
Elle y mentionne (mais sans doute cela fait-il partie de la routine d’introduction, de connivence avec le présentateur) qu’elle a autrefois rêvé d’une carrière dans la musique classique ; et de fait, elle avait commencé l’étude du violon après le lycée (avant qu’une blessure au poignet ne l’interrompe au bout d’un an). En 1927, sur le tournage du film (muet) Café Elektric, l’acteur autrichien Igo Sym l’initie à la scie musicale et lui offre même la sienne. Quelques années plus tard, le succès international du film Der Blaue Engel (L’Ange bleu, 1930 ; premier long-métrage parlant produit en Allemagne, et tourné à la fois en allemand et en anglais) la fait connaître d’Hollywood (ainsi que son réalisateur), où son style (et notamment sa voix, car nous sommes au début du cinéma parlant) s’imprimeront durablement. Elle finit par s’y exiler définitivement, tant pour développer sa carrière que pour se désolidariser du régime nazi.
Dietrich participera même activement à l’effort de guerre américain en se rendant sur les bases militaires pour divertir les troupes ; la scie musicale y rencontre un succès notable, peut-être parce qu’elle l’obligeait à remonter quelque peu sa robe... Ainsi n’est-il pas anodin que notre extrait précité date de 1944 ; le seul autre fragment disponible, plus bref, date de 1948, mais la guerre y est encore évoquée.
Elle se fera également remarquer sur le tournage de ses films en pratiquant fréquemment la scie musicale entre les prises de vue ; sa productrice racontera notamment les séances préparatoires, en 1943, de la comédie musicale One Touch of Venus avec Marlene Dietrich (qui refusera finalement le rôle) et Kurt Weill :
J’étais habituée à toutes sortes d’excentricités chez les vedettes, mais je dois avouer que lorsque Marlene disposa cette énorme scie entre ses jambes élégantes, et commença à jouer, je fus plus qu’éberluée. [...] Le soir, on discutait de la pièce pendant un moment, puis Marlene s’emparait de la scie et commençait à jouer : nous avons fini par comprendre que ce signal nous indiquait la fin des discussions.
Le premier extrait mentionné ci-dessus, mérite qu’on y revienne pour évoquer les fragments musicaux présentés : il s’agit d’un mélange (mash-up) entre la chanson hawaienne Aloha ʻOe et la chanson à boire munichoise In München steht ein Hofbräuhaus. Si cette dernière ne présente rigoureusement pas le moindre intérêt, la première est beaucoup plus intéressante, même si le public occidental ne la connaît (en particulier depuis la seconde guerre mondiale, où Hawaii fut un important théâtre d’opérations américain) que comme un cliché paresseux de musique océanique indolente -- un peu à l’instar des quatre notes de la chinoiserie, que nous avons pu examiner précédemment. (Même si Jack London s’y réfère dès 1919, dans un beau texte.)
C’est, en fait, de 1878 que date la mélodie Aloha ʻOe (peut-être originellement à trois temps), dont le titre pourrait être traduit par «adieu à toi». Plus surprenant encore, elle fut écrite par Liliʻuokalani, qui allait bientôt devenir la première et dernière reine de Hawaii. Personnalité remarquable, Liliʻuokalani (née Liliʻu Loloku Walania Kamakaʻeha, 1838-1917) était l’aînée de quatre enfants royaux (dont chacun fut également auteur et artiste) ; on lui doit plus de 165 chansons originales, ainsi qu’une traduction du Kumulipo, le chant traditionnel exposant la cosmogonie hawaiienne. Elle dut faire face, de son vivant, à la colonisation larvée de Hawaii par les puissances occidentales sous couvert d’évangélisation et de «républicanisme» : elle-même fut d’ailleurs baptisée (sous le prénom de Lydia), ce qui ne l’empêcha pas de soutenir plus tard la diversité religieuse de l’archipel, et notamment les minorités bouddhistes et shintoïstes.
Dès 1887, le roi précédent (son frère Kalākaua) avait été contraint sous la menace d’une baïonnette à signer une constitution inique transférant le pouvoir aux exploitants américains. Elle monte sur le trône à la mort de celui-ci, en janvier 1891 ; deux ans plus tard, un coup d’état (maquillé en révolution républicaine, inaugurant ainsi une pratique perpétuée encore aujourd’hui sans vergogne en Amérique du Sud) mené par des troupes occidentales, prétendument déployées pour «assurer une présence neutre», met un terme à la monarchie -- et, de fait, à l’indépendance de la nation : les U.S.A. eux-même le reconnaîtront en présentant leurs excuses 100 ans plus tard.
Partisane d’une résistance non-violente, la reine Liliʻuokalani est immédiatement détrônée (l’acte de capitulation sera même signé en son absence) au profit d’un gouvernement fantoche. Après l’échec d’une tentative de restauration menée en 1895 par son compatriote indépendantiste Robert Wilcox, la ci-devant reine se voit accusée de trahison et se retrouve condamnée à cinq ans de travaux forcés. C’est pendant son emprisonnement (qui ne durera finalement qu’un an), qu’elle travaille à sa traduction du patrimoine traditionnel, et quelques-unes de ses chants :
N’ayant aucun instrument, je dus transcrire les notes à la voix seulement ; je trouvai cependant, quels que soient les inconvénients, une grande consolation dans la composition : je transcrivis un certain nombre de chansons. Trois d’entre elles parvinrent, de ma prison, à la ville de Chicago, où on les imprima. Parmi elles se trouvait «Aloha ʻOe» ou «adieu à toi», qui devint une chanson très connue.
Autre part dans ses mémoires, la reine ajoute :
Composer était pour moi aussi naturel que de respirer ; ce don de la nature, n’ayant jamais eu à pâtir d’être mal employé, reste à ce jour la plus grande source de consolation. [...] Les heures où il n’est pas à propos de parler, qui m’auraient sans cela parues longues et solitaires, passaient rapidement et joyeusement lorsqu’elles étaient consacrées à exprimer mes pensées en musique.
Sports d’été : plusieurs lecteurs nous demandent les règles du tennis russe qui fera fureur, cette saison, dans tous les châteaux. Elles peuvent se résumer ainsi : la partie se joue la nuit, sur des corbeilles de fleurs éclairées par des lampes à arc ; elle n’admet que trois partenaires ; le filet est supprimé ; la balle est remplacée par un ballon de foot-ball ; l’usage de la raquette est interdit. Dans une tranchée, creusée à l’extrémité du terrain, on dissimule un orchestre qui accompagne les ébats des joueurs. Ce sport a pour objet de développer une extrême souplesse dans les articulations des poignets, du cou et des chevilles. Il a reçu l’approbation de l’Académie de médecine.
C’est ainsi qu’un certain «Swift» (pseudonyme sous lequel se cache – à peine – Érik Satie) décrit en 1913, dans la revue S.I.M. que nous avions déjà évoquée, la récente création de Jeux aux Ballets russes... (Qu’aurait-il dit si le ballet s’était achevé sur la chute impromptue non d’une balle de tennis, mais d’un dirigeable comme le souhaitait Nijinsky...). De fait, le tennis servira d’inspiration non seulement à Debussy mais également à Satie lui-même dans ses Sports et divertissements pour piano seul. Pour autant, Debussy jouait-il lui-même au tennis ? Telle est l’anecdote – non-corroborée par la moindre source, et franchement douteuse – qu’avance un listicle du BBC Music Magazine : «Debussy appréciait effectivement à l’occasion de jouer au tennis avec Ravel». (Entre autres articles de ce style, on en trouvera notamment un sur le cyclimse.)
Parmi les autres compositeurs figurant dans cette même liste, Britten est sans aucun doute le plus digne d’y figurer : adepte de la natation, du criquet et du croquet, ce sportif accompli jouait aussi au tennis, notamment avec son compagnon Peter Pears. Ces activités ne semblent pas avoir joué de rôle dans son lien tardif avec la Russie, et en particulier son amitié avec Chostakovitch et Rostropovitch – il n’a jamais pu rencontrer Prokofiev, dont il connaissait et admirait cependant l’œuvre. Quant à Chostakovitch lui-même, l’on sait qu’il était un ardent supporter de football.
Serge Prokofiev, lui-même, jouait à l’occasion au tennis (qu’il pratiqua notamment lors de son séjour dans le golf de Finlande à l’été 1916), et s’essaya également au volley comme en témoigne son fils – le verbe "essayer" est ici charitable, à en croire un autre témoignage précieux et surprenant : celui de Kabalevsky, qui le fréquenta régulièrement pendant une quinzaine d’années. Prokofiev jouait également aux cartes, à en croire son fils : enfant, il pratiqua le whist, le chemin de fer et un jeu intitulé 66. À l’âge de 20 ans il découvre le bridge, auquel il jouera plus tard notamment avec Francis Poulenc lors de ses séjours à Paris – ils prirent même part, de concert (si l’on peut dire), à des tournois de bridge confortablement rémunérateurs. Comme il l’indique dans ses écrits autobiographiques, Poulenc faisait partie des admirateurs de Prokofiev ; il l’accompagna au second piano lorsque ce dernier se préparait à sa tournée américaine de 1932, et lui dédia sa dernière œuvre, la Sonate pour hautbois et piano.
Le sport d’excellence de Prokofiev, toutefois, reste le jeu d’échecs, qu’il apprend dès l’âge de sept ans ; à dix-huit ans, il contribue aux tournois du club d’échecs de l’Institut Technologique de Saint-Pétersbourg où il peut voir jouer les plus grands maîtres, et se mesure lui-même à de futurs champions tels que Levenfish ou l’immense Alekhine, dont il se vantera toute sa vie de l’avoir vaincu un jour (en fait lors d’une partie double en aveugle) et qui deviendra de ses amis. Les champions qu’il fréquentera par la suite incluent Lasker, Tartakover, Botvinnik et surtout Capablanca (lui-même mélomane), à qui il se mesure dès 1914 (enregistrant une victoire à son actif) et avec qui il se lie d’amitié. Joueur offensif et opiniâtre, Prokofiev ne dédaigne pas de se servir des échecs pour écraser sans vergogne ses collègues moins aguerris en la matière : Poulenc, Maurice Ravel lors d’une partie en 1924, ou encore Vernon Duke (de son vrai nom Vladimir Dukelsky, dont l’autobiographie Passport to Paris regorge de récits intéressants sur Prokofiev). (Aucune partie d’échecs n’aura été disputée, toutefois, lors de son unique rencontre avec Debussy à l’âge de 22 ans.)
Après son retour en Russie en 1936, il joue fréquemment avec le violoniste David Oistrakh (qui se trouve être son voisin), lequel témoignera : «Prokofiev était un joueur avide ; il pouvait réfléchir à ses coups pendant des heures. [...] Vous auriez dû le voir, tout excité, dessinant pour ses victoires et défaites toutes sortes de schémas pleins de couleurs ; combien il était heureux de chaque victoire et combien chaque défaite le ravageait...» En 1937, un véritable championnat en miniature sera organisé entre les deux : l’évènement est annoncé avec battage, et se soldera par une défaite par abandon pour le violoniste. L’âpreté du compositeur au jeu est telle que les médecins lui interdisent de s’y adonner à partir de 1945, à la suite de sa première attaque d’hypertension chronique ; Kabalevsky raconte qu’il invente alors un nouveau jeu intitulé «les généraux Allemands prisonniers». (Il ne se privera au demeurant pas de poursuivre son vice, allant jusqu’à prendre part à un ultime tournoi d’échecs en 1951.)
À l’été 1933, Arnold Schönberg se trouve en vacances en France lorsque parviennent des nouvelles peu rassurantes d’Allemagne, où le nazisme bat son plein et où ses œuvres sont interdites en tant que «dégénérées». Au lieu de regagner l’Allemagne, la famille tente de s’expatrier ; refusée par l’Angleterre, elle se tourne vers les États-Unis où se lance immédiatement une souscription pour leur venir en aide. Le plus visible, et peut-être le plus empressé des donateurs, n’est autre que George Gershwin. Le musicien américain (dont nous avons déjà évoqué le goût pour les expériences musicales inédites) y voit une occasion de côtoyer enfin ce compositeur qu’il admire depuis longtemps : il lui demandera même des leçons d’écriture, que le maître autrichien, de 25 ans son aîné, lui refusera avec fermeté et gentillesse. Schoenberg s’installe donc aux États-Unis, à Boston puis en Californie pour un climat plus favorable ; ses nombreuses fréquentations inclueront des célébrités hollywoodiennes telles que Charlie Chaplin et Harpo Marx, mais aussi son compatriote Ernst Toch, que nous avons eu l’occasion de présenter ici. John Cage et Lou Harrison seront au nombre de ses élèves.
Une amitié étonnante et durable naît entre Schoenberg et Gershwin, d’autant plus improbable pour qui connaît leurs esthétiques antipodales. De fait, une (un?) musicienne japonaise du nom de Kyo Yoshida a eu en 1997 l’idée amusante de superposer des fragments musicaux de l’un et de l’autre ; cette réalisation ingénieuse (présentée sur YouTube dans un rendu synthétique, mais la partition est également disponible) s’intitule I got rhythm and played tennis with Mr. Schoenberg ; elle a d’ailleurs été reprise par l’Association des professeurs de piano japonais sur sa propre chaîne YouTube en 2016.
Les deux amis sont liés non seulement par un sens de la générosité qu’ils ont en commun (Gershwin vient à nouveau en aide à Schoenberg en finançant l’enregistrement phonographique de ses œuvres ; pendant ce temps, ce dernier consacrera son propre argent à aider toutes ses connaissances restées en Europe) mais aussi par leur pratique occasionnelle de la peinture (ils feront d’ailleurs chacun le portrait de l’autre)... Enfin, et surtout, ils partagent une passion pour le tennis – le 26 mai 1937, Schoenberg persiste même à rester sur le court alors que sa femme est en train d’accoucher à l’hôpital. D’ailleurs, le petit conte pour enfants qu’il rédigera et enregistrera quelques années plus tard, Die Prinzessin (la princesse), s’ouvre sur cette phrase : «Un après-midi, alors que la princesse avait, comme à son habitude, joué sa partie de tennis avec la duchesse, ce fut balle de match en sa faveur, five to three and advantage pour la princesse» (en anglais dans le texte).
Un autre document laissé par Schönberg a attiré l’attention de la "musicologue" Theresa Sauer, qui a éprouvé le besoin de l’inclure dans son ouvrage Notations 21 consacré aux notations musicales graphiques et exotiques – ce qui a conduit à des titres tels que : La notation musicale de Schoenberg fondée sur le tennis : un hommage à George Gershwin. Il suffit pourtant d’examiner le document lui-même pour se convaincre qu’il n’a pas le moindre rapport avec la musique : comme le récapitule un article de la presse suisse-allemande, il s’agissait tout simplement d’un système graphique inventé par Schoenberg pour noter avec précision les parties de tennis disputées par son fils.
Il existe de cette période, pour l’un comme pour l’autre, quelques traces filmées et photographiques. Cependant, le témoignage le plus poignant est certainement le texte rédigé (et prononcé) par Schoenberg après la mort de son ami en 1937 :
Beaucoup de musiciens ne voient pas en George Gershwin un compositeur sérieux. Mais il faut qu’ils comprennent que, sérieux ou non, c’est un compositeur – à savoir un homme qui vit dans la musique et dont toute l’expression, sérieuse ou non, profonde ou superficielle, se fait par la musique car c’est là son langage premier. Il existe des compositeurs, sérieux (comme ils le croient) ou non (comme je le sais), qui ont appris à aligner des notes. Mais s’ils sont sérieux, c’est uniquement du point de vue de leur absence totale d’humour et d’âme. Il me semble que cette différence justifie à elle seule de qualifier l’un de compositeur, mais pas l’autre.
Dans un bref témoignage paru en 2003, le chroniqueur américain Lawrence Weschler (à qui l’on doit notamment une crypto-biographie d’Oliver Sachs, et l’intéressant recueil Uncanny Valley) évoque son grand-père, le compositeur allemand Ernst Toch (1887-1964), auquel l’on doit près de deux cent œuvres (un certain nombre ayant été perdu ou détruit), dont une vingtaine de musiques de film (écrites après son exil aux États-Unis) et surtout de nombreux opus pour piano, souvent très bien écrits.
Et pourtant, ce qui fait que l’on se souvient de Toch aujourd’hui, n’était pour lui qu’une plaisanterie musicale («ein musikalischer Scherz») : il présente le 18 juin 1930, à l’occasion du festival de musique contemporaine de Berlin (Berliner Festtage für zeitgenössische Musik) et en collaboration avec Hindemith, une suite de trois pièces, intitulée Gesprochene Musik (musique parlée). Les deux premières de ces pièces (intitulées Ta-Tam et O-a) sombreront presqu’immédiatement dans l’oubli ; cependant c’est la troisième et dernière, Fuge aus der Geographie, qui est appelée à connaître un succès aussi remarquable qu’intempestif.
Construite comme une fugue d’école à quatre voix, la partition fait apparaître des paroles consistant uniquement en noms de lieux exotiques aux consonnances marquées et souvent amusantes : Titicaca, Mississipi, Canada, Popocatepetl etc., notées uniquement sous forme de rythme, nuances (très importantes) et accentuation. L’auditeur un tant soit peu familier avec la fugue s’amusera à reconnaître les entrées et le contre-sujet ; de surcroît, la pièce n’est pas sans évoquer une récitation scolaire (on se situe d’ailleurs à l’époque précise des premières Lehrstücke de Brecht et Hindemith). Ce qui contribue sans doute à expliquer la popularité jamais démentie de l’œuvre auprès des chorales et classes de musique de tous âges et de tous pays.
Là n’est pas, pour autant, la seule explication. Après avoir fui le nazisme et s’être expatrié dans la banlieue de Los Angeles, Ernst Toch reçoit la visite, en 1935, d’un musicien d’une vingtaine d’années dont les parents habitent le quartier, qui a claqué la porte de l’université et étudie depuis peu la composition avec Arnold Schönberg. Un échange surréaliste s’ensuit : «Êtes-vous bien Ernst Toch, le fameux compositeur de la Fugue Géographique, une des compositions les plus décisives de notre époque ?» Toch n’en peut mais : son interlocuteur, qu’il ne parviendra jamais à convaincre qu’il ne s’agissait que d’une plaisanterie, s’empresse de traduire l’œuvre en anglais -- le premier mot «Ratibor!» devient ainsi «Trinidad!», le public des États-Unis étant plus familier des Caraïbes visitées par Christophe Colomb que des duchés de Silésie. C’est sous cette forme qu’elle accédera à la postérité qu’on lui connaît, et deviendra l’œuvre la plus jouée non seulement de Toch, mais aussi de son jeune traducteur : un certain John Cage.
Ironie du sort, là ne s’arrête pas le quiproquo : en effet, la méprise est double. L’aspect le plus ignoré de cette œuvre est également son caractère le plus fondamentalement expérimental, lequel ne réside pas dans la «plaisanterie» de Toch, mais dans sa réelle innovation technologique. En effet, le programme co-écrit avec Hindemith en 1930, intitulé Grammophonmusik, n’était même pas destiné à être interprété par des humains, mais présenté au public entièrement sous forme d’enregistrements manipulés, "mixés" (rudimentairement) et retouchés, puis joués par un phonographe. En particulier, l’on sait que Toch faisait jouer sa Gesprochene Musik à une vitesse supérieure, altérant donc le tempo, la hauteur et le timbre des voix. Cet enregistrement a hélas été perdu lorsque Toch a dû quitter l’Allemagne précipitamment, mais il ne fait aucun doute que Cage connaissait cette particularité : il utilisera lui-même une technique fortement similaire dans son œuvre mixte Imaginary Landscape n°1 (1939), souvent considérée comme pionnière de la musique électro-acoustique (quoique prédatée, nous l’avons vu, par les travaux de Toch et d’Hindemith).
Comme l’analyse finement la musicienne et universitaire israelo-américaine Carmel Raz dans un intéressant article, l’on a donc affaire ici à un cas probablement unique dans l’histoire de la musique : une œuvre initialement électro-acoustique (avant la lettre) qui se voit réinterprétée, et finalement éclipsée, sous forme de musique vivante.
Mais de fait, les nombreux remix et versions modifiées et irrévérencieuses de cette fugue (le plus souvent dans sa traduction anglophone), en font une œuvre étonamment vivante pour son âge vénérable. En l’élevant in fine à un statut de meme, la trajectoire de cette fugue n’en souligne que davantage, paradoxalement, la pertinence et la clairvoyance de son auteur. La vision d’Ernst Toch ne s’est-elle pas trouvée confirmée et validée, à plus d’un titre ? Son «rap de Weimar», comme le qualifie son petit-fils, est resté d’une actualité mordante pour les musiciens d’aujourd’hui (y compris ceux-là que l’on dit amateurs) ; qui plus est, l’usage de médiateurs technologiques a déferlé sur l’entièreté de la création musicale, qu’elle soit savante (électro-acoustique) ou non (industrie du disque, musiques amplifiées, sampling et techno) -- sa technique même du gramophone, trouve une traduction quasi-inchangée dans la pratique contemporaine du scratching des microsillons.
Parce qu’un peu d’auto-promotion ne nuit pas, nous signalons ici cet article déjà ancien (écrit en 2008, soit avant le lancement de l’Oumupo actuel, par l’auteur de la présente page de liens), consacré à la Composition Algorithmique -- sous l’angle plus spécifique des logiciels Libres.
Outre une description (faussement naïve) de l’état du champ à l’époque, ce compte-rendu (ici traduit de l’anglais) inclut quelques témoignages de compositeurs et programmeurs, et un test sommaire de certains logiciels disponibles, encore actifs aujourd’hui pour la plupart.
Comme souvent, l’article en lui-même importe moins que les nombreux liens qu’il contient. Pour n’en citer que quelques-uns (tous en langue anglaise) :
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cet article récapitule le fonctionnement de l’ordinateur GENIAC qui, dans les années 1950, fut l’un des premiers à "créer" de la musique (même si Ada Lovelace en avait eu l’intuition un siècle auparavant) : http://www.jfsowa.com/misc/compose.htm
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à la fin des années 1980, cet article fait le point sur les avancées en matière de composition (notamment imitative) par des programmes et algorithmes : http://www.nytimes.com/1989/01/22/nyregion/music-bach-versus-computer.html
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quelques années plus tard, cet article s’interroge sur l’utilité de l’ordinateur au service de l’imagination artistique et soulève notamment la question de l’originalité humaine : http://www.ece.umd.edu/~blj/algorithmic_composition/algorithmicmodel.html
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Ce compte-rendu daté de 2001 met en regard la composition algorithmique et la quête d’une Intelligence Artificielle (au moment même où l’humanité commence à se détourner de l’intelligence artificielle à proprement parler, et cesse de se passionner pour les compétitions d’échecs opposant Grands Maîtres humains et programmes informatiques) : http://www.kurzweilai.net/the-age-of-intelligent-machines-artificial-intelligence-and-musical-composition