Si étonnants que soient certains instruments, peu atteignent le niveau de mystère qui entoure l’harmonica de verre. Son nom lui-même s’avère insaisissable : d’abord intitulé glassicorde (glassychord) en 1761, puis rebaptisé armonica par son illustre inventeur, il se voit rapidement affublé d’un "h" par contamination du mot harmonie ; l’on trouve même dans un cabinet de curiosités le nom hydrodaktulopsychicharmonica. De fait, le terme harmonica lui échappera lorsque l’instrument sombrera brutalement dans l’oubli au début du XIXe siècle, et désignera un tout autre instrument dès les années 1820 : l’instrument à anches métalliques libres que nous connaissons aujourd’hui.
Pendant les quelques décennies qu’auront duré sa gloire, cet instrument aura pourtant côtoyé les plus grandes personnalités historiques, à commencer par son inventeur Benjamin Franklin (futur père fondateur des États-Unis d’Amérique, ce qui explique peut-être que la majorité des études actuelles émanent de chercheurs américains). Dès 1762, la musicienne Marianne Davies en reçoit un exemplaire et le fera découvrir, avec sa sœur Cecilia, à l’Europe entière (laquelle en connaissait déjà, il est vrai, une version primitive : le verrillon) ; leur tournée internationale les conduit à Vienne cinq ans plus tard, où il sera en particulier adopté par le physicien-rebouteux Franz Mesmer (qui en fera notamment jouer à l’une de ses jeunes élèves, la future reine Marie-Antoinette). Prêtant à l’instrument des vertus curatives et (pour ainsi dire) magiques, Mesmer ne peut qu’ajouter à son auréole de mystère et de scandale ; à tel point que l’une des commissions qui, en 1784, mettra en pièce les thèses de Mesmer, compte parmi ses commissaires... Benjamin Franklin lui-même. (Ces épisodes sont fort bien décrits dans The power of a musical instrument: Franklin, the Mozarts, Mesmer, and the glass armonica., David Gallo & Stanley Finger, 2000 -- ici en intégralité.)
Au-delà de sa présence historique, l’instrument fascine les compositeurs : l’on dénombrera ainsi pas moins de 400 œuvres classiques écrites pour lui. Ce qui inclue les plus grands compositeurs de l’époque, de C.P.E. Bach ou Mozart père et fils (introduits à l’instrument par Mesmer) à Beethoven et Donizetti, en passant par Haydn. Chiffre d’autant plus impressionnant qu’il n’existe de cet instrument qu’une poignée d’exemplaires au monde : il est non seulement atrocement cher et extrêmement difficile à fabriquer (l’on raconte que pour obtenir ne serait-ce qu’un cylindre de verre convenable -- sur les 48 que compte l’instrument --, il faut en souffler 100 entièrement inutilisables), mais d’une fragilité qui rend difficile son transport... et même son exécution : les vibrations de l’instrument suffisent parfois à briser ses propres cylindres.
Peut-être est-il particulièrement significatif que le nom de l’instrument se rapproche du mot harmonie, particulièrement chargé d’emplois métaphoriques (le terme harmonia est d’ailleurs lui-même une métaphore : il désignait en Grec ancien la cheville d’assemblage permettant d’équilibrer parfaitement une construction de maçonnerie). L’instrument lui-même, dont le timbre doux et aigu évoque d’ailleurs une voix féminine, n’est joué que par des jeunes femmes -- peut-être parce que la taille de leurs mains convient mieux, ou pour des raisons plus symboliques ou socio-culturelles : la position immobile et silencieuse de l’interprète, le toucher léger (nécessitant beaucoup moins d’effort musculaire qu’aucun autre instrument), et même le pédalier évoquant une machine à coudre ou à tisser. (Voir à ce sujet l’article Sonorous Bodies: Women and the Glass Harmonica de Heather Hadlock, 2000.) Ces réseaux de métaphores et de croyances s’entrecroisent pour finalement cristalliser (c’est le cas de le dire) autour de l’harmonica un fantasme très spécifique, et particulièrement efficace en cette époque où science et superstitions commencent tout juste à se séparer : le son de l’harmonica de verre mettrait en danger la santé nerveuse des femmes.
Ainsi par exemple, lorsque l’instrumentiste Marianne Kirchgäßner meurt prématurément en 1808 (vraisemblablement d’une pneumonie), l’on associera immédiatement son décès à l’harmonica dont elle jouait. Un médecin français signalera de même des cas (quoiqu’exagérément vagues et hautement douteux) de «mélancolie» et même de suicide. La virtuose Marianne Davies cessera de pratiquer l’instrument dès 1784, et devra même rester alitée pendant un an. Cependant, ce qui causera la perte du glassharmonica, au final, est peut-être beaucoup plus simple : à partir des années 1780, le pianoforte se répand comme une traînée de poudre et supplantera définitivement tous les autres instruments à clavier, moins puissants, plus chers et plus limités.
Quant à la théorie associant phénomènes acoustiques et santé nerveuse (particulièrement celle des femmes, tant il est vrai que les théoriciens de l’époque étaient tous mâles), elle continuera de prospérer au long du XIXe siècle -- et même au-delà (voir à ce titre le récent livre Bad Vibrations: The History of the Idea of Music as a Cause of Disease, James Kennaway, 2016). De nouveaux instruments tels que le Panharmonicon, le Physharmonica, l’accordéon et l’harmonium, se verront à leur tour attribuer des vertus expressives voire médicales ; ce sont d’ailleurs tous des instruments à anches métalliques libres, tout comme ce que nous appelons aujourd’hui harmonica.
La musicienne et chercheuse israélo-américaine Carmela Raz (que nous avions croisée au sujet d’Ernst Toch) a consacré plusieurs articles à ces questions, notamment “The Expressive Organ within Us”: Ether, Ethereality, and Early Romantic Ideas about Music and the Nerves (2014). Dans un article plus récent et illustré de photographies saisissantes (Of Sound Minds and Tuning Forks, 2015), elle montre même que le médecin Charcot, bien plus tard, utilisait couramment de grands diapasons métalliques pour traiter (ou diagnostiquer ?) les cas d’hystérie féminine. Un autre article de Carmel Raz, Musical glasses, metal reeds, and broken heart, est à paraître en 2017.
Dans les années 1980, Gerhard Finkenbeiner, un facteur d’instruments américain, avance une théorie audacieuse et séduisante : les problèmes de santé engendrés par l’harmonica de verre ne seraient pas dus aux vibrations sonores, mais tout simplement à une intoxication au plomb -- car le verre dont étaient alors faits les cylindres contenait une proportion non-négligeable de plomb, lequel aurait contaminé les instrumentistes par contact répété avec la peau des doigts. Nonobstant son apparence moins pseudo-scientifique, cette explication n’en est pas moins fausse... Ce qui n’empêche pas Finkenbeiner de se lancer dans la fabrication et la vente de nouveaux modèles de glassharmonica, produits et série et plus solides, faits avec un alliage de quartz plutôt que de plomb.
La malédiction serait-elle donc enfin levée ? Pas totalement, faut-il croire : par un après-midi de mai 1999, Finkenbeiner part pour une simple excursion à bord de son petit avion privé. Personne ne l’a revu depuis lors.
Parodies et pastiches abondent tout au long de l’histoire de la musique (même du temps de Jean-Jacques Rousseau, comme nous l’avions évoqué), qu’elles concernent la musique savante (l’exemple de La Truite en témoigne) ou la chanson ; c’est d’ailleurs dans ce dernier domaine que les imitations et caricatures semblent les plus aisées -- peut-être parce qu’il suffit bien souvent de fabriquer d’autres paroles en conservant la mélodie et l’accompagnement : nous l’avons constaté à propos de Jacques Dutronc (l’on pourrait tout aussi bien évoquer la Vache à mille francs, au succès aujourd’hui incompréhensible). Le pastiche qui consiste à écrire des chansons entièrement nouvelles (paroles et musiques) tout en imitant un style reconnaissable, voire poussé jusqu’à la caricature, est une forme plus rare -- et de ce fait, bien plus impressionnante lorsqu’elle est réussie.
Un mardi de 1980, la chaîne radiophonique britannique BBC Radio 4 laisse l’antenne pendant 28 minutes à une étrange station : Radio Active (c’est son nom) se présente comme «la première radio locale nationale», mais ne se définit guère que par son degré invraisemblable d’amateurisme... Et pour cause : il s’agit en fait d’une radio fictive, au service d’une émission purement parodique imaginée par trois humoristes, une comédienne et un musicien. Radio Active rencontrera un succès certain (sept saisons et plus de 50 épisodes, suivis dans les années 1990 d’une adaptation à la télévision) et durable : outre les innombrables rediffusions et produits dérivés (cassettes, livres) de l’émission elle-même, chacun de ses interprètes et créateurs a connu une carrière remarquable par la suite.
La réussite de Radio Active tient en grande partie à son emballage musical et sonore, entièrement dû au musicien Phil Pope. On y rencontre de nombreuses blagues musicales, des musiques d’ambiance caricaturales ou incongrues et d’excellents jingles toujours subtilement parodiques : voix exagérées, phrases instrumentales inutilement longues, etc. Cependant, ce sont les chansons présentées par cette radio qui méritent qu’on s’y attarde tout particulièrement.
Dès ses tous premiers épisodes, Radio Active introduit, sous un prétexte de pure illustration musicale, ce qui apparaîtra rapidement comme la signature (et sans doute, de fait, la motivation première) de ses auteurs : des chansons évoquant les tubes de l’époque, interprétées par des groupes fictifs aux noms calembouresques. À peu près toute la pop music anglo-saxonne de la décennie aura droit à ce traitement parodique (on peut en trouver quelques exemples sur YouTube) ; les jeux de mots sont en général atroces (et de ce fait, excellents), les voix impeccablement convaincantes (fût-ce dans un style sirupeux), et -- surtout -- l’écriture mélodique, harmonique et les arrangements sont d’une intelligence redoutable : à la fois extrêmement bien construits, et très finement exagérés dans les tics propres à l’auteur parodié.
La première de ces chansons est également la plus mémorable : Meaningless Songs In Very High Voices, interprété par les Hee Bee Gee Bees (à ne pas confondre avec un récent groupe israélien). De fait, c’est sous ce nom que les trois chansonniers de Radio Active (Angus Deayton, Geoffrey Perkins, Michael Fenton Stevens, sans oublier les arrangements de Phil Pope) resteront connus, publieront plusieurs disques, et se retrouveront même propulsés au top 10 des tubes... en Australie (la patrie d’origine des Bee Gees authentiques).
Remarquable par son interprétation autant que par son écriture, cette chanson exemplaire offre plusieurs niveaux de compréhension : du plus farcique (les effets vocaux ridicules, encore que l’original n’est pas sans offrir tout ce qu’il faut en la matière) au plus subtil (l’arrangement instrumental et les interventions des chœurs). Le texte des paroles est un commentaire auto-référentiel portant autant sur la forme que sur l’exécution vocale : on rejoint là l’exercice que l’Oumupo propose de nommer métachant. «Meaningless Songs in Very High Voices»... tout est dit dès le titre.
Comme pour beaucoup de comédies britanniques, l’écriture de Radio Active vieillit remarquablement bien : 37 ans après leur première apparition au festival Fringe d’Edinburgh, ses créateurs et interprètes s’y sont retrouvés en 2016 pour y rejouer un de leurs épisodes -- sans aucune modification nécessaire, tant cet humour reste d’actualité. Et pourtant, notre rire lui-même a changé de nature : l’auditeur d’aujourd’hui a l’habitude de l’humour auto-référentiel et de cet état d’esprit méta qui a contaminé l’ensemble du champ médiatique savant et populaire. Un exemple frappant se trouve dans les radios fictives incluses depuis les années 2000 dans la série de jeux vidéo GTA, et qui comprennent de fausses publicités, des parodies de débats (imaginées notamment par Lazlow Jones, véritable animateur radio), des journaux d’actualité effroyablement propagandistes comme dans la vraie vie, et même de très drôles jingles chantés (la station Flash FM du jeu GTA Vice City Stories est une vraie réussite à ce titre). La comparaison avec Radio Active se fait d’elle-même.
Quant à cette dernière, l’écouter ou la réécouter aujourd’hui permet facilement de penser y déceler un niveau de commentaire absurde, de désabusement caustique et de satire socio-culturelle : il serait pourtant largement anachronique de prêter une telle intention à ses auteurs, qui -- nonobstant leur éducation intellectuelle, leur large culture et leur finesse d’observation -- ne l’ont probablement conçue, à l’époque, que comme une suite de pitreries gratuites et sans conséquence.Parodies et pastiches abondent tout au long de l’histoire de la musique (même du temps de Jean-Jacques Rousseau, comme nous l’avions évoqué), qu’elles concernent la musique savante (l’exemple de La Truite en témoigne) ou la chanson ; c’est d’ailleurs dans ce dernier domaine que les imitations et caricatures semblent les plus aisées -- peut-être parce qu’il suffit bien souvent de fabriquer d’autres paroles en conservant la mélodie et l’accompagnement : nous l’avons constaté à propos de Jacques Dutronc (l’on pourrait tout aussi bien évoquer la Vache à mille francs, au succès aujourd’hui incompréhensible). Le pastiche qui consiste à écrire des chansons entièrement nouvelles (paroles et musiques) tout en imitant un style reconnaissable, voire poussé jusqu’à la caricature, est une forme plus rare -- et de ce fait, bien plus impressionnante lorsqu’elle est réussie.
Un mardi de 1980, la chaîne radiophonique britannique BBC Radio 4 laisse l’antenne pendant 28 minutes à une étrange station : Radio Active (c’est son nom) se présente comme «la première radio locale nationale», mais ne se définit guère que par son degré invraisemblable d’amateurisme... Et pour cause : il s’agit en fait d’une radio fictive, au service d’une émission purement parodique imaginée par trois humoristes, une comédienne et un musicien. Radio Active rencontrera un succès certain (sept saisons et plus de 50 épisodes, suivis dans les années 1990 d’une adaptation à la télévision) et durable : outre les innombrables rediffusions et produits dérivés (cassettes, livres) de l’émission elle-même, chacun de ses interprètes et créateurs a connu une carrière remarquable par la suite.
La réussite de Radio Active tient en grande partie à son emballage musical et sonore, entièrement dû au musicien Phil Pope. On y rencontre de nombreuses blagues musicales, des musiques d’ambiance caricaturales ou incongrues et d’excellents jingles toujours subtilement parodiques : voix exagérées, phrases instrumentales inutilement longues, etc. Cependant, ce sont les chansons présentées par cette radio qui méritent qu’on s’y attarde tout particulièrement.
Dès ses tous premiers épisodes, Radio Active introduit, sous un prétexte de pure illustration musicale, ce qui apparaîtra rapidement comme la signature (et sans doute, de fait, la motivation première) de ses auteurs : des chansons évoquant les tubes de l’époque, interprétées par des groupes fictifs aux noms calembouresques. À peu près toute la pop music anglo-saxonne de la décennie aura droit à ce traitement parodique (on peut en trouver quelques exemples sur YouTube) ; les jeux de mots sont en général atroces (et de ce fait, excellents), les voix impeccablement convaincantes (fût-ce dans un style sirupeux), et -- surtout -- l’écriture mélodique, harmonique et les arrangements sont d’une intelligence redoutable : à la fois extrêmement bien construits, et très finement exagérés dans les tics propres à l’auteur parodié.
La première de ces chansons est également la plus mémorable : Meaningless Songs In Very High Voices, interprété par les Hee Bee Gee Bees (à ne pas confondre avec un récent groupe israélien). De fait, c’est sous ce nom que les trois chansonniers de Radio Active (Angus Deayton, Geoffrey Perkins, Michael Fenton Stevens, sans oublier les arrangements de Phil Pope) resteront connus, publieront plusieurs disques, et se retrouveront même propulsés au top 10 des tubes... en Australie (la patrie d’origine des Bee Gees authentiques).
Remarquable par son interprétation autant que par son écriture, cette chanson exemplaire offre plusieurs niveaux de compréhension : du plus farcique (les effets vocaux ridicules, encore que l’original n’est pas sans offrir tout ce qu’il faut en la matière) au plus subtil (l’arrangement instrumental et les interventions des chœurs). Le texte des paroles est un commentaire auto-référentiel portant autant sur la forme que sur l’exécution vocale : on rejoint là l’exercice que l’Oumupo propose de nommer métachant. «Meaningless Songs in Very High Voices»... tout est dit dès le titre.
Comme pour beaucoup de comédies britanniques, l’écriture de Radio Active vieillit remarquablement bien : 37 ans après leur première apparition au festival Fringe d’Edinburgh, ses créateurs et interprètes s’y sont retrouvés en 2016 pour y rejouer un de leurs épisodes -- sans aucune modification nécessaire, tant cet humour reste d’actualité. Et pourtant, notre rire lui-même a changé de nature : l’auditeur d’aujourd’hui a l’habitude de l’humour auto-référentiel et de cet état d’esprit méta qui a contaminé l’ensemble du champ médiatique savant et populaire. Un exemple frappant se trouve dans les radios fictives incluses depuis les années 2000 dans la série de jeux vidéo GTA, et qui comprennent de fausses publicités, des parodies de débats (imaginées notamment par Lazlow Jones, véritable animateur radio), des journaux d’actualité effroyablement propagandistes comme dans la vraie vie, et même de très drôles jingles chantés (la station Flash FM du jeu GTA Vice City Stories est une vraie réussite à ce titre). La comparaison avec Radio Active se fait d’elle-même.
Quant à cette dernière, l’écouter ou la réécouter aujourd’hui permet facilement de penser y déceler un niveau de commentaire absurde, de désabusement caustique et de satire socio-culturelle : il serait pourtant largement anachronique de prêter une telle intention à ses auteurs, qui -- nonobstant leur éducation intellectuelle, leur large culture et leur finesse d’observation -- ne l’ont probablement conçue, à l’époque, que comme une suite de pitreries gratuites et sans conséquence.
John Cage aux champignons, Stravinksy en maillot de bain, Puccini qui fait du catch, Messiaen en pique-nique familial... Depuis sa création début 2014, le compte tumblr (et twitter) Composers Doing Normal Shit recense des photographies montrant des compositeurs et compositrices dans leur vie quotidienne (et se consacrant, de préférence, aux tâches les plus triviales possibles). Cet effet désacralisant (ou sacrilège, dans le meilleur sens du terme) est renforcé par les légendes les accompagnant, lapidaires et prosaïques sur un registre délibérément anachronique : «Debussy chilling out with his dog», «Scriabin kickin’ it on the lawn», «Boulez having a miserable time at lunch»... sans parler, bien évidemment, de l’intitulé même du site (originellement emprunté à un compte consacré... aux rappeurs), intraduisible en français mais suffisamment transparent.
Identifier l’auteur de ce site unique en son genre requiert de fouiller un peu, car son nom n’apparaît nulle part ; il s’agit en fait du jeune guitariste bostonien John Nolan, ce qui explique qu’y figurent une majorité de compositeurs américains. John Nolan (à qui l’on doit quelques albums combinant esthétique easy-listening et humour meta -- ainsi, il signe sous l’intitulé «John `The Nickname’ Nolan») a suivi des études universitaires où il a pratiqué l’histoire de la musique, ainsi que la composition (de musique de film mais aussi de musique savante) ; peut-être est-ce là ce qui l’a conduit à lancer cette initiative (gentiment) irrévérencieuse, par esprit de parodie ou de revanche ? En tout cas, il y a là une manière saine et intéressante d’approcher l’histoire et l’écriture sur un plan personnel ; pas forcément indispensable, mais toujours bienvenue.
Depuis une vingtaine d’années, de nombreux chercheurs en neuro-sciences s’intéressent aux schémas métaphoriques qui permettent à l’espèce humaine d’organiser et conceptualiser ses perceptions auditives : au premier rang desquels, la notion de "hauteur" qui nous permet de décrire les sons aigus ou graves en tant que "hauts" ou "bas".
Dès 1998, un article de Lawrence Zbikowski (Metaphor and Music Theory: Reflections from Cognitive Science, publié dans la revue Music Theory Online) fait le point sur cette question (et en profite pour réfuter soigneusement quelques élucubrations du philosophe réactionnaire Roger Scruton) :
Même si Scruton a postulé que les sons n’étaient concevables qu’en termes de hauteurs envisagées dans un espace vertical, des sources diverses prouvent le contraire. Les théoriciens grecs de l’antiquité ne parlaient pas de "haut" et "bas" mais de "pointu" et "lourd" ; à Bali et à Java les sons ne sont pas "hauts" et "bas" mais "petits" et "grands" ; et chez les indiens Suyá du bassin amazonien, les sons ne sont pas décrits comme "hauts" et "bas" mais "jeunes" et "vieux". Les variations dans ces manières de décrire les hauteurs musicales montrent combien la compréhension de la musique est profondément métaphorique : non seulement la hauteur des sons est une métaphore, mais ce n’en est qu’une parmi d’autres.
L’on pourrait ajouter que les langues occidentales elle-mêmes offrent d’autres métaphores pour qualifier le son, par exemple dans la dénomination des altérations accidentelles : "pointu/plat" (sharp/flat) en anglais, "dur/mou" (dür/mol) en allemand. Dans certains pays de langues romanes, la survivance de signifiants tels qu’aigu et grave en français, directement hérités de l’antiquité greco-latine (voir ci-dessus), prévaut même sur la métaphore verticale "haut/bas" (même si celle-ci reste omniprésente : ainsi pour désigner en français la position acoustique d’une note, le mot hauteur reste à peu près inévitable). Il ne s’agit d’ailleurs même pas d’une métaphore de substitution : l’emploi du mot français aigu est relativement rare en-dehors de son sens acoustique, et le sens moral de l’adjectif grave semble trop abstrait pour fonctionner véritablement en tant que métaphore. Il est d’ailleurs intéressant de constater que la plupart des recherches sur la métaphore spatiale (voir ci-dessous) sont le fait de chercheurs anglo-saxons ou germaniques, dont la langue rend le recours à cet axe vertical "haut/bas" absolument incontournable.
Le langage joue, de fait, un rôle majeur dans la cognition et la conceptualisation du monde extérieur (et tout particulièrement des phénomènes intangibles tels que le monde sonore) ; le neuro-psychologue américain Daniel Casasanto a consacré de nombreux articles à étudier ces métaphores qui nous servent à structurer et comprendre ce que l’on entend. Ces métaphores sont d’autant plus profondément ancrées qu’elles existent même (une fois acquises) sans le langage : la compréhension spatiale peut s’exprimer sous forme de gestes, de dessins, d’orientation du regard...
À ce titre, l’étude de la perception du son chez le très jeune enfant (précédant l’acquisition du langage verbal) apporte des informations précieuses... mais difficiles à évaluer. Ainsi, une étude de 2010 (Preverbal infants' sensitivity to synaesthetic cross-modality correspondences, ici en PDF) menée par une équipe britannique dirigée par Peter Walker, semble montrer que la métaphore verticale (aigu/haut, grave/bas) existe déjà chez des enfants préverbaux de trois à quatre mois. Cependant, deux études plus récentes, réalisées par une équipe néerlandaise dirigée par la chercheuse allemande Sarah Dolscheid (The Thickness of Musical Pitch: Psychophysical Evidence for Linguistic Relativity en collaboration avec Casasanto, et When high pitches sound low: Children’s acquisition of space-pitch metaphors, présentée lors du colloque Cogsci 2015), portent sur deux métaphores différentes : la métaphore "son haut"/"son bas", mais aussi la métaphore "son mince/son épais" présente notamment en Moyen-Orient (dans la langue farsi et le turc), mais aussi chez les précolombiens zapotèques. Or il semble que chez les adultes persans, mais également chez les enfants hollandais n’ayant pas encore acquis le schéma occidental classique, la métaphore verticale n’aille pas de soi : après qu’on la leur ait expliquée, une majorité des sujets (enfants et adultes) l’attribue même de façon inversée (l’aigu arrivant en bas plutôt qu’en haut).
Il faudrait par ailleurs examiner (ce qu’aucune de ces études, à notre connaissance, ne fait) un possible impact de plusieurs siècles d’une notation musicale écrite : la métaphore haut/bas ne se serait-elle pas trouvée renforcée depuis le Moyen-Âge, dans les pays occidentaux en regard des régions de tradition exclusivement orale, par l’existence de partitions où chacun peut constater que la mélodie (visuellement) "monte" et "descend" ?
Quoi qu’il en soit, il nous est donc strictement impossible de continuer à penser que la métaphore verticale des perceptions auditives serait une évidence universellement partagée (de façon innée ou non) par l’espèce humaine. Une recontextualisation culturelle et historique s’impose donc -- du même ordre, pourrait-on dire, que la prise de conscience par les musiciens occidentaux, au cours du XIXe siècle, de ce que leur langage harmonique (censément fait de tempérament "égal", de quintes "justes", d’accords "parfaits" et de cadences "parfaites") n’était pas un aboutissement universel, naturel et absolu, mais une construction culturelle parfaitement datée et arbitraire.
De surcroît, à la métaphore élémentaire en elle-même s’ajoute un ensemble culturel de références, d’imaginaire et de symboles : ainsi l’Occident associe-t-il communément des valeurs positives à la notion de "haut", et négatives à celle de "bas" (l’on pourrait d’ailleurs en dire autant de l’axe "fin"/"épais", ou encore -- d’un point de vue historique à tout le moins -- de "droite"/"gauche"). Notre métaphore de "hauteurs" nous a-t-elle donc conduits à favoriser les notes aigües plutôt que les graves ? Sans y voir nécessairement une corrélation directe, quiconque visitera un de "nos" conservatoires ne pourra manquer d’y remarquer combien les classes de violon ou de flûte sont nettement plus remplies que les classes de contrebasse ou de basson...
Heureusement qu’il reste le tuba.
Créé en 2016, le «Festival des cultures LGBT» a choisi, non sans sagesse, d’adopter le pluriel pour ne pas sembler postuler l’existence d’une culture unitaire qui rassemblerait, subsumerait, résumerait (et, pour finir, caricaturerait) l’ensemble des personnes homosexuelles, bi-sexuelles et inter- ou trans-genre. (Ce petit jeu sémiologique autour du pluriel n’est d’ailleurs pas sans rappeler la grotesque valse-hésitation qui conduisit à rebaptiser la station de radio «France Musique» en «France Musiques» pendant quelques années, avant de revenir au singulier... en attendant la prochaine lubie à la mode.)
Et pourtant : l’existence de menaces affectant l’ensemble de ces personnes (à commencer par l’épidémie de SIDA et la dénégation de certains droits civiques) a bel et bien suscité un mouvement de solidarité et l’apparition de ce que l’on peut désigner globalement comme une «communauté LGBT», même si cette dernière est faite de nombreux regroupements et courants divers et, parfois, rivaux. Dans le domaine musical, l’avènement de clubs et discothêques puis de larges manifestations, l’existence de vedettes pop assumant leur homosexualité (Elton John en est un exemple, que nous évoquions récemment), et la montée en puissance d’une esthétique queer, ont nettement dessiné un panorama musical associant les identités LGBT à des musiques «branchées» (dans tous les sens du terme : c’est-à-dire, notamment, amplifiées et électroniques).
Qu’en est-il, pour autant, de la musique savante et instrumentale ? À partir des années 1990, des regroupements se forment autour des pratiques musicales dites «classiques», à commencer par le London Gay Symphony Orchestra qui, rassemblant des musiciens de haut niveau, entame dès 1996 une trajectoire remarquable et (encore aujourd’hui) couronnée de succès, au point de susciter deux sous-ensembles autonomes : les London Gay Symphonic Winds et le London Gay Big Band. Dans son sillage se formeront d’autres orchestres, en Angleterre (le Birmingham Gay Symphony Orchestra ouvert à tous -- peut-être en mémoire de l’orchestre de Portsmouth, expérience marquante en la matière), mais aussi en Allemagne (le Rainbow Symphony de Cologne, le Concentus Alius de Berlin), au Canada (le Counterpoint Community Orchestra de Toronto), et aux États-Unis (le Queer Urban Orchestra de New-York City, les ensembles symphoniques, jazz et harmonies de Lakeside Pride à Chicago, le Bay Area Rainbow Symphony à San Francisco, le Atlanta Philharmonic Orchestra et le Minnesota Philharmonic Orchestra), et en Australie (le Melbourne Rainbow Band).
La France, pour sa part, est représentée par diverses associations, notamment son propre Rainbow Symphony Orchestra depuis 2002, et plus récemment les Concerts Gais. De fait, les orchestres LGBT semblent se développer plus aisément dans les pays anglophones, où ils sont notamment fédérés par la Lesbian and Gay Band Association. Ceci pour ne rien dire des groupes vocaux LGBT, qui sont encore plus nombreux ; l’on se contentera de mentionner ici la fédération américaine GALA et son homologue européenne Legato, qui propose notamment le festival Various Voices tous les quatre ans. La musique ne semble, en revanche, pas représentée au Festival International du Théâtre Gay de Dublin.
L’opéra est un autre champ où s’expriment des problématiques LGBT. Là encore, les pays anglo-saxons sont en première ligne : dès 1995 est créé (à Houston) un opéra sur Harvey Milk, puis peu après l’opéra Patience and Sarah à New York. C’est également à New York que sera commandé, dans la décennie suivante, l’opéra Brokeback Mountain (finalement créé à Madrid) ; ou, encore, de nouveau à Houston, l’opéra en un acte Edalat Square portant sur les exécutions d’homosexuels en Iran. Une autre création importante sera celle de Fellow Travelers en 2016 à Cincinatti. Le Royaume-Uni n’est pas en reste (à titre symbolique, l’opéra royal a d’ailleurs arboré un drapeau arc-en-ciel en 2016) ; on y trouve notamment la compagnie Secret Opera qui se plaît par exemple à réécrire Carmen... en n’y mettant que des rôles masculins (CarMen).
Un point commun aux orchestres LGBT est de ne pas prétendre exclure les interprètes cisgenre-hétérosexuels, mais de se proclamer ouverts à «toutes» les orientations et identités (les chœurs et ensembles vocaux LGBT, en revanche, sont plus exclusifs) . Ce qui ne fait qu’exprimer, en creux, le climat de discrimination existant d’ordinaire dans le milieu musical -- de fait, les travaux de Claudia Goldin et Cecilia Rouse, dès la fin des années 1990, et ceux plus récents d’Amy Louise Phelps, ont montré combien les jugements sexistes (conscients ou non) peuvent sous-tendre le milieu des orchestres symphoniques.
Le mouvement LGBT cherche également à s’ancrer dans un héritage historique, notamment en s’intéressant à l’orientation sexuelle des musiciens et artistes du passé (laquelle constitue, depuis plusieurs décennies déjà, un sujet d’étude prisé des universitaires). Les archives de la défunte encyclopédie glbtq en témoignent ; ainsi, surtout, que cette chronologie de la vie musicale LGBT au Royaume-Uni, de la Renaissance à nos jours, proposée par l’Archive LBGT UK. D’une rigueur pas toujours universitaire, cette page n’en demeure pas moins particulièrement intéressante ; il n’est que trop souhaitable que voie le jour un équivalent de ce travail à l’échelle européenne, voire mondiale.
Dans un bref témoignage paru en 2003, le chroniqueur américain Lawrence Weschler (à qui l’on doit notamment une crypto-biographie d’Oliver Sachs, et l’intéressant recueil Uncanny Valley) évoque son grand-père, le compositeur allemand Ernst Toch (1887-1964), auquel l’on doit près de deux cent œuvres (un certain nombre ayant été perdu ou détruit), dont une vingtaine de musiques de film (écrites après son exil aux États-Unis) et surtout de nombreux opus pour piano, souvent très bien écrits.
Et pourtant, ce qui fait que l’on se souvient de Toch aujourd’hui, n’était pour lui qu’une plaisanterie musicale («ein musikalischer Scherz») : il présente le 18 juin 1930, à l’occasion du festival de musique contemporaine de Berlin (Berliner Festtage für zeitgenössische Musik) et en collaboration avec Hindemith, une suite de trois pièces, intitulée Gesprochene Musik (musique parlée). Les deux premières de ces pièces (intitulées Ta-Tam et O-a) sombreront presqu’immédiatement dans l’oubli ; cependant c’est la troisième et dernière, Fuge aus der Geographie, qui est appelée à connaître un succès aussi remarquable qu’intempestif.
Construite comme une fugue d’école à quatre voix, la partition fait apparaître des paroles consistant uniquement en noms de lieux exotiques aux consonnances marquées et souvent amusantes : Titicaca, Mississipi, Canada, Popocatepetl etc., notées uniquement sous forme de rythme, nuances (très importantes) et accentuation. L’auditeur un tant soit peu familier avec la fugue s’amusera à reconnaître les entrées et le contre-sujet ; de surcroît, la pièce n’est pas sans évoquer une récitation scolaire (on se situe d’ailleurs à l’époque précise des premières Lehrstücke de Brecht et Hindemith). Ce qui contribue sans doute à expliquer la popularité jamais démentie de l’œuvre auprès des chorales et classes de musique de tous âges et de tous pays.
Là n’est pas, pour autant, la seule explication. Après avoir fui le nazisme et s’être expatrié dans la banlieue de Los Angeles, Ernst Toch reçoit la visite, en 1935, d’un musicien d’une vingtaine d’années dont les parents habitent le quartier, qui a claqué la porte de l’université et étudie depuis peu la composition avec Arnold Schönberg. Un échange surréaliste s’ensuit : «Êtes-vous bien Ernst Toch, le fameux compositeur de la Fugue Géographique, une des compositions les plus décisives de notre époque ?» Toch n’en peut mais : son interlocuteur, qu’il ne parviendra jamais à convaincre qu’il ne s’agissait que d’une plaisanterie, s’empresse de traduire l’œuvre en anglais -- le premier mot «Ratibor!» devient ainsi «Trinidad!», le public des États-Unis étant plus familier des Caraïbes visitées par Christophe Colomb que des duchés de Silésie. C’est sous cette forme qu’elle accédera à la postérité qu’on lui connaît, et deviendra l’œuvre la plus jouée non seulement de Toch, mais aussi de son jeune traducteur : un certain John Cage.
Ironie du sort, là ne s’arrête pas le quiproquo : en effet, la méprise est double. L’aspect le plus ignoré de cette œuvre est également son caractère le plus fondamentalement expérimental, lequel ne réside pas dans la «plaisanterie» de Toch, mais dans sa réelle innovation technologique. En effet, le programme co-écrit avec Hindemith en 1930, intitulé Grammophonmusik, n’était même pas destiné à être interprété par des humains, mais présenté au public entièrement sous forme d’enregistrements manipulés, "mixés" (rudimentairement) et retouchés, puis joués par un phonographe. En particulier, l’on sait que Toch faisait jouer sa Gesprochene Musik à une vitesse supérieure, altérant donc le tempo, la hauteur et le timbre des voix. Cet enregistrement a hélas été perdu lorsque Toch a dû quitter l’Allemagne précipitamment, mais il ne fait aucun doute que Cage connaissait cette particularité : il utilisera lui-même une technique fortement similaire dans son œuvre mixte Imaginary Landscape n°1 (1939), souvent considérée comme pionnière de la musique électro-acoustique (quoique prédatée, nous l’avons vu, par les travaux de Toch et d’Hindemith).
Comme l’analyse finement la musicienne et universitaire israelo-américaine Carmel Raz dans un intéressant article, l’on a donc affaire ici à un cas probablement unique dans l’histoire de la musique : une œuvre initialement électro-acoustique (avant la lettre) qui se voit réinterprétée, et finalement éclipsée, sous forme de musique vivante.
Mais de fait, les nombreux remix et versions modifiées et irrévérencieuses de cette fugue (le plus souvent dans sa traduction anglophone), en font une œuvre étonamment vivante pour son âge vénérable. En l’élevant in fine à un statut de meme, la trajectoire de cette fugue n’en souligne que davantage, paradoxalement, la pertinence et la clairvoyance de son auteur. La vision d’Ernst Toch ne s’est-elle pas trouvée confirmée et validée, à plus d’un titre ? Son «rap de Weimar», comme le qualifie son petit-fils, est resté d’une actualité mordante pour les musiciens d’aujourd’hui (y compris ceux-là que l’on dit amateurs) ; qui plus est, l’usage de médiateurs technologiques a déferlé sur l’entièreté de la création musicale, qu’elle soit savante (électro-acoustique) ou non (industrie du disque, musiques amplifiées, sampling et techno) -- sa technique même du gramophone, trouve une traduction quasi-inchangée dans la pratique contemporaine du scratching des microsillons.
Depuis les années 1970, les travaux de la chercheuse américaine Diana Deutsch (née en 1938), spécialiste en psychologie de la perception, ont mis en évidence d’intéressantes particularités de notre façon d’appréhender les phénomènes sonores. Ces illusions auditives trahissent les structures cérébrales (purement neurologiques, mais dans lesquelles entre parfois aussi un facteur culturel et linguistique) qui construisent du sens à partir de sons perçus, et les organisent en tant que langage verbal ou musical.
Au-delà du champ de recherche privilégié que constituent ces découvertes, il reste encore aux musiciens et compositeurs à s’en saisir. Le ponte électro-acousticien français Jean-Claude Risset (également né en 1938) s’y est notamment employé dès la fin des années 1960 -- souvent avec bonheur, quoique dans un langage aujourd’hui fortement daté. Toutefois, il n’est pas avéré à ce jour qu’elles puissent donner lieu à une orientation artistique et expressive : à supposer qu’elle existe, celle-ci reste à explorer.
Le pianiste américain Richard Grayson est mort ce 3 juillet 2016, à l’âge de 75 ans. Ce très grand maître de l’improvisation était également vulgarisateur et pédagogue : il avait notamment mis à disposition sur sa page Web son excellent manuel d’improvisation (en anglais).
De fait, si on lui doit de nombreuses compositions et expériences musicales intéressantes (notamment dans le domaine des instruments électroniques et programmables), c’est surtout par ses étonnantes improvisations que Grayson restera connu : sa chaîne YouTube recense près de 130 exemples d’arrangements improvisés de thèmes connus (souvent suggérés par le public) dans le style de tel ou tel compositeur, du Baroque jusqu’à l’époque contemporaine. Bien souvent, le thème ne sert que de point de départ, permettant ensuite à Grayson de déployer une construction formelle d’envergure maîtrisée, dans un style irréprochable, qui trahit de plus son impressionnante connaissance du répertoire.