Le site personnel d’André Hautot, enseignant-chercheur en physique à l’université de Liège, propose depuis 2008 des billets mensuels consacrés à des personnalités ou thématiques musicales. On notera en particulier quelques articles très documentés consacrés aux compositrices femmes, actuelles ou passées.
Hautot note, à juste titre, que les exemples de femmes compositrices remontent au Moyen-Âge avec une vingtaine de trobairitz répertoriées. Il affirme (de façon peut-être un peu rapide) que la Renaissance n’a guère laissé de place aux femmes, et qu’il faut attendre le Baroque italien pour rencontrer les deux exemples les plus marquants : Francesca Caccini (fille du compositeur) et Barbara Strozzi. Il évoque également la grande claveciniste française Élisabeth Jacquet de la Guerre, à la fin du XVIIe siècle.
De fait, c’est en France que l’on trouvera un peu plus tard, à l’époque pré-romantique, plusieurs exemples de femmes compositrices : Hautot évoque le cas d’Hélène de Montgeroult ainsi que les très intéressantes Louise Farrenc et Louise Bertin ; l’on pourrait également mentionner Rose-Adélaïde Ducreux (fille du célèbre peintre rappeur Joseph Ducreux, et également peintre elle-même), Sophie Bawr (plus dramaturge que compositrice), Pauline Duchambge et Marie Bigot (toutes deux pianistes). Suivra la génération des Fanny Mendelssohn, Clara Schumann et autres Alma Mahler.
Reste un problème épistémologique et philosophique inhérent à toute énumération de ce type (le plus souvent établie par des commentateurs de genre masculin, au demeurant) : au nom de quoi serait-il pertinent de juxtaposer des écritures et époques aussi différentes ? Prétendre valoriser «les compositrices» tout en les circonscrivant d’une façon grossière (voire paternaliste) ne revient-il pas à anéantir le but même que l’on prétend poursuivre ? Ce questionnement pourrait paraître purement théorique ; il acquiert pourtant une douloureuse actualité en notre époque où des politiques de parité stricte, aux intentions louables et à la vue courte, ont permis à certaines auteurs de sortir d’un oubli injuste, mais conduisent également de nombreux lieux culturels à faire tourner en boucle une poignée de compositrices à l’écriture parfois paresseuse et médiocre.
Le centenaire de la mort de Franz Joseph Haydn, en 1909, donne lieu à d’innombrables célébrations à travers l’Europe entière : colloques, concerts, exhumation d’œuvres inédites ou oubliées. En France, c’est Jules Écorcheville (né en 1872), fondateur de la Société Internationale de Musique et directeur de sa revue «S.I.M.», qui propose à divers compositeurs de rédiger des hommages à Haydn.
Un problème se pose alors : comment traduire par des notes de musique les cinq lettres de son nom ? En effet, la notation anglaise de la gamme (en commençant par La naturel) ne va que jusqu’à la lettre G ; la notation allemande, assignant la lettre B au Si bémol, permet d’aller jusqu’à H pour le Si naturel (pour le plus grand bonheur de Bach, qui peut ainsi orthographier son nom entier)... Mais ces systèmes restent essentiellement défectifs, même si certains compositeurs (tels que Schumann) font preuve d’imagination en traduisant par exemple la lettre S par Es, c’est-à-dire Mi bémol.
Écorcheville prend l’initiative de prolonger la gamme en faisant tourner les lettres de l’alphabet de façon cyclique. S’il a l’avantage de la simplicité, ce dispositif n’est pas sans incohérences : ainsi dans le nom de HAYDN, le côtoiement des lettres Y et D oblige à répéter deux fois de suite la même note (Ré naturel).
Ce système ne sera pas sans susciter quelques remarques acrimonieuses ; ainsi dans une lettre du 16 juillet 1909, le vieillard Saint-Saens exhorte son ancien élève Fauré à rejeter l’appel d’Écorcheville tant que ce dernier n’aura pas «prouvé» (?) que les lettres Y et N correspondent à Ré et Sol, ajoutant non sans trahir sa véritable préoccupation qu’«il serait malvenu de s’engager dans une entreprise ridicule qui ferait de nous la risée des musiciens allemands.»
De fait, Ni Fauré ni Saint-Saens ne contribueront (pas plus que Massenet, dont on ignore même s’il a répondu à Écorcheville) au numéro de la revue «S.I.M.» daté de 1910 et entièrement consacré à Haydn. (Voir p.29 et suivantes dans le document PDF ; les autres articles sont tous dignes d’intérêt, «S.I.M.» ayant manifestement eu à cœur de substituer à la superficialité mondaine du «Mercure Galant», un véritable souci de rigueur académique.) On y trouve notamment une valse lente méconnue de Debussy (un an avant la «Plus que lente»), un Prélude Élégiaque de Paul Dukas, un Thème varié néoclassique de Hahn, un Menuet-trio de l’infâme d’Indy, le célèbre Menuet de Ravel (dans lequel le motif donné de cinq notes est exploré dans tous les sens et renversements possibles), et une fugue d’école de Widor. Au final, se dessine ainsi un aperçu remarquable de la création musicale française de la décennie, pour le meilleur et pour le pire.
Pendant l’entre-deux guerres, ce sera dans la «Revue Musicale» fondée et dirigée par Henry Prunières (1861-1942) que se regroupent des compositeurs autour du codage d’un nom : FAURÉ en octobre 1922 (avec Aubert, Enesco, Koechlin, Ladmirault, Ravel, Roger-Ducasse et Schmitt) puis ROUSSEL en 1928 (avec Beck, Delage, Hoérée, Honegger, Ibert, Milhaud, Poulenc et Tansman). L’on pourrait y ajouter, même si aucun motif mélodique n’a été donné à cette occasion, cet extraordinaire «Tombeau de Claude Debussy» dès la fondation de la revue en 1920, réunissant Bartók, Dukas, Goossens, Falla, Malipiero, Ravel, Roussel, Satie, Schmitt et Stravinsky :
https://urresearch.rochester.edu/institutionalPublicationPublicView.action?institutionalItemId=20987
Quelques décennies plus tard, ce n’est pas un compositeur mais un chef d’orchestre, Paul Sacher (1906-1999) qui prête son nom à l’incroyable brochette de compositeurs contemporains réunie par le violoncelliste Rostropovitch en 1976 : Beck, Berio, Boulez, Britten, Dutilleux, Fortner, Ginastera, Halffter, Henze, Holliger, Huber et Lutosławski. Au moyen de deux subterfuges (la lettre S étant, comme on l’a vue, traduite par Mi bémol, et la lettre R étant arbitrairement assignée au Ré naturel), la question du codage des lettres éloignées dans l’alphabet est ici escamotée.
https://en.wikipedia.org/wiki/Sacher_hexachord
Pour en revenir à Jules Écorcheville, celui-ci restera, à son corps défendant, comme l’inventeur d’un codage notes-lettres simpliste et diatonique dit «à la française», ce qui est d’autant plus ironique pour quelqu’un qui a précisément remplacé la Société Nationale de Musique par une «Société Internationale», et qui proclame avec ferveur en 1911 que «l’internationalisme relève de l’intelligence et de la réflexion».
http://www.musicologie.org/Biographies/e/ecorcheville_jules.html
Trois ans plus tard, le monde entre en guerre et il se rend à cette «grande représentation franco-allemande» pour y tenir un rôle qu’il croit humanitaire, et y défendre sa vision d’une culture musicale dépassant les frontières : «Nous partons en chantant la Marseillaise, mais nous reviendrons en chantant l 'Internationale (S.I.M.)!». C’est cependant dans le vacarme des tranchées qu’il meurt, le 19 février 1915.
Au chimiste corse Angelo Mariani (1838-1914), l’on doit non seulement la commercialisation du «vin Mariani» (à l’extrait de coca) qui transforma une bonne partie de la population en cocaïnomanes déchaînés, mais également une conception visionnaire et agressive de la publicité qui façonnera radicalement la société moderne, dite «de consommation».
C’est au début des années 1890 que Mariani commence à acheter régulièrement de larges encarts dans la presse quotidienne nationale (notamment Le Figaro) pour y promouvoir son breuvage accompagné d’un portrait (réalisé d’après photographie) et de la dédicace manuscrite d’une célébrité du moment. Cette combinaison (image+dédicace "personnalisée", dirait-on aujourd’hui), faisant signe vers le phénomène plus tard dénommé «star system», touche non seulement un public de choix (la bonne société lettrée et urbaine, à la fois cœur de cible et prescripteur pour le corps social dans son ensemble), mais incite d’autres personnalités mondaines à se prêter à l’opération.
Cette mode ne fait que s’accroître avec la parution régulière, dès 1894 et sous l’impulsion du bibliophile Octave Uzanne (1851-1931), d’«Albums Mariani» regroupant en recueil les dédicaces et autographes précités, accompagnés non seulement du portrait de chaque célébrité mais de deux pages biographiques d’une flagornerie éhontée. Flattant habilement le narcissisme des heureux élus, ces albums deviendront rapidement un «Who’s Who» de la haute société qui se bouscule pour y figurer et assurer la promotion du vin Mariani. Plus de 1000 personnalités y figureront en tout (dont l’inventaire exact reste, d’ailleurs, à faire) : écrivains français (Hugo, Verne, Zola, Hérédia, Colette, Renard, Mistral -- ce dernier étant non seulement très lié avec Mariani mais aussi rompu à l’exercice publicitaire : on lui doit notamment de nombreux quatrains pour la savon Mikado), dramaturges (Feydeau, Courteline, Dumas fils), auteurs étrangers (Wells, Ibsen), artistes (Rodin, Sarah Bernhardt), inventeurs (les frères Lumières, Edison), personnalités politiques (Louise Michel, Anatole France, Gambetta, pas moins de sept présidents de la république française) et dignitaires du monde entier (président des USA, reine d’Angleterre, czar de Russie)...
Le monde musical n’est évidemment pas en reste, d’autant plus volontiers que les fragments de partition tracés hâtivement à la main constituent une forme originale de dédicace entre gens de bonne compagnie. Tentons donc de recenser ces autographes musicaux, en commençant par les divas, et chanteurs d’opéra :
Rose Delaunay, 1890
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206023v/f76.image
Anne Judic, 1895
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6569202c/f195.image
Renée du Minil, 1900
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k406114m/f52.image
Obin, 1894 (sur un air de Auber)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206023v/f151.image
Jean-Baptiste Faure (de l’Opéra), 1896
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6569202c/f135.image
Lucien Fugère (de l’Opéra Comique), 1897 (sur un air de Rossini)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6569202c/f135.image
Tagliafico, 1894 (ancien chanteur, impresario)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206023v/f212.image
Raoul Pugno, 1927 (pianiste)
http://pmcdn.priceminister.com/photo/876567368.jpg
http://ecx.images-amazon.com/images/I/412Ok74QfnL.jpg
Les compositeurs furent abondamment mis à contribution par Mariani. Ainsi de Charles Gounod, dont la relation avec le vin de coca prend tout son sens lorsque l’on connaît son tempérament fortement dépressif, particulièrement dans ses vieux jours. Il adresse ainsi au vin Mariani, en 1894, une brève louange en Do Majeur pour chœur d’hommes :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206023v/f106.image
Le compositeur Émile Pessard lui réplique par un chœur responsorial pour voix aigües quelques semaines plus tard : «Je complète le chœur de Gounod, à la demande des femmes et des enfants qui doivent au vin Mariani et à l’élixir de coca du Pérou la force, la fraîcheur et la santé» [sic]
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206023v/f160.image
S’ensuit tout un défilé de "petits maîtres" tels que, la même année, Bernard Salvayre, surnommé pour l’occasion... "le Verdi de Toulouse".
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206023v/f193.image
Jules Massenet, en 1895, fait preuve de plus d’imagination en rédigeant un "antique chant péruvien" -- de tout notre corpus, c’est le seul fragment dépourvu de paroles, et certainement le plus intéressant musicalement :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6569202c/f219.image
Victorin Joncières, 1896
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6569202c/f187.image
Ernest Boulanger, 1896 (sur l’air des "Sabots de la marquise")
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6569202c/f63.image
Robert Planquette, 1897
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k299357b/f198.image
Théodore Dubois, 1897
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k299357b/f89.image
Alfred Bruneau, 1900
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k406114m/f52.image
Gustave Charpentier, 1901 (se contente manifestement du minimum syndical)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2060260/f51.image
Pietro Mascagni, 1904 (sombré dans l’oubli après son opéra «la Cavaliera rusticana» de 1890 ; il s’agit du seul compositeur étranger de notre corpus)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k205989q/f187.image
Armande de Polignac, 1911
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k205992d/f223.image
Se dessine ainsi un panorama de la création musicale française post-romantique dans ce qu’elle a de plus tarte ; si l’on échappe à Delibes, Chabrier, Saint-Saens ou Lalo, l’on doit s’avouer frappé de constater que n’y figurent ni Debussy, Ravel, Satie ou les jeunes fondateurs du groupe des six, ni les auteurs étrangers de premier ordre qui fréquentèrent Paris à cette époque : Falla, Stravinsky, Prokofiev... Malgré son indéniable effort d’ouverture aux personnalités de sexe féminin et d’origines ou de cultures diverses, le vin Mariani apparaît comme indissociable de l’esprit cocardier et obtus fin-de-règne de la prétendue «Belle» Époque, de cette paresse intellectuelle embourgeoisée qui présidera jusqu’à la Grande Guerre. Du reste, si les albums Mariani se poursuivront tant bien que mal jusqu’au début des années 1930, les fragments musicaux tendent à s’y raréfier dès le début du XXe siècle, et en disparaissent presque entièrement après le décès d’Angelo Mariani en 1914.
Seule y fait exception une petite valse en Ré Majeur publiée en 1925, qui constitue d’ailleurs le fragment le plus développé et abouti de notre recensement :
http://www.persee.fr/renderPage/pharm_0035-2349_1980_num_68_247_2084/0/1456/pharm_0035-2349_1980_num_68_247_T1_0232_0003.jpg
Nonobstant sa tournure guillerette et sa relative platitude (à l’exception d’un saut de septième puis d’octave au centre de la mélodie), cette épigramme musicale prend une saveur étrangement douce-amère lorsqu’on sait qu’elle constitue la toute dernière partition rédigée, peu de temps avant sa mort et malgré une surdité quasi-totale... par un certain Gabriel Fauré.
La sonde Voyager, première du nom (lancée en 1977), recèle un disque de cuivre plaqué or qui contient de nombreuses données jugées représentatives de la Terre et de la civilisation humaine dans son ensemble : photographies, électro-encéphalogramme humain, cartographie spatiale, salutations enregistrées dans diverses langues. Son chapitre musical, quant à lui, fait apparaître quelques œuvres dites «classiques» (Bach, Beethoven) ainsi qu’un nuancier d’esprit «world music» (chants traditionnels indien, péruvien, pygmée, japonais) et de musiques populaires dites «actuelles» (blues, etc.).
Saluons au passage la cohérence de la maison de disques EMI, qui s’opposa à l’inclusion de la chanson «Here Comes The Sun» des Beatles, violation de copyright intolérable à ses yeux.
Autre anecdote, rapportée par Lewis Thomas : à Freeman Dyson qui lui suggérait de n’inclure que de la musique de Jean-Sébastien Bach, Carl Sagan aurait répondu «non, ça nous ferait passer pour des crâneurs».
Un quart de siècle plus tard, la sonde Beagle 2, lancée en 2003 par le Royaume Uni en direction de Mars, inclut d’autres œuvres, notamment du plasticien britannique Damien Hirst. Son arrivée sur la planète rouge a été annoncée par un signal sonore de neuf notes composé par le groupe de rock Blur, alors à la mode (malgré l’échec de la mission, il semble avéré que l’indicatif s’est effectivement fait entendre dans l’atmosphère martienne).
C’est en 2012 que la sonde Curiosity, depuis la surface de Mars, a diffusé une chanson en direction de la Terre : il s’agit de Reach For The Stars, du rappeur Will.I.Am.
Curiosity ne s’est pas arrêtée là : un an plus tard, elle a donné à entendre (en faisant vibrer son mécanisme d’analyse d’échantillons du sol) la mélodie «Happy Birthday To You», ce qui a conduit certains commentateurs à se demander si le groupe Warner allait la poursuivre pour représentation non-autorisée (les paroles n’ayant pas été incluses dans l’exécution, cela semble improbable -- du reste, nous savons aujourd’hui que ce soi-disant copyright n’était qu’un grossier attrape-nigauds).
De nombreuses autres musiques ont été jouées dans l’espace, pour le seul bénéfice des astronautes. Ainsi, dès 1965, Wally Schirra et Tom Stafford emmenaient à bord du vaisseau Gemini un harmonica et une clochette. Lors des missions Apollo, Jim Lovell raconte que les astronautes sont autorisés à emporter un baladeur et une cassette ; une des chansons alors jouées sera naturellement le «Fly Me To The Moon» chanté par Frank Sinatra. Sans oublier, bien sûr, la chanson entonnée par Gene Cernan lors d’une excursion sur la Lune.
Rien de tout cela ne règle le «mystère» du sifflement ouï en 1969 par l’équipage d’Apollo 10 en orbite du côté de la face cachée de la Lune, quelques mois avant la première véritable mission lunaire, sifflement que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier... de musique extra-terrestre.
Toujours à la page, notre Oumupien national Martin Granger nous signale que le Collège de ’Pataphysique s’intéresse en ce moment aux «musiques fictives». L’occasion de lire ou relire ce long article (en anglais) sur le sujet, publié dans le magazine littéraire The New Yorker en 2007 par le critique et écrivain Alex Ross (né en 1968).
Sans surprise, Ross prend pour point de départ la «Sonate de Vinteuil» imaginée par Proust, qui reste sans doute l’exemple le plus frappant d’œuvre musicale fictive. Il examine ensuite de nombreux autres exemples, connus ou moins connus, non sans les mettre en perspective avec les implications sociales et artistiques de l’époque dans laquelle ils s’inscrivent.
Extrait (traduit par nos soins) :
Laissez tomber la madeleine : de toute la Recherche du temps perdu de Marcel Proust, l’expérience sensuelle la plus excitante est celle qui fait tomber Charles Swann sous le charme d’une «petite phrase» dans la sonate pour violon d’un compositeur de province du nom de Vinteuil. C’est une mélodie de cinq notes — «légère, apaisante et murmurée comme un parfum» [...]
Proust saisit la dimension imaginaire du phénomène musical : la capacité qu’a l’esprit, sous l’influence de sons lourds de sens, à convoquer des mondes intérieurs. Lorsqu’on écoute attentivement, on ne se contente pas d’assister au flux et reflux de la musique ; on recompose la musique à sa propre image, en investissant d’un sens personnel des détails autrement inoffensifs. Un attachement peut même se créer avec une musique entendue indistinctement, entendue il y a très longtemps, ou même jamais entendue du tout. On ne peut écouter les premiers enregistrements sonores de cantatrices comme Ernestine Schumann-Heink, sans les corriger en sachant, par des témoignages écrits, combien ces chanteuses marquaient leur auditoire ; il en va de même pour les traces sonores crachotantes de Charley Patton et des premiers maîtres du blues. Je suis un pianiste médiocre, mais il y a autant de sens pour moi à massacrer les sonates de Schubert qu’à écouter les versions de référence d’Artur Schnabel et Sviatoslav Richter, car pendant que je joue mon esprit concocte une interprétation idéale.
[...]
En donnant naissance à Vinteuil, Proust s’est inscrit dans un sous-genre ésotérique : l’évocation de compositeurs qui n’existent que sur le papier. Cette catégorie remonte au moins jusqu’à la Vie remarquable du compositeur Joseph Berglinger, signée en 1796 par Wilhelm Wackenroder. Elle a donné parfois lieu à des morceaux de littérature particulièrement boursouflée, tels qu’on en trouve en 1872 dans Charles Auchester, roman d’Elizabeth Sara Sheppard qui décrit les œuvres d’un certain chevalier Seraphael : «Le premier trombone ne tarda pas à fendre le silence ; le second et troisième lui répondaient par des notes fulgurantes alors que les insistances fuguées se déployaient encore et encore ; jusqu’à ce que, telle une gloire déferlant dans toute la hauteur du Ciel des Cieux [NdT:gné?], l’orgue fit irruption, surplombant calmement l’esprit de son autorité absolue et ferme, traduite en Sons.» Cependant, de rares auteurs sont parvenus à inventer des compositeurs et des œuvres qui semblent presque aussi vrais que ceux dont on connaît la musique.En prenant ce répertoire littéraire dans l’ordre chronologique (du conte fantastique d’E.T.A. Hoffmann mettant en scène le Maître de chapelle Kreisle aux extraits époustouflants de Proust sur Vinteuil, ou encore du Docteur Faustus apocalyptique de Thomas Mann aux Tableaux d’une institution satiriques de Randall Jarrell), l’on constate l’essor puis le déclin de la musique classique comme vecteur de pouvoir culturel. Les compositeurs s’émancipent de leur serviture, s’élèvent aux sommets de la splendeur bourgeoise, inventent de nouveaux langages ésotériques, perdent l’esprit, et enfin divaguent au ban de la société et de la raison. Et pourtant, d’époque en époque, des auteurs sont revenus à ce thème central qu’est le pouvoir de la musique sur les créateurs autant que les auditeurs — tout l’art étant de reproduire, en décrivant par écrit des œuvres inexistantes, cette fascination produite par la véritable musique.
À l’occasion du trente-deuxième anniversaire d’un membre de l’Oumupo, voici une liste (évidemment arbitraire) de partitions écrites par des compositeurs à l'âge de 32 ans.
Parmi les plus notables : Peer Gynt et Boris Godounov, les trois dernières symphonies de Mozart, la romance pour violon de Beethoven, la grande Polonaise de Chopin, les valses de Brahms, l'Après-midi d'un Faune, Peter Grimes et le Marteau sans maître. Signalons aussi la couardise de gens comme Schubert ou Pergolèse, qui n'ont même pas daigné figurer dans la liste.
Purcell : https://en.wikipedia.org/wiki/King_Arthur_%28opera%29
Frescobaldi : http://imslp.org/wiki/Toccate_e_partite_d%27intavolatura,_Libro_1_%28Frescobaldi,_Girolamo%29
http://imslp.org/wiki/Recercari_et_canzoni_%28Frescobaldi,_Girolamo%29#Sheet_Music
Corelli : http://imslp.org/wiki/Trio_Sonatas,_Op.2_%28Corelli,_Arcangelo%29
Charpentier : http://imslp.org/wiki/Circ%C3%A9,_H.496_%28Charpentier,_Marc-Antoine%29
Boccherini : http://imslp.org/wiki/6_String_Quartets,_G.183-188_%28Op.22%29_%28Boccherini,_Luigi%29
Cimarosa : https://en.wikipedia.org/wiki/Giannina_e_Bernardone
Mozart : https://en.wikipedia.org/wiki/Symphony_No._39_%28Mozart%29
https://en.wikipedia.org/wiki/Symphony_No._40_%28Mozart%29
https://en.wikipedia.org/wiki/Symphony_No._41_%28Mozart%29
Beethoven : https://en.wikipedia.org/wiki/Bagatelles,_Op._33_%28Beethoven%29
https://en.wikipedia.org/wiki/Violin_Romance_No._1_%28Beethoven%29 (archi-connu)
https://en.wikipedia.org/wiki/Piano_Sonata_No._16_%28Beethoven%29
Chopin : https://en.wikipedia.org/wiki/Polonaise_in_A_flat,_Op._53_%28Chopin%29
Liszt : http://imslp.org/wiki/L%C3%A4ndler_in_A-flat_major,_S.211_%28Liszt,_Franz%29
http://imslp.org/wiki/Gaudeamus_igitur,_S.240_%28Liszt,_Franz%29 (étonnant)
Mendelssohn : https://en.wikipedia.org/wiki/Variations_s%C3%A9rieuses
Brahms : https://en.wikipedia.org/wiki/Sixteen_Waltzes,_Op._39_%28Brahms%29
Berlioz : http://imslp.org/wiki/Le_cinq_mai,_H_74_%28Berlioz,_Hector%29
Chabrier : https://www.youtube.com/watch?v=rHY6G-hoVsc
Massenet : http://imslp.org/wiki/Sc%C3%A8nes_pittoresques_%28Massenet,_Jules%29
Fauré : http://imslp.org/wiki/Ballade,_Op.19_%28Faur%C3%A9,_Gabriel%29
http://imslp.org/wiki/3_Songs,_Op.23_%28Faur%C3%A9,_Gabriel%29
Debussy : https://en.wikipedia.org/wiki/Pour_le_piano
Rimsky : http://imslp.org/wiki/Choruses,_Op.23_%28Rimsky-Korsakov,_Nikolay%29
et https://en.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9lude_%C3%A0_l%27apr%C3%A8s-midi_d%27un_faune
Glazunov : http://imslp.org/wiki/6_M%C3%A9lodies,_Op.60_%28Glazunov,_Aleksandr%29
Grieg : https://en.wikipedia.org/wiki/Peer_Gynt_%28Grieg%29
Moussorgsky : https://en.wikipedia.org/wiki/Boris_Godunov_%28opera%29
http://imslp.org/wiki/The_Seamstress_%28Mussorgsky,_Modest%29
Saint-Saens : http://imslp.org/wiki/S%C3%A9r%C3%A9nade_d%27hiver_%28Saint-Sa%C3%ABns,_Camille%29
Offenbach : https://www.youtube.com/watch?v=lqhgFhvQA6E
Granados : http://www.musicsalesclassical.com/composer/work/573/5229 (inconnu)
Elgar : https://www.youtube.com/watch?v=thz-os2y-Ns
https://en.wikipedia.org/wiki/Queen_Mary%27s_Song
Aaron Copland : https://www.youtube.com/watch?v=H7U16OL6M54
Barber : https://en.wikipedia.org/wiki/Second_Essay_for_Orchestra_%28Barber%29
Vaughan Williams : https://en.wikipedia.org/wiki/Songs_of_Travel
https://en.wikipedia.org/wiki/In_the_Fen_Country
Charles Ives : https://en.wikipedia.org/wiki/Central_Park_in_the_Dark
Schönberg : https://en.wikipedia.org/wiki/Chamber_Symphony_No._1
Prokofiev : https://en.wikipedia.org/wiki/Piano_Sonata_No._5_%28Prokofiev%29
Szymanovski : https://en.wikipedia.org/wiki/Symphony_No._3_%28Szymanowski%29
Rachmaninov : https://en.wikipedia.org/wiki/Francesca_da_Rimini_%28Rachmaninoff%29
Chostakovitch :
https://en.wikipedia.org/wiki/String_Quartet_No._1_%28Shostakovich%29
https://en.wikipedia.org/wiki/Suite_for_Jazz_Orchestra_No._2_%28Shostakovich%29
(pas celle qui est connue, une inédite)
Kabalevsky : https://www.youtube.com/watch?v=VReNyFlBaY0
Martinu : https://www.youtube.com/watch?v=gfQXHvlkoTA
Stravinsky : https://en.wikipedia.org/wiki/Pribaoutki
Poulenc : http://imslp.org/wiki/4_Po%C3%A8mes_de_Guillaume_Apollinaire,_FP_58_%28Poulenc,_Francis%29
Britten : https://en.wikipedia.org/wiki/Peter_Grimes
https://www.youtube.com/watch?v=d4UYsvv183k
Scott Joplin : https://en.wikipedia.org/wiki/Maple_Leaf_Rag
Gershwin : https://en.wikipedia.org/wiki/Girl_Crazy
Lutoslawski : https://www.youtube.com/watch?v=Jvg7h4uvlGs
Messiaen : https://en.wikipedia.org/wiki/Quatuor_pour_la_fin_du_temps
Cage : https://en.wikipedia.org/wiki/Works_for_prepared_piano_by_John_Cage#Tossed_As_It_Is_Untroubled
Feldman : https://www.youtube.com/watch?v=UW3JiVKAfmw
https://www.youtube.com/watch?v=ioFYS_lSmKM
Bouboule : https://en.wikipedia.org/wiki/Le_marteau_sans_ma%C3%AEtre
Berio : https://www.youtube.com/watch?v=HpcEu1hgRjw
Penderecki : https://en.wikipedia.org/wiki/St._Luke_Passion_%28Penderecki%29
Takemitsu : https://www.youtube.com/watch?v=8Mp1plGa-hw
https://www.youtube.com/watch?v=dIpFROcbnek
Ligeti : https://en.wikipedia.org/wiki/%C3%89jszaka_-_Reggel
https://en.wikipedia.org/wiki/M%C3%A1traszentimrei_dalok