Plus encore que les Variations Enigma de Elgar (que nous avions précédemment évoquées), l’Art de la Fugue («Die Kunst der Fuge») de J.-S. Bach semble une source inépuisable d’interprétations et spéculations.
Sa graphie même (nombre de portées variables, instrumentation incertaine) prête à s’interroger, de même que la fin abrupte du manuscrit (dans le Contrapunctus XIV, connu sous le nom même de «Fugue inachevée»). À l’endroit où cesse la partition, le fils du compositeur (C.P.E. Bach, qui se chargea de la première édition de l’œuvre) indique «Sur cette fugue, où le nom B.A.C.H. est introduit en contre-sujet, l’auteur est mort» -- assertion manifestement fausse, puisque le manuscrit date d’au moins deux ans avant la mort de Bach (date où sa vue devint trop mauvaise pour écrire de sa propre main). Deux contemporains de Bach (son préfacier Friedrich Wilhelm Marpurg et son élève Johann Friedrich Agricola) ont indiqué dès les années 1750 qu’il était mort avant d’avoir achevé l’œuvre... et pourtant, l’est-elle vraiment, inachevée ? Certains feuillets ont-ils été perdus ? À quoi aurait alors ressemblé l’œuvre effectivement complétée ? Au moins une douzaine de compositeurs et interprètes ont, à ce jour, proposé des tentatives de répondre à cette dernière question.
Autre objet de spéculation, la signification de l’œuvre -- si tant est qu’il dût y en avoir une. L’on sait que plusieurs commentateurs ont, au XXe siècle, suggéré qu’il s’agissait d’une Augenmusik, une musique pour les yeux (la formulation ne manque pas d’ironie involontaire, s’agissant d’un compositeur en train de devenir aveugle), un objet purement intellectuel et non destiné à être interprété sous forme audible. La claveciniste Martha Cook imagine ainsi une lecture mystique de l’œuvre, établissant notamment un parallèle (hasardeux ?) avec un passage de l’évangile de Luc -- nous indique Wikipédia francophone, pour une fois en pointe sur le sujet. Le violoncelliste Hans-Eberhardt Dentler, pour sa part, a proposé une théorie sans doute plus étayée portant sur la symbolique néo-pythagoricienne de l’œuvre, notamment eu égard au lien existant entre Bach et la société Milzer. Tiré par les cheveux ? Bien moins, en tout cas, que cette page étonnante examinant la gématrie de l’Art de la Fugue de façon aussi loufoque... qu’extraordinairement convaincante !
Toutes les rêveries sont évidemment possibles. Elles n’excluent d’ailleurs nullement les coups éditoriaux : l’on ne saurait attribuer au hasard (ni à quelque mystérieuse gématrie) le fait que la parution du livre de Dentler ait coïncidé avec le 250e anniversaire de la mort de Bach, et celui de Cook avec le 330e anniversaire de sa naissance...
Du Manuscrit de Voynich à Cicada 3301 en passant par le Zodiac Killer ou les «numbers stations», les énigmes indéchiffrées ne manquent pas dans notre patrimoine culturel. La plus intéressante d’un point de vue musical est certainement celle posée par les Variations op.36 du compositeur britannique Edward Elgar (1857-1934), dont le segment introductif n’est pas baptisé «thème» mais, dans la première édition parue en 1899, «Enigma» (énigme).
https://en.wikipedia.org/wiki/Enigma_Variations
Énigmatique, ce motif mélodique l’est à plus d’un titre, à commencer par son écriture même : six groupes de quatre notes (alternativement deux croches/deux noires ou l’inverse) en sol mineur, avec une symétrie centrale autour de deux sauts de septième (le reste étant exclusivement constitué de recombinaison du pentacorde sol-ré). Ce motif donne lieu à quatorze variations, dédiées chacunes à des «amis» de l’auteur -- ami(e)s dont l’identité n’est parfois donnée que de façon allusive ou cryptique. L’affaire se complique lorsque l’on sait qu’Elgar, grand passionné de cryptographie, éprouve le besoin de déclarer dans la brochure accompagnant la création :
«The Enigma I will not explain – its 'dark saying' must be left unguessed, and I warn you that the connexion between the Variations and the Theme is often of the slightest texture; further, through and over the whole set another and larger theme 'goes', but is not played [...] So the principal Theme never appears»
(De l’Énigme, je n’expliquerai rien -- sa «parole obscure» doit rester irrésolue, et je vous avertis que le lien entre les Variations et le Thème est souvent des plus ténus ; de surcroît, l’ensemble complet est «traversé» par un autre thème plus vaste, mais qui n’est pas joué [...] Donc le Thème principal n’apparaît jamais.)
Depuis plus d’un siècle, les musiciens et historiens se perdent en conjectures pour résoudre ce problème. La croyance la plus répandue est que la mélodie de Elgar ne serait que le contrepoint d’un air pré-existant, ce qui est d’autant plus probable que l’auteur lui-même s’est amusé à troller son auditoire dans les décennies suivantes, au gré de remarques telles que «c’est tellement connu qu’il est extraordinaire que personne ne l’ait trouvé».
Mais alors, quoi ? Plusieurs dizaines d’airs (plus ou moins connus, savants ou non) peuvent se superposer au motif d’Elgar avec un bonheur variable -- quoique grandement facilité par quelques manipulations de transposition, minorisation, retournement, modification rythmique ou structurelle, et le principe musical élémentaire selon lequel tout est dans tout et réciproquement. Pour n’en recenser que quelques-uns :
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parmi les chansons les plus connues du public britannique, «Auld Lang Syne» (Ce n’est qu’un au-revoir) et «God Save the King» (hymne national britannique) ont été toutes deux réfutées par Elgar de son vivant. En revanche, «Twinkle Twinkle Little Star» (Ah vous-dirais-je maman) est encore dans la course. Comment, cette dernière chanson est en majeur ? Bah, il l’a sûrement minorisée pour brouiller les pistes.
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le motif serait en fait une seule note (la tonique), répétée (Brian Trowell, 1993), correspondant à la signature de l’auteur : E-E, c’est-à-dire Mi-Mi. Comment, l’œuvre n’est pas en Mi mais en Sol ? Bah, il a dû la transposer pour brouiller les pistes.
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parmi les mélodies de grands compositeurs historiques : Bach (au moins une demi-douzaine de candidats), Purcell (La mort de Didon), Mozart (un air de Così), ou Beethoven (Sonate Pathétique) à condition de la ralentir énormément et d’intercaler des notes un peu partout -- mais puisqu’il s’agit de brouiller les pistes...
Cependant, la spéculation contrapuntique n’est peut-être elle-même qu’une fausse piste ; la formulation même de la partition et de ses dédicaces sont peut-être un autre indice déterminant.
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ainsi, plusieurs commentateurs remarquent que la mélodie est désignée par une annotation comme "fugue". Or, une fugue c’est un canon, et un canon, c’est l’Évangile. C’est sur ce raisonnement que se fonde Martin Gough (2013) pour pointer vers le Canon de Tallis, ainsi que vers toutes sortes de spéculations mystico-quelque chose :
http://elgar.org/elgarsoc/wp-content/uploads/2014/04/Vol.-18-No.-1-April-2013-Compressed.pdf -
comme les mots «mystico-quelque chose» et «Jean-Sébastien Bach» ont tendance à rimer de façon systématique, un certain Robert Padgett a consacré tout un blog à prouver, par des moyens innombrables et, disons-le, difficilement intelligibles, que le message caché était la cantate (BWV80) «Ein feste Burg ist unser Gott», d’après le choral de Luther du même nom.
http://enigmathemeunmasked.blogspot.com -
dans un brillant article de 2010, les frères Santa récapitulent quelques hypothèses classiques et y ajoutent une idée des plus séduisante : Elgar n’aurait pas voulu représenter une mélodie, mais un nombre : en analysant les rapports intervalliques et la structure du thème, ils démontrent qu’on atteint différentes approximations du nombre Pi. Le «dark saying» évoqué par Elgar fairait ainsi référence à une comptine dans laquelle des oiseaux sombres entrent dans la composition... d’une tourte («pie», c’est-à-dire «pi»). (Si certains pans de leur explication semblent hasardeux, il est indéniable que le début de la mélodie se transcrit effectivement par 3142.)
http://dx.doi.org/10.7916/D8HH6HP9 -
Parmi les explications plus littéraires, Andrew Moodie fait appel à un codage notes-lettres pour faire correspondre le début de la mélodie au nom CARICE, contraction de Caroline-Alice, les deux prénoms de la femme d’Elgar (ainsi baptiseront-ils ensemble, quelques années plus tard, leur fille). Les lecteurs et lectrices assidu(e)s de l’Oumupo s’étonneront peut-être de ce que la lettre R sorte de la solmisation habituelle anglo-saxone (et ne sera utilisée que dix ans plus tard dans le codage dit «à la française», voir http://oumupo.org/trouvailles/?uh4WUg) ; de surcroît, la mélodie commence par Si bémol-Sol et non par Do-La, qu’est-ce à dire ? Bah, il a certainement tout baissé d’un ton, pour brouiller les pistes.
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Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Edmund Green propose de faire correspondre les dédicaces de chacune des quatorze variations à des vers d’un Sonnet de Shakespeare. (Ce qui n’est pas entièrement inconcevable, mais ne s’oppose nullement à ce qu’il y ait également une énigme musicale.) Son hypothèse, tout comme la précédente, est publiée dans un numéro du Journal de la Société Elgar daté de 2004 :
http://elgar.org/elgarsoc/wp-content/uploads/2014/04/Vol.-13-No.-6-November-2004-Compressed.pdf -
À lire également dans ce numéro, un article de Stephen Picket qui propose l’hymne de la Marine anglaise «Rule Britannia». Contrairement à d’autres (notamment Theodore Van Houten, 1975), il n’y parvient pas par un raisonnement contrapuntique mais par l’examen des dédicaces des quatorze variations, dans lesquelles il pioche (dans le désordre) les lettres nécessaires pour écrire «RULE BRITANNIA», espace compris (comment écrire un espace avec des lettres ? faites preuve d’un peu d’imagination, voyons).
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Cette dernière hypothèse, très curieusement, fait l’objet d’une confirmation par la petite-fille d’un proche de Elgar, lequel lui aurait confié indirectement qu’il s’agissait effectivement de «Rule Britannia».
http://elgar.org/elgarsoc/wp-content/uploads/2014/04/Vol.-16-No.-4-March-2010-Compressed.pdf
Curieuse personnalité qu’Edward Elgar, grand amateur de sciences et de jeux d’esprit, qui maniait l’art du chiffrement de façon aussi maniaque que facétieuse ; personne, ainsi, n’est jamais arrivé à comprendre un message qu’il avait griffonné à l’intention d’une amie au moyen de demi-cercles empilés :
https://en.wikipedia.org/wiki/Dorabella_Cipher
Il se dit que le musée du lieu de naissance d’Elgar (à Broadheath non loin de Worcester) détient une enveloppe léguée par le compositeur, à n’ouvrir qu’un siècle après sa mort, laquelle contiendrait la réponse claire et définitive au mystère des Variations Enigma. Est-ce exact ? Ou peut-être s’agit-il d’un canular, voire d’une ultime pirouette du maître britannique. Nous en saurons (peut-être) davantage en 2034 ; d’ici ce jour, la partition d’Elgar reste, comme aurait dit un compositeur de la même époque (C. Ives, 1908)... une question sans réponse.
Avec la musique atonale, sérielle et post-sérielle, de nombreux théoriciens du XXe siècle ont éprouvé le besoin d’imaginer de nouvelles façons de penser l’organisation des hauteurs dans un langage tempéré (en d’autre termes, l’harmonie).
Un des premiers systèmes harmoniques post-tonaux est sans doute celui développé par Arnold Schönberg dans le premier quart du siècle, qu’il décrit paradoxalement comme une affirmation et extension (plutôt qu’une négation) de l’harmonie tonale : au schéma classique des tons voisins, il surimpose plusieurs niveaux (ou fonctions) supplémentaires, comme l’explique un excellent article de Bernard Floirat.
Dès la fin du XIXe siècle, Heinrich Schenker (1868-1935) avait ouvert la voie à un «espace tonal» élargi, et Hugo Riemann (1849-1919) proposait une relecture dualiste de la tonalité classique, associant à la gamme et à l’accord parfait majeurs, un renversement intervallique minorisant. Cette vision conduira à plusieurs extrapolations : ainsi dans les années 1930, l’américain Harry Partch (1901-1974) tentera d’appliquer cette symétrie à la série des harmoniques naturelles, rebaptisée pour l’occasion «Otonalité» (pour la série ascendante habituelle) et «Utonalité» (pour son renversement descendant).
Plus près de nous, des théories dites «néo-riemanniennes» se développent à partir des années 1980, s’appuyant en particulier sur la réflexion de Riemann concernant les accords parfaits et les modulations par tierce (par opposition aux enchaînements harmoniques de quarte ou quinte dont l’harmonie classique est sous-tendue).
Ces recherches donneront lieu dans les années 2000, entre autres charmants objets, au «Tonnetz» qui représente sous forme d’un espace torique les différents enchaînements harmoniques, là où l’harmonie classique se contentait d’un «cercle des quintes».
Aux États-Unis naît, à partir des années 1960, une école de pensée presqu’entièrement construite autour de l’expression numérique des intervalles (au sein d’un accord de trois sons, d’une gamme, d’une série ou d’un hexacorde). Des penseurs tels que Milton Babbitt (1916-2011), Howard Hanson (1896-1981) ou David Lewin (1933-2003) élaborent une théorie de l’organisation des hauteurs dans laquelle les notes et intervalles sont considérés en valeurs absolues : pour un intervalle i large de n demi-tons, si n > (12/2), alors i = (12-n). Ou pour le dire beaucoup plus simplement : on considère que "do mi" ou "mi do" sont des intervalles de même saveur (ou «chroma») quels que soient les octaves, renversements ou redoublements. Cela peut sembler une façon inutilement compliquée de dire des choses très simples : et c’est effectivement tout le problème.
Dans cette «théorie des ensembles» (Set Theory), l’on parlera plus volontiers de «12-TET» que de «tempérament égal sur douze notes» ; l’on décrira plus volontiers Do-Mi-Sol sous la notation {0,4,7} que «Tierce+Quinte» ; si l’on souhaite expliquer que cet accord parfait ne comporte ni tritons ni secondes, on l’exprimera sous forme d’un vecteur («<001110>», de son petit nom) ; la gamme majeure se nomme désormais «013568t»... et la bonne vieille «gamme par tons» disparaît sous l’intitulé «6-35».
Cette dernière notation est due à l’américain Allen Forte (1926-2014, aucun lien avec un auteur de l’Oulipo actuellement en activité), qui entreprit dans les années 1960-1970 de répertorier et numéroter toutes sortes d’ensembles intervalliques, ce qui donne aux colloques musicologiques une classe indéniable : si vous ne souhaitez pas passer pour un roturier, ne parlez pas de l’«hexacorde de Schönberg» mais dites : «6-Z44». (Le Z veut dire «zygotique», bien entendu ; si vous préférez massacrer le jargon des physiciens nucléaires plutôt que celui des biochimistes, le terme «isomérique» est également accepté.)
Tout cela est d’autant plus déconcertant que les notions effectivement mises en œuvre sont en fait d’une simplicité extrême, qui relèverait de l’évidence pour n’importe quel musicien. Au lieu de quoi, même la page Wikipédia anglophone concernant les «vecteurs intervalliques» est à ce jour affublée d’un bandeau «article trop technique».
La classification de Forte n’est, du reste, pas sans limites : comme le fait remarquer un certain Larry Solomon (aucun lien avec un membre de l’Oumupo), les nombres de Forte ne permettent pas, par exemple... de distinguer un accord parfait majeur d’un accord parfait mineur.
Oups.
Le centenaire de la mort de Franz Joseph Haydn, en 1909, donne lieu à d’innombrables célébrations à travers l’Europe entière : colloques, concerts, exhumation d’œuvres inédites ou oubliées. En France, c’est Jules Écorcheville (né en 1872), fondateur de la Société Internationale de Musique et directeur de sa revue «S.I.M.», qui propose à divers compositeurs de rédiger des hommages à Haydn.
Un problème se pose alors : comment traduire par des notes de musique les cinq lettres de son nom ? En effet, la notation anglaise de la gamme (en commençant par La naturel) ne va que jusqu’à la lettre G ; la notation allemande, assignant la lettre B au Si bémol, permet d’aller jusqu’à H pour le Si naturel (pour le plus grand bonheur de Bach, qui peut ainsi orthographier son nom entier)... Mais ces systèmes restent essentiellement défectifs, même si certains compositeurs (tels que Schumann) font preuve d’imagination en traduisant par exemple la lettre S par Es, c’est-à-dire Mi bémol.
Écorcheville prend l’initiative de prolonger la gamme en faisant tourner les lettres de l’alphabet de façon cyclique. S’il a l’avantage de la simplicité, ce dispositif n’est pas sans incohérences : ainsi dans le nom de HAYDN, le côtoiement des lettres Y et D oblige à répéter deux fois de suite la même note (Ré naturel).
Ce système ne sera pas sans susciter quelques remarques acrimonieuses ; ainsi dans une lettre du 16 juillet 1909, le vieillard Saint-Saens exhorte son ancien élève Fauré à rejeter l’appel d’Écorcheville tant que ce dernier n’aura pas «prouvé» (?) que les lettres Y et N correspondent à Ré et Sol, ajoutant non sans trahir sa véritable préoccupation qu’«il serait malvenu de s’engager dans une entreprise ridicule qui ferait de nous la risée des musiciens allemands.»
De fait, Ni Fauré ni Saint-Saens ne contribueront (pas plus que Massenet, dont on ignore même s’il a répondu à Écorcheville) au numéro de la revue «S.I.M.» daté de 1910 et entièrement consacré à Haydn. (Voir p.29 et suivantes dans le document PDF ; les autres articles sont tous dignes d’intérêt, «S.I.M.» ayant manifestement eu à cœur de substituer à la superficialité mondaine du «Mercure Galant», un véritable souci de rigueur académique.) On y trouve notamment une valse lente méconnue de Debussy (un an avant la «Plus que lente»), un Prélude Élégiaque de Paul Dukas, un Thème varié néoclassique de Hahn, un Menuet-trio de l’infâme d’Indy, le célèbre Menuet de Ravel (dans lequel le motif donné de cinq notes est exploré dans tous les sens et renversements possibles), et une fugue d’école de Widor. Au final, se dessine ainsi un aperçu remarquable de la création musicale française de la décennie, pour le meilleur et pour le pire.
Pendant l’entre-deux guerres, ce sera dans la «Revue Musicale» fondée et dirigée par Henry Prunières (1861-1942) que se regroupent des compositeurs autour du codage d’un nom : FAURÉ en octobre 1922 (avec Aubert, Enesco, Koechlin, Ladmirault, Ravel, Roger-Ducasse et Schmitt) puis ROUSSEL en 1928 (avec Beck, Delage, Hoérée, Honegger, Ibert, Milhaud, Poulenc et Tansman). L’on pourrait y ajouter, même si aucun motif mélodique n’a été donné à cette occasion, cet extraordinaire «Tombeau de Claude Debussy» dès la fondation de la revue en 1920, réunissant Bartók, Dukas, Goossens, Falla, Malipiero, Ravel, Roussel, Satie, Schmitt et Stravinsky :
https://urresearch.rochester.edu/institutionalPublicationPublicView.action?institutionalItemId=20987
Quelques décennies plus tard, ce n’est pas un compositeur mais un chef d’orchestre, Paul Sacher (1906-1999) qui prête son nom à l’incroyable brochette de compositeurs contemporains réunie par le violoncelliste Rostropovitch en 1976 : Beck, Berio, Boulez, Britten, Dutilleux, Fortner, Ginastera, Halffter, Henze, Holliger, Huber et Lutosławski. Au moyen de deux subterfuges (la lettre S étant, comme on l’a vue, traduite par Mi bémol, et la lettre R étant arbitrairement assignée au Ré naturel), la question du codage des lettres éloignées dans l’alphabet est ici escamotée.
https://en.wikipedia.org/wiki/Sacher_hexachord
Pour en revenir à Jules Écorcheville, celui-ci restera, à son corps défendant, comme l’inventeur d’un codage notes-lettres simpliste et diatonique dit «à la française», ce qui est d’autant plus ironique pour quelqu’un qui a précisément remplacé la Société Nationale de Musique par une «Société Internationale», et qui proclame avec ferveur en 1911 que «l’internationalisme relève de l’intelligence et de la réflexion».
http://www.musicologie.org/Biographies/e/ecorcheville_jules.html
Trois ans plus tard, le monde entre en guerre et il se rend à cette «grande représentation franco-allemande» pour y tenir un rôle qu’il croit humanitaire, et y défendre sa vision d’une culture musicale dépassant les frontières : «Nous partons en chantant la Marseillaise, mais nous reviendrons en chantant l 'Internationale (S.I.M.)!». C’est cependant dans le vacarme des tranchées qu’il meurt, le 19 février 1915.