Le marasme politique dans lequel se trouve actuellement le Royaume-Uni n’est probablement pas le plus apparent des troubles qui l’affectent : depuis quelques mois en effet, Big Ben ne sonne plus. On ne l’entendra à nouveau qu’au terme de quatre longues (et coûteuses) années de rénovations, un laps inédit en plus d’un siècle et demi d’existence— au demeurant non dénuée d’aléas : ainsi dès 1859, sa cloche principale, de plus de treize tonnes, se fissura après seulement deux mois d’activité, et le timbre qu’on lui connaît depuis lors résulte précisément de cette fêlure jamais comblée.
Si la renommée de Big Ben dépasse largement les rivages du Royaume-Uni, peu de non-britanniques savent que ce surnom (dont l’origine reste d’ailleurs indéterminée) désigne en fait la plus grosse des cinq cloches de la tour nord du palais de Westminster ; ce n’est qu’improprement que l’expression en est venue à désigner la tour elle-même — à cette synecdoque s’en ajoute d’ailleurs une autre, puisque l’édifice est devenu si emblématique qu’il sert couramment à résumer «l’Angleterre» toute entière : de même qu’une scène de film se déroulant en France ne semble pouvoir s’ouvrir que sur une vue de la Tour Eiffel sur fond d’accordéon, l’équivalent côté britannique sera constitué de «Big Ben» et son carillon à quatre notes. Ce petit indicatif (un jingle, au sens littéral) berce la vie quotidienne des londoniens, de la nation entière et même du monde anglophone, puisque la BBC s’en sert pour indiquer l’heure juste, les dimanches et le jour de l’an. Qu’on ne dise pas que le sound design est une invention récente !
Arrêtons-nous justement sur ce carillon, dont le motif musical doit être l’une des mélodies les plus connues au monde. Son origine est largement antérieure à Big Ben, puisqu’on l’entendit tout d’abord à la fin du XVIIIe siècle au clocher de l’église St-Mary The Great de l’Université de Cambridge (soit à une centaine de kilomètres de Londres). Lorsque celle-ci se dota d’une nouvelle horloge en 1793, c’est un des professeurs de l’université qui fut chargé de «composer» la mélodie du nouveau carillon. Joseph Jowett, professeur regius de droit civil au Trinity College, est donc considéré officiellement comme l’auteur du carillon ; il n’était cependant pas musicien, et dès le XIXe siècle se firent jour plusieurs théories selon lesquelles il aurait été suppléé par plus talentueux que lui. La plus séduisante de ces hypothèses — et non la moins probable — y voit l’œuvre d’un jeune homme brillant du nom de William Crotch (il aurait alors été âgé de 17 ans), l’assistant de John Randall, organiste titulaire de Cambridge. Enfant prodige (donnant ses premiers concerts dès quatre ans), Crotch semblait promis à un avenir glorieux : il fait jouer son premier oratorio à l’âge de 14 ans, devient même peintre occasionnel en fréquentant Malchair et Constable. Sa production ultérieure reste cependant limitée en envergure et en intérêt ; sa contribution la plus intéressante réside sans doute dans son anthologie critique Specimens of Various Styles of Music, document essentiel sur la musique britannique de cette époque.
De quel niveau de compétence musicale, au demeurant, ce carillon témoigne-t-il au juste ? Après tout, assembler quatre notes en divers motifs, ne semble pas requérir de talent considérable, particulièrement en comparaison d’autres carillons sur huit, dix ou jusqu’à seize cloches. L’on raconte ainsi que le carillon de Whittington, au quatorzième siècle, incita un jeune apprenti en fuite à revenir sur ses pas, ce qui lui permit de devenir quatre fois maire de Londres.
Outre le paradoxe d’un tel engouement pour un carillon dans un pays comme l’Angleterre où existe une riche tradition de sonneurs de cloches (par opposition aux carillonneurs, qui sont des percussionnistes à clavier), ce qui fait peut-être aussi le manque d’intérêt du carillon de Westminster, c’est peut-être aussi d’être joué par un mécanisme, si perfectionné soit-il. (Ceci pour ne rien dire des concurrents redoutables, en matière de propagande religieuse, que sont les Mu’addhins. Employer une personne en chair et en os plutôt qu’une grosse cloche avec un gros marteau mécanique ? Décidément, la sauvagerie barbaresque est à nos portes.) Impossible de savoir à ce stade à quoi ressemblera la future horloge de la tour ; il est néanmoins amusant de savoir que celle qui a officié pendant plus d’un siècle et demi n’était réglée qu’au moyen… d’un empilement de pièces de monnaie : chaque penny ajouté ou retranché résultait en un décalage d’une demi-seconde par jour.
Pour en revenir aux quatre notes de Cambridge-Westminster, on peut, tout au plus, noter qu’il s’agit d’un langage relevant de l’harmonie tonale la plus élémentaire — deux notes relèvent de l’accord de tonique, et deux de l’accord de dominante, les motifs se terminant alternativement sur la tonique et la dominante. Cependant le résultat ici imparfait, et d’autant plus frustrant d’un point de vue oumupien, qu’il ne procède même pas d’une permutation rigoureuse : la sus-tonique ne se trouve jamais en position initiale ; le deuxième des motifs (que l’on entend à la demi-heure et à l’heure pile) ne fonctionne pas sur quatre mais sur seulement trois notes ; la combinaison la plus complète (à l’heure pile) semble récapituler tous les motifs précédemment entendus mais celui du premier quart d’heure n’y figure pas… Se dégage finalement de cette écriture une certaine forme de naïveté, qui contribue peut-être au charme du carillon mais ne peut que laisser perplexe quiconque s’y penche un instant. De fait, l’organiste Louis Vierne rédigea en 1927 une pièce pour orgue seul sur ce carillon… en se trompant dans son propre relevé — anecdote amusante qui ne fait qu’illustrer l’aspect arbitraire et approximatif de son écriture.
S’il faut à tout prix un trait de génie quelque part, il serait plutôt à chercher dans la construction a posteriori entourant le carillon, devenu célébrissime lorsqu’il fut reproduit à Westminster en 1858 (et il n’est pas sans ironie, à ce propos, de noter que le motif du carillon qui sonne tous les quarts d’heure, ne fait précisément pas intervenir la cloche Big Ben, qui elle ne sonne que les heures, à la fin du quatrième motif en carillon). En effet, dans la deuxième moitié du XIXe siècle se répand le bruit (dûment colporté par toutes les encyclopédies de l’époque) que l’auteur de cette mélodie, quel qu’il soit, s’est inspiré pour l’écrire… d’un fragment du Messie de Händel. Œuvre emblématique d’un auteur qui l’est tout autant : il rédige cet oratorio à Londres en 1741, au faîte de sa gloire (non seulement auprès de la noblesse et du roi, mais un également un véritable succès populaire) et devenu sujet britannique depuis une quinzaine d’années. Trois siècles plus tard, Händel reste une icône pour le public britannique — il suffit pour s’en convaincre de voir avec quelle vivacité sont accueillies les spéculations de «musicologues», de temps à autre, sur sa sexualité (était-il homosexuel ? Impensable ! Aurait-il été l’amant de la princesse Carolyn, et le père de sa fille ? Allons donc !).
D’un emblème l’autre ; l’histoire n’a malheureusement pas retenu le nom du faussaire qui est parvenu à faire le lien entre le Messie et le carillon, permettant ainsi au royaume britannique d’écrire une nouvelle page mémorable de son glorieux roman national. Il suffisait certes pour cela d’aller chercher un fragment de quatre notes dans une partition de trois cent pages — mais encore fallait-il y penser. Et le tour est joué : ainsi un vague motif provincial de la fin du XVIIIe siècle sera-t-il dorénavant présenté comme des «variations» sur l’oratorio le plus connu de la langue anglaise, célébrant un sujet religieux qui plus est. C’est ce qu’en narratologie l’on appellerait une retcon. Ou pour employer une métaphore informatique, du reverse engineering fictif. Cependant, c’est un autre mot anglais qu’il convient ici d’employer.
Et ce mot est : bullshit.
On signale, ce samedi 18 février 2017, la mort du batteur américain Clyde Stubblefield (né en 1943), qui s’était notamment illustré en accompagnant James Brown dans plusieurs chansons qui sont devenues des succès considérables. L’une d’entre elles, Funky Drummer (1970), est notable pour un "solo" de batterie dont a été extrait un échantillon (sample) qui a servi de boucle d’accompagnement à plus d’un millier de chansons ultérieures.
Le site «Who Sampled» établit une liste intéressante des pistes les plus "samplées" à ce jour, dans laquelle figurent en bonne place non seulement Funky Drummer mais aussi d’autres chansons de James Brown (avec d’autres batteurs) : Funky President et Think (About It). Pour autant, elles n’égalent pas la popularité de la piste Amen, Brother, parue en 1969 et dont un sample de six secondes a été utilisé à près de 2500 occasions (répertoriées), comme l’évoque un documentaire fort intéressant datant de 2004.
Se pencher sur ces quelques boucles est, dans un premier temps, absolument fascinant (car l’on se rend soudain compte que de vagues motifs aujourd’hui omniprésents dans notre inconscient, à l’état de clichés aseptisés, ne sont que les maigres bribes de pistes à l’origine conçues et exécutées avec soin et inventivité)… puis très rapidement, assez répugnant (car l’on se rend soudain compte que les maigres bribes de pistes à l’origine conçues et exécutées avec soin et inventivité, ne sont plus aujourd’hui que de vagues motifs omniprésents dans notre inconscient, à l’état de clichés aseptisés).
Le «Amen break», ainsi qu’il est désigné désormais, avait été enregistré par un autre batteur de la même génération, Greg Coleman (1944-2006). Tout comme Stubblefield, il n’a pas bénéficié du succès de son enregistrement car il faisait partie des innombrables cohortes de «session musicians», humble soutiers taillables et corvéables à merci et inéligibles au droit d’auteur ou d’interprète. Stubblefield aussi bien que Coleman seront morts dans la pauvreté et l’anonymat (et même, pour ce dernier, à la rue), cependant que leurs boucles rythmiques, depuis les années 1980, nourrissent copieusement l’imaginaire sonore collectif — et les producteurs de musique de consommation, variété, rap, accompagnements de films et de réclames, dans la plus parfaite ingratitude. (Ce qui serait déjà choquant en soi, si lesdits industriels ne s’engraissaient précisément pas grâce à un régime comiquement intitulé "droit d’auteur".)
Avec Stubblefield disparaît aujourd’hui l’un des derniers témoins d’une époque où les musiques à succès étaient encore fabriquées à la main — et à la baguette.
Signalée par l’indispensable Robert Rapilly («Bob Rap») sur la Liste Oulipo, cette initiative originale propose de recréer les Exercices de style de Raymond Queneau (dans une version légèrement actualisée) en les confiant à… des rappeurs.
Métro bondé. Ligne 12. Le narrateur remarque un personnage A, grand, mince avec une grosse pomme d’Adam qui porte un bob Ricard sur la tête. A engueule son voisin B qui selon lui, en profite pour lui marcher sur les pieds à chaque fois que le métro bouge. Dès qu’une place assise se libère, il file s’asseoir. Deux heures plus tard, devant la gare Saint-Lazare, le narrateur recroise le même personnage A, en vive discussion avec un ami renoi C. C conseille à A de mettre du fromage sur ses frites.
À l’origine de ce projet sympathique, le rappeur Big Daddy SLyM et l’émission Double Neuf, diffusée sur la radio associative marseillaise BAM, en partenariat avec la MJC de Fresnes.
Dans un bref témoignage paru en 2003, le chroniqueur américain Lawrence Weschler (à qui l’on doit notamment une crypto-biographie d’Oliver Sachs, et l’intéressant recueil Uncanny Valley) évoque son grand-père, le compositeur allemand Ernst Toch (1887-1964), auquel l’on doit près de deux cent œuvres (un certain nombre ayant été perdu ou détruit), dont une vingtaine de musiques de film (écrites après son exil aux États-Unis) et surtout de nombreux opus pour piano, souvent très bien écrits.
Et pourtant, ce qui fait que l’on se souvient de Toch aujourd’hui, n’était pour lui qu’une plaisanterie musicale («ein musikalischer Scherz») : il présente le 18 juin 1930, à l’occasion du festival de musique contemporaine de Berlin (Berliner Festtage für zeitgenössische Musik) et en collaboration avec Hindemith, une suite de trois pièces, intitulée Gesprochene Musik (musique parlée). Les deux premières de ces pièces (intitulées Ta-Tam et O-a) sombreront presqu’immédiatement dans l’oubli ; cependant c’est la troisième et dernière, Fuge aus der Geographie, qui est appelée à connaître un succès aussi remarquable qu’intempestif.
Construite comme une fugue d’école à quatre voix, la partition fait apparaître des paroles consistant uniquement en noms de lieux exotiques aux consonnances marquées et souvent amusantes : Titicaca, Mississipi, Canada, Popocatepetl etc., notées uniquement sous forme de rythme, nuances (très importantes) et accentuation. L’auditeur un tant soit peu familier avec la fugue s’amusera à reconnaître les entrées et le contre-sujet ; de surcroît, la pièce n’est pas sans évoquer une récitation scolaire (on se situe d’ailleurs à l’époque précise des premières Lehrstücke de Brecht et Hindemith). Ce qui contribue sans doute à expliquer la popularité jamais démentie de l’œuvre auprès des chorales et classes de musique de tous âges et de tous pays.
Là n’est pas, pour autant, la seule explication. Après avoir fui le nazisme et s’être expatrié dans la banlieue de Los Angeles, Ernst Toch reçoit la visite, en 1935, d’un musicien d’une vingtaine d’années dont les parents habitent le quartier, qui a claqué la porte de l’université et étudie depuis peu la composition avec Arnold Schönberg. Un échange surréaliste s’ensuit : «Êtes-vous bien Ernst Toch, le fameux compositeur de la Fugue Géographique, une des compositions les plus décisives de notre époque ?» Toch n’en peut mais : son interlocuteur, qu’il ne parviendra jamais à convaincre qu’il ne s’agissait que d’une plaisanterie, s’empresse de traduire l’œuvre en anglais -- le premier mot «Ratibor!» devient ainsi «Trinidad!», le public des États-Unis étant plus familier des Caraïbes visitées par Christophe Colomb que des duchés de Silésie. C’est sous cette forme qu’elle accédera à la postérité qu’on lui connaît, et deviendra l’œuvre la plus jouée non seulement de Toch, mais aussi de son jeune traducteur : un certain John Cage.
Ironie du sort, là ne s’arrête pas le quiproquo : en effet, la méprise est double. L’aspect le plus ignoré de cette œuvre est également son caractère le plus fondamentalement expérimental, lequel ne réside pas dans la «plaisanterie» de Toch, mais dans sa réelle innovation technologique. En effet, le programme co-écrit avec Hindemith en 1930, intitulé Grammophonmusik, n’était même pas destiné à être interprété par des humains, mais présenté au public entièrement sous forme d’enregistrements manipulés, "mixés" (rudimentairement) et retouchés, puis joués par un phonographe. En particulier, l’on sait que Toch faisait jouer sa Gesprochene Musik à une vitesse supérieure, altérant donc le tempo, la hauteur et le timbre des voix. Cet enregistrement a hélas été perdu lorsque Toch a dû quitter l’Allemagne précipitamment, mais il ne fait aucun doute que Cage connaissait cette particularité : il utilisera lui-même une technique fortement similaire dans son œuvre mixte Imaginary Landscape n°1 (1939), souvent considérée comme pionnière de la musique électro-acoustique (quoique prédatée, nous l’avons vu, par les travaux de Toch et d’Hindemith).
Comme l’analyse finement la musicienne et universitaire israelo-américaine Carmel Raz dans un intéressant article, l’on a donc affaire ici à un cas probablement unique dans l’histoire de la musique : une œuvre initialement électro-acoustique (avant la lettre) qui se voit réinterprétée, et finalement éclipsée, sous forme de musique vivante.
Mais de fait, les nombreux remix et versions modifiées et irrévérencieuses de cette fugue (le plus souvent dans sa traduction anglophone), en font une œuvre étonamment vivante pour son âge vénérable. En l’élevant in fine à un statut de meme, la trajectoire de cette fugue n’en souligne que davantage, paradoxalement, la pertinence et la clairvoyance de son auteur. La vision d’Ernst Toch ne s’est-elle pas trouvée confirmée et validée, à plus d’un titre ? Son «rap de Weimar», comme le qualifie son petit-fils, est resté d’une actualité mordante pour les musiciens d’aujourd’hui (y compris ceux-là que l’on dit amateurs) ; qui plus est, l’usage de médiateurs technologiques a déferlé sur l’entièreté de la création musicale, qu’elle soit savante (électro-acoustique) ou non (industrie du disque, musiques amplifiées, sampling et techno) -- sa technique même du gramophone, trouve une traduction quasi-inchangée dans la pratique contemporaine du scratching des microsillons.
Un article daté du 24 février 2016 signé par trois chercheurs en éthologie (deux allemandes et un américain) et résumé dans New Scientist, présente un phénomène intéressant : de nombreux grands singes (en particulier les gorilles mâles dominants) ont l’habitude de fredonner pendant leurs repas, particulièrement s’ils mangent une nourriture qu’ils apprécient particulièrement. Chaque individu a son propre style mélodique, et l’âge est également un facteur dans la construction de ces chansons improvisées.
S’il ne s’agit manifestement pas -- contrairement aux chants d’oiseaux ou de grenouilles par exemple -- d’un rituel nuptial, ces chants pourraient tout de même avoir une fonction sociale : signaler aux autres membres du groupe que l’on est en train de manger et que l’on ne souhaite pas être dérangé.
Il n’y a plus qu’à attendre que, après les chants d’oiseaux et ceux des baleines, un compositeur d’inspiration biomusicale se saisisse de ces chants simiens...
Fin 2015, pour rendre hommage à la sortie du film américain The Force Awakens, l’équipe de l’émission américaine The Tonight Show, présentée par Jimmy Fallon, a diffusé cette reconstitution de la (célèbre quoique kitchissime) chanson Stayin’ Alive, faite uniquement d’extraits des différents films de la série Star Wars -- y compris parmi ses avatars les plus (honteusement) méconnus.
Entre autres allusions, on y trouve notamment le «Noooooo» de Darth Vader (introduit en 2005, puis ajouté en 2011 dans le film de 1983) ; ainsi que le Wilhelm Scream dont nous avons déjà parlé ici.
Merci à Martin Granger, toujours en alerte. (Pour les amateurs de supercuts encore plus poussés, Martin nous signale également cet ahurissant montage par ordre alphabétique du Magicien d’Oz dans sa totalité.)
Dans un domaine plus savant, nous avions signalé précédemment les travaux de Cory Arcangel autour d’une œuvre d’Arnold Schönberg.
En septembre 2014, le jeune musicien canadien Andrew Yuang a présenté sur YouTube cette vidéo où on le voit interpréter la célèbre chanson allemande Neunundneunzig Luftballons (Nena, 1983) au moyen... de 99 ballons de baudruche.
Certes, Yuang n’en est pas à son coup d’essai : sur son site Web il explique avoir déjà produit plus de 2000 chansons, dont un certain nombre (sa série intitulée Song Challenge) utilisant des objets non-musicaux ou autres contraintes ; on peut notamment le voir rapper en lipogramme en E -- ce qui est d’ailleurs probablement moins difficile en anglais qu’en français.
On peut néanmoins regretter qu’il n’aille pas au bout de son idée : ici les «ballons» (qui sont d’un nombre nettement inférieur à 99) ne servent qu’à alimenter l’échantilloneur, et le résultat relève finalement plus de la musique électronique que d’une vraie recherche instrumentale. Cette sonorité est en parfaite adéquation avec la chanson 99 Luftballons et les années 1980 auxquelles elle renvoie, mais le reste des chansons de Yuang souffre de cette froideur liée à l’utilisation intensive de synthétiseurs programmables, d’échantillons numériques séquencés et bouclés à la milliseconde près, de plugins VST et de pistes vocales Autotunées : d’où un aspect «overproduced» qui afflige aujourd’hui de nombreux YouTubeurs à la mode, masquant à tout prix l’aspect artisanal et personnel de leur démarche pour se conformer aux canons d’une industrie pourtant dépassée.
N’empêche. D’un point de vue Oumupien, il est intéressant de réfléchir à d’autres façons de revisiter une chanson ou une pièce en interprétant littéralement son titre. Notre spécialiste Martin Granger n’étant pas disponible pour l’instant, n’hésitez pas à poster vos suggestions sur notre page de contact !
Début 2015, dix ans après son ouverture, le nom de domaine ourapo.net a disparu du Web sans (presque) laisser de trace. Heureusement, la page vers laquelle il renvoyait demeure, elle, toujours accessible : il s’agit en fait d’un «audioblog» hébergé par Arte Radio (où officie son co-fondateur Thomas Baumgartner).
OuRaPo, c’est l’Ouvroir de Radiophonie Potentielle (à ne pas confondre avec l’OuTraPo, ayant trait à la Tragicomédie), regroupement de quelques expériences sonores effectuées entre 2004 et 2009, qui explorent cette zone grise ouverte par les expérimentations de la musique concrète dans la deuxième moitié du XXe siècle, de Pierre Henry (né en 1927) à Revolution 9 des Beatles (1968).
La proximité historique et l’adéquation stylistique des Oulipiens envers le médium radiophonique n’est plus à démontrer, comme en témoignent de (trop) rares archives incluses dans la playlist de l’Ourapo, notamment une brève piste enregistrée par Luc Étienne dans les années 1970 (à confronter avec ses autres travaux en la matière).
Les travaux expérimentaux les plus frappants restent sans doute ceux de Georges Perec (volontiers rebaptisé Play-Rec par l’Ourapo) à partir de la fin des années 1960, notamment pour la radio allemande puis française, et que nous avons nous-même tenté de recenser.
La nécessité d’un OuRaPo semble donc relever de l’évidence, et il faut souhaiter que son activité reprenne un jour prochain sous une forme ou une autre. Pendant ce temps, l’OuSonmupo (Ouvroir du Sonore et du Musical Potentiels) a fêté ses huit ans ; on est cependant sans nouvelles de l’OuSoPo (Ouvroir de Sonorités Potentielles) animé de 2005 à 2011 en marge du festival brestois «Longueur d’ondes». Le site de l’OuSoPo reste, toutefois, accessible à l’heure actuelle :
http://ousopo.org/