Martin Granger nous fait partager cette «petite merveille assez oumupienne» : Song Recycle, du compositeur français Pierre-Yves Macé, repose sur le traitement électroacoustique de chansons recueillies sur YouTube, dont ne sont préservées que certaines scories : phonèmes consonantiques, artéfacts de compression, etc.
Cette bande sonore est accompagnée («dans la tradition du Lied», nous dit l’auteur -- encore que cette parenté demanderait à être éclaircie) par une partie de piano faisant parfois intervenir des techniques contemporaines de jeu instrumental : gratter dans les cordes, etc.
Le projet de la pièce est explicite dès son titre, qui doit être prononcé à l’anglaise (l’auteur jouant sur la proximité syllabique entre /recycle/ et /recital/). Recycler sous-entend la notion de déchet, et il faudrait d’ailleurs se demander si le déchet n’est pas ici autant ce qui résulte du traitement électroacoustique et de la fragmentation des pistes, que de la nature même du matériau d’origine : vidéo dite "amateur", forme d’expression artistique illégitime s’il en est.
Et c’est d’ailleurs là que se trouve la différence entre la démarche de P.-Y. Macé et de nombreux travaux de la fin des années 2000, par exemple le Catcerto de Mindaugas Piečaitis (voir http://oumupo.org/trouvailles/?GSGs0Q) : si ces derniers constituent une sorte de «deffence et illustration» de la culture YouTube, Song Recycle ne célèbre ni ne tente de légitimer son matériau d’origine, mais le rend méconnaissable et n’en garde que les composantes les plus étranges et les moins identifiables, au service d’un discours musical entièrement différent.
En juillet 2009, l’artiste contemporain américano-norvégien Cory Arcangel entreprend de reconstituer les «3 Klavierstücke» op. 11 d’Arnold Schönberg, dans leur version enregistrée par Glenn Gould, en n’utilisant que des extraits de vidéos postées sur le site YouTube, où des chats jouent du piano.
Coïncidence significative, cette initiative est datée de la même époque, à quelques semaines près, que le célèbre "Catcerto" de Mindaugas Piečaitis : voir http://oumupo.org/trouvailles/?GSGs0Q
Sur son site, l’auteur présente non seulement la liste des 170 vidéos qui ont constitué son matériau de départ, mais également le code source constituant la "partition" de son montage, ainsi qu’un nombre impressionnant d’autres vidéos et sites Web constitutifs du courant culturel dans lequel il s’inscrit : YouTube, chats, copier/coller, culture du remix...
Le statut juridique de cette vidéo -- particulièrement dans les pays européens où la protection dite "fair use" est inopérante -- soulève des questions intéressantes et montre la totale inadéquation entre les textes juridiques (encore) en vigueur et les pratiques culturelles actuelles.
- La partition de Schönberg elle-même, publiée en 1909, est dans le domaine public dans de larges parties du monde, mais pas en France, raison pour laquelle nous nous devons de vous interdire formellement de cliquer sur le lien suivant : http://imslp.org/wiki/3_Pieces,_Op.11_%28Schoenberg,_Arnold%29
- L’enregistrement de Glenn Gould, paru en 1959, est entré dans le domaine public dans certains pays mais reste "protégé" un peu partout ; en Union Européenne, une directive inique d’extension du copyright (parue en 2011 et d’application rétroactive) a précisément pour but de confisquer les enregistrements publiés dans les années 1950-60. Certes, la vidéo reconstituée par des chats n’inclut pas directement l’œuvre de Gould, mais il pourrait être argué de ce que la durée et l’intensité de chaque note, ici reproduites le plus fidèlement possible, constituent l’expression de la personnalité de l’interprète et sont donc "protégées".
- Les vidéos de chats utilisées par Cory Arcangel pour son montage, comportent chacune leur droit d’auteur ; si le droit anglo-saxon fournit quelques exceptions en matière de "fair use" et de "sampling", il n’en est rien en droit français et l’auteur aurait donc été contraint de demander (éventuellement moyennant paiement) l’autorisation contractuelle de chacun des auteurs des 170 fragments utilisés.
- Au-delà de toute question juridique légitime ou non, le fait d’héberger son montage sur YouTube n’est pas sans danger quant à la pérennité de son œuvre : il suffirait aux robots d’identification de contenu "protégé" (ContentID et autres) de repérer un fragment indûment copié, pour que la vidéo soit immédiatement censurée et mise hors-circulation, sans réel recours possible.
«J'ai vu ce cat-certo à la fac. Ça a changé ma vie - c'est l'une des raisons principales pour laquelle je compose mes morceaux !! C'est excellent, non ?» -- Mike S., membre anonyme de l’Oumupo.
La principale raison d’être du Web est de célébrer nos chats domestiques, et le site YouTube n’a été inventé que pour partager les vidéos de leurs faits et gestes.
En juillet 2009, le compositeur lituanien Mindaugas Piečaitis prend pour point de départ une série de ces vidéos (montrant le chat "Nora" s’affairant sur un clavier de piano), y adjoint un accompagnement orchestral et donne naissance au premier "Catcerto" de l’histoire.
Cette initiative frappe moins par son habileté harmonique et orchestrale (au demeurant indéniable) que par ses implications culturelles : c’est non seulement la communauté -- aujourd’hui mondiale -- des "vidéos de chat" qui est ainsi légitimée, que la création musicale savante elle-même qui se retrouve intégrée et, pourrait-on dire, dé-ringardisée. Avec sa partition de moins de 5 minutes mais visionnée plus de 5 millions de fois YouTube, Piečaitis a sans doute fait davantage pour la popularisation de la musique contemporaine, que toutes les opérations institutionnelles de ces quarante dernières années...
Le «cri de Wilhelm» est un célèbre échantillon sonore utilisé pour la première fois dans les années 1950, dans un film d’aventures où un homme est mordu par un alligator et un western où quelqu’un reçoit une flèche dans la jambe. Il a ensuite été ré-employé de façon quasi obsessionnelle par les ingénieurs du son de ces dernières décennies (depuis Star Wars).
Plus d’informations sur Wikipédia (en anglais) : http://en.wikipedia.org/wiki/Wilhelm_scream
Un éditorial diffusé en 2014 par la radio publique NPR résume une série d’articles passionnants (en anglais) dans lesquels un web-designer suédois, Martin Nilsson, s’est employé à explorer l'origine de ce motif mélodique/rythmique qui, dans les produits culturels occidentaux, constitue le signe par excellence de l'orientalité (dans un sens grossier, primaire et raciste). Un exemple canonique se trouve dans un film de kung-fu de 1974, mais on le trouve aussi textuellement dans plusieurs cartoons des années 1930 ; en fait les gens qui se sont penchés sur le sujet trouvent même des proto-exemples jusqu'en 1847 ! Un magnifique travail de recherche et d’analyse.
(signalé par Strofka, de la Liste Oulipo)
D’autres exemples :
https://www.youtube.com/watch?v=Wo9RemXlVC8
https://www.youtube.com/watch?v=JAIHY0pb4xc
https://www.youtube.com/watch?v=lo3nf1Jg4Jk
https://www.youtube.com/watch?v=6Hd0F1QsXR8
https://www.youtube.com/watch?v=J8NKwFi8-WY (up tempo)
On ne manquera pas de s’étonner de ce que beaucoup de gens présentent cela comme un texte allemand, tant il est évident que c’est bien sûr du Tchèque :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Str%C4%8D_prst_skrz_krk