Début juin 2009, la radio associative WMFU (diffusée dans le New-Jersey et à New-York) poste sur son blog une série de pistes inédites, dont l’histoire est peut-être encore plus spectaculaire que le contenu.
De mars à août 1957, se tiennent au Greenwich House de New-York, tous les dimanches, des séances d’enregistrement organisées par le jeune compositeur conceptuel Earle Brown (1926-2002) et le producteur Teo Macero (1925-2008, futur producteur de Dave Brubeck et Miles Davis), lequel avait déjà contribué depuis quelques années aux Jazz Workshops du jazzman Charles Mingus. Cet atelier-là, cependant, est d’une nature très particulière : les séances en sont dirigées par un compositeur contemporain de tout premier plan, Edgard Varèse.
On sait peu, en effet, combien Varèse s’intéressait au jazz : résidant dans le Greenwich Village, il assistait régulièrement aux concerts de John Coltrane. Réciproquement, le monde du jazz ne lui était pas indifférent : ainsi, le flûtiste de jazz Eric Dolphy enregistrerait avec bonheur la pièce de Varèse Density 21.5 ; le saxophoniste Charlie Parker avait tenté d’étudier auprès de lui dans les derniers mois de sa vie, de même que le tout jeune Frank Zappa qui lui adressa à l’âge de seize ans une lettre tout aussi touchante que le témoignage qu’il en ferait ultérieurement.
Pour ces séances de 1957, se réunissent non seulement Mingus à la contrebasse et Macero au saxophone, mais aussi le batteur Ed Shaughnessy, le pianiste Hall Overton, le vibraphoniste Teddy Charles, le trompettiste Art Farmer, le clarinettiste Hal McKusick, les trombonistes Eddie Bert et Frank Rehak, le tubiste Don Butterfield,… À ces séances assistent également des personnalités essentielles de la création artistique de l’époque : John Cage et son compagnon Merce Cunningham, le compositeur James Tenney, ainsi que Earle Brown déjà mentionné.
Le rôle joué par Varèse dans ces improvisations collectives n’est pas entièrement établi : il semble qu’il ait fourni aux musiciens quelques consignes de jeu instrumental, et une partition graphique. En retour, leur langage musical et sonore a contribué à nourrir sa propre inventivité, tout particulièrement dans le Poème électronique qu’il créera l’année suivante (et dans lequel il utilisera même, selon certaines sources, des fragments de ces enregistrements).
Toutefois, c’est peut-être au regard de l’histoire du jazz lui-même que cet atelier prend son importance la plus capitale. En effet, le milieu du XXe siècle est à ce titre une période de redéfinition et de révolution esthétique, que préfigurent les improvisations collectives et poly- (ou a-)tonales de Lennie Tristano et ses épigones dès 1949, et qu’actera publiquement, en 1960, l’album Free Jazz du saxophoniste Ornette Coleman. Et c’est donc trois ans avant la naissance officielle de ce «free jazz», que les sessions de Mingus, Macero et Varèse nous donnent déjà à entendre une musique complètement nouvelle, faite de gestes instrumentaux extraordinairement libres : un moment privilégié de création, s’abstrayant de toute codification pré-existante.
Signalée par l’indispensable Robert Rapilly («Bob Rap») sur la Liste Oulipo, cette initiative originale propose de recréer les Exercices de style de Raymond Queneau (dans une version légèrement actualisée) en les confiant à… des rappeurs.
Métro bondé. Ligne 12. Le narrateur remarque un personnage A, grand, mince avec une grosse pomme d’Adam qui porte un bob Ricard sur la tête. A engueule son voisin B qui selon lui, en profite pour lui marcher sur les pieds à chaque fois que le métro bouge. Dès qu’une place assise se libère, il file s’asseoir. Deux heures plus tard, devant la gare Saint-Lazare, le narrateur recroise le même personnage A, en vive discussion avec un ami renoi C. C conseille à A de mettre du fromage sur ses frites.
À l’origine de ce projet sympathique, le rappeur Big Daddy SLyM et l’émission Double Neuf, diffusée sur la radio associative marseillaise BAM, en partenariat avec la MJC de Fresnes.
L’importance de Georges Perec, non seulement pour l’Oulipo mais pour la littérature francophone toute entière, n’est plus à démontrer. L’on connaît moins, en revanche, son lien avec l’expérimentation sonore et musicale, qui constitua pourtant une part essentielle (et pourtant largement oubliée par le public français) de son activité. Quelques livres et articles (notamment une contribution de l’universitaire Hans Hartje à un site web aujourd’hui disparu, mais que nous avons pris soin d’archiver), ainsi qu’un inventaire très complet sur Wikipédia en espagnol, permettent cependant d’en reconstituer les traces.
Dès 1966, l’écrivain allemand Eugen Helmlé (1927-2000, lui-même membre du collège de ’Pataphysique et traducteur notamment de Queneau), prend contact avec Perec (donnant naissance à une estime et une amitié mutuelles). Il parvient à faire diffuser par la station SR des adaptations en langue allemande d’écrits de Perec : Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? en 1967, et Un homme qui dort l’année suivante. Son geste le plus décisif, cependant, est qu’il parvient également à convaincre le producteur Johann-Maria Kamps (officiant d’abord sur SR puis sur WDR) de commander à Perec une création radiophonique.
Le Hörspiel est pour le jeune écrivain (alors tout juste trentenaire) un format créatif peu familier, mais dont l’importance en Allemagne de l’Ouest s’explique notamment par l’affaiblissement de l’industrie cinématographique et audiovisuelle sous l’occupation Alliée, et qui séduit beaucoup d’auteurs francophones novateurs (Beckett, Butor, Sarraute,…). Perec commence à être reconnu depuis la parution de son roman Les Choses (1965) ; il vient d’être coopté à l’Oulipo, et déborde de projets (parmi ceux-ci, un automate de «Production Automatique de Littérature Française», qui contribue d’ailleurs à le faire apprécier des Oulipiens). Cette commande, qu’il accepte avec empressement nonobstant son rapport ambivalent avec la culture allemande (du fait notamment de l’extermination de sa famille maternelle par les nazis), lui apporte non seulement un début de reconnaissance à l’étranger – et un apport financier conséquent – mais aussi une méthodologie et une orientation décisives pour la suite de son œuvre :
L’art du Hörspiel est pratiquement inconnu en France. Je le découvris au moment où s’imposa pour moi le besoin de nouvelles techniques et de nouveaux cadres d’écriture. Très vite je m’aperçus qu’une partie de mes préoccupations formelles, de mes interrogations sur la valeur, le pouvoir, les fonctions de l’écriture pouvaient y trouver des réponses, des solutions que je ne parvenais pas encore à trouver dans le cadre de mes recherches purement romanesques. L’espace privilégié du *Hörspiel* – l’échange des voix, le temps mesuré, le déroulement logique d’une situation élémentaire, la réalité de cette relation fragile et vitale que le langage peut entretenir avec la parole – sont ainsi devenus pour moi des axes primordiaux de mon travail d’écrivain.
Le premier projet qu’il propose alors, de façon quelque peu impulsive, s’intitule Der Teufel in der Bibliothek (Le diable dans la bibliothèque, 36 min.), critique acerbe de… la radio française, à commencer par la station France Culture. D’inspiration burlesque et satirique, ce texte lui sera refusé et ne sera enfin produit que plusieurs années après sa mort (en 1991 en Allemagne, et en 1992 en France). Ce projet dans lequel Helmlé est d’ailleurs l’un des personnages (sous son propre nom) montre néanmoins la confiance et la proximité de Perec avec ce traducteur-collaborateur : de fait, ils rédigeront ensemble toutes les créations à venir en langue allemande, Perec n’hésitant pas à noter lui-même en allemand quelques passages de ses brouillons.
La première œuvre radiophonique que Perec et Helmlé parviennent à faire créer, sera aussi la plus mémorable outre-Rhin : constamment rediffusée (et copiée sur YouTube), elle contribuera à montrer que la démarche expérimentale n’est pas nécessairement incompatible avec le succès populaire. Die Maschine (La Machine, 1968, 47 min.) ne met en scène aucun personnage, mais seulement diverses instances logiques dont la combinaison constitue un ordinateur futuriste (pour ne pas dire dystopien), qui prend peu à peu conscience de sa propre existence. Or ce programme informatique est chargé de réécrire (non sans lui faire subir toutes les transformations et recombinaisons de l’arsenal oulipien) une berceuse de Goethe qui est l’un des trésors les plus révérés du patrimoine littéraire allemand – et dont le texte célèbre, en des termes délicats… les vertus du silence. Dans cette œuvre provocante (qui précède d’ailleurs Mai 68 de quelques mois à peine), l’iconoclasme se teinte d’humour, mais aussi d’une réflexion plus profonde sur le statut de la poésie à l’âge de l’automatisation. La modernité est ici non seulement une thématique explicite – l’on a même pu parler de science-fiction – mais les techniques mêmes mises en œuvre dans cette production sont, en termes de montage, de traitement du son et de synthèse vocale, à la pointe de ce que permet la technologie de l’époque.
Quelques mois plus tard est diffusé un nouveau Hörspiel de Perec, là encore traduit par Helmlé : Wucherungen (mot pouvant signifier "grossissements", "inflations" mais aussi "tumeurs", 1969, 44 min.), là encore, ne donne à entendre aucun personnage mais se contente d’établir la description systématique d’un logigramme pioché par Perec dans le magazine Bull Informations (auquel contribuera par ailleurs le compositeur Pierre Barbaud, membre putatif d’un Oumupo embryonnaire), et retravaillé avec l’aide du chercheur et informaticien Bernard Jaulin (1934-2010), mais aussi semble-t-il de Raymond Queneau. Initialement écrit à une seule voix et sans ponctuation ni retours à la ligne, le texte se voit orchestré pour la radio en plusieurs voix-instances, suivant une logique similaire à celle de la Maschine.
Il n’est évidemment pas anodin que ce texte soit initialement créé dans la langue de Kafka ; ce qui n’empêchera pas, dès l’année suivante, le metteur en scène Marcel Cuvelier (spécialiste notamment de Ionesco) de le porter à la scène, en France cette fois : ainsi prend alors forme cette pièce de théâtre essentielle qu’est pour nous L’Augmentation. Ladite pièce rencontrant un succès indéniable, Perec fera peu à peu son entrée dans les médias français (nous y reviendrons ci-dessous).
À cette même époque, il se retrouve également conduit à un autre projet radiophonique, francophone cette fois, passé beaucoup plus inaperçu, et de nature bien différente puisqu’il s’agit d’un feuilleton (diffusé quotidiennement par la station Radio-Abidjan en Côte d’Ivoire), de nature purement narrative plutôt qu’expérimentale ou musicale, et pour lequel Perec invente pas moins de 165 épisodes des Extraordinaires Aventures de Monsieur Eveready, sises dans une contrée lointaine du nom… d’Oulipia.
Pour revenir à l’Allemagne : Kafka, précisément, est au centre d’un autre projet que Perec a promis à ses commanditaires. Intitulé Wie ein Hund (les derniers mots du Procès), il s’agit d’un dispositif d’énonciation à plusieurs voix (mais combien ? Perec semble se décider pour «sept voix, sept œuvres, sept séries d’animaux») visant à recomposer, selon une structure en renga, l’écriture même de Kafka (et incluant éventuellement des références à Klee et à Schumann). Ce projet, toutefois, n’avance pas, ce qui conduit l’écrivain à explorer d’autres pistes en guise de remplacement.
La recherche sur le langage, le son, la voix et la structure, est déjà un travail musical en soi (de fait, nombre de compositeurs de la même époque, tels Mauricio Kagel, s’essayent avec joie à l’exercice du Hörspiel). Aussi Perec s’adjoint-il, à partir de 1969, l’aide du compositeur Philippe Drogoz, qui restera son collaborateur attitré en matière musicale.
De cette influence résultera enfin, en décembre 1970, Tagstimmen (Voix de jour), véritable partition de musique concrète inventoriant et agrégeant des formes de discours (du balbutiement de bébé au sermon religieux en passant par des slogans et cris divers) considérées sous leur aspect phonétique et sonore. Soutenue en haut lieu (le directeur des programmes Werner Klippert ira jusqu’à en offrir le disque à tous les employés de la station), la pièce échouera pourtant à décrocher le Prix Italia, dont le jury n’accepte pas qu’un auteur présente une œuvre entièrement tributaire d’une langue qui n’est pas la sienne.
Faute de Kafka, Perec élabore dès le printemps 1971 (la rédaction n’aura lieu qu’à l’automne) une pièce conceptuelle intitulée Der Mechanismus des Nervensystems im Kopf (Fonctionnement du système nerveux dans la tête, 1972), lecture chorale à trois voix, trois monologues intérieurs coexistant en un même personnage et qui représentent chacun un niveau de représentation/conceptualisation différent – la discrimination des voix étant censément facilitée par le mixage stéréophonique (voire binaural, technique alors en plein développement). À l’été 1971, il rédigera aussi un texte (crypto-)théâtral intitulé La Poche Parmentier, qui ne sera joué qu’en France mais dont Helmlé tirera après sa mort une adaptation radiophonique en allemand (Der Kartoffelkessel, 1987).
Forts de leur relatif succès, et des moyens quasi illimités qui leur sont désormais accordés, Perec et Drogoz sont en quête d’un projet bien plus ambitieux. Conzertstück für Sprecher und Orchester (Koncerto [sic] pour récitant et orchestre, 1974) se présente comme le cheminement d’un protagoniste-témoin à travers les fragments de musique auxquels l’expose une journée ordinaire (reprenant ainsi la structure de Tagstimmen). Se succèdent ainsi dix-sept variations instrumentales (nécessitant une quinzaine d’instrumentistes solistes, auxquels s’adjoignent des instruments synthétiques et des objets concrets, parmi lesquels une machine à écrire – évoquant involontairement Satie et Cocteau), le tout organisé selon une structure improbablement complexe, impliquant un code-couleurs et une langue "polyphonésienne" inventée (faite de mots de quatre lettres), en un labyrinthe de contraintes multiples qui n’est pas sans préfigurer La Vie mode d’emploi : de fait, Perec commence dès cette œuvre à employer le double carré magique d’ordre 10 qu’il emploiera quelques années plus tard pour son «romans» au pluriel.
Cette œuvre démesurée et hors de prix fera l’objet d’âpres et houleuses négociations entre les différents services de la radio (d’autant plus lorsque les auteurs décident soudainement d’ajouter un chœur et orchestre, ou encore spécifient que la machine à écrire doit être impérativement du même modèle que celle de Perec) ; elle ne sera jouée qu’une seule fois en juillet 1974, et il ne semble pas qu’aucun enregistrement en ait subsisté. À quoi attribuer ce flop magistral ? Les biographes de Perec restent perplexes : pour David Bellos, «désacraliser Goethe, passe encore, mais s’en prendre à la musique elle-même est bien plus sacrilège – surtout en Allemagne» ; Ariane Steiner (qui est elle-même allemande) estime quant à elle que «le degré moindre d’originalité, la longueur ou l’inadéquation de l’œuvre au support radiophonique» fournissent une explication plus vraisemblable.
Cependant, parvenu à ce stade, les médias français reconnaissent déjà suffisamment Georges Perec pour lui accorder une place véritable. Outre L’Augmentation et La Poche Parmentier déjà citées, il fait jouer un «opéra miniature» intitulé Diminuendo au festival d’Avignon de 1972 (mis en musique exceptionnellement par Bruno Gillet), et l’année suivante, au même endroit, un Petit abécédaire illustré, de nouveau avec Drogoz. Ces créations seront toutes deux retransmises par l’O.R.T.F. – tout comme l’aurait été, sans nul doute, l’opéra sur cinq notes, intitulé L’Art effaré, qu’il commença à envisager avec Drogoz dès les années 1970, et dont il rédigea quelques scènes.
Il faut y ajouter plusieurs numéros de l’Atelier de Création Radiophonique diffusé sur France Culture, atelier pour lequel Perec se livre à diverses expériences, au demeurant nettement moins flamboyantes que ses créations germaniques (comme on l’a vu, le format du Hörspiel ne s’exporte point). Ainsi dans le numéro 101 du 5 mars 1972 intitulé Audioperec, l’Oulipien se voit laisser carte blanche pendant près de trois heures, et y présente notamment une pièce de musique vocale semi-improvisée pour laquelle il a établi avec son compère Drogoz une amusante partition graphique : Souvenir d’un voyage à Thouars. En 1974, l’Atelier diffuse sous l’intitulé 186.260.374.010, la bande sonore du film Un Homme qui dort. Quelques années plus tard, une autre performance de longue haleine le conduira à passer six heures devant un micro dans une fourgonnette en stationnement, pour établir une Tentative de description de choses vues au carrefour Mabillon le 19 mai 1978 (à rapprocher évidemment de sa Tentative d’épuisement d’un lieu parisien dressée par écrit quelques années plus tôt), diffusée dans le numéro 381 de l’Atelier de Création Radiophonique en 1979.
L’œuvre de Georges Perec demande donc, pour être appréhendée dans sa globalité, de ne se limiter ni à ses travaux écrits, ni même à la langue française. Et pourtant : tout autant que sa curiosité jamais démentie et son imagination débordante, ce qui frappe est la cohérence de sa démarche, dans laquelle thèmes, procédés et obsessions se font écho au-delà même du support utilisé.
Parodies et pastiches abondent tout au long de l’histoire de la musique (même du temps de Jean-Jacques Rousseau, comme nous l’avions évoqué), qu’elles concernent la musique savante (l’exemple de La Truite en témoigne) ou la chanson ; c’est d’ailleurs dans ce dernier domaine que les imitations et caricatures semblent les plus aisées -- peut-être parce qu’il suffit bien souvent de fabriquer d’autres paroles en conservant la mélodie et l’accompagnement : nous l’avons constaté à propos de Jacques Dutronc (l’on pourrait tout aussi bien évoquer la Vache à mille francs, au succès aujourd’hui incompréhensible). Le pastiche qui consiste à écrire des chansons entièrement nouvelles (paroles et musiques) tout en imitant un style reconnaissable, voire poussé jusqu’à la caricature, est une forme plus rare -- et de ce fait, bien plus impressionnante lorsqu’elle est réussie.
Un mardi de 1980, la chaîne radiophonique britannique BBC Radio 4 laisse l’antenne pendant 28 minutes à une étrange station : Radio Active (c’est son nom) se présente comme «la première radio locale nationale», mais ne se définit guère que par son degré invraisemblable d’amateurisme... Et pour cause : il s’agit en fait d’une radio fictive, au service d’une émission purement parodique imaginée par trois humoristes, une comédienne et un musicien. Radio Active rencontrera un succès certain (sept saisons et plus de 50 épisodes, suivis dans les années 1990 d’une adaptation à la télévision) et durable : outre les innombrables rediffusions et produits dérivés (cassettes, livres) de l’émission elle-même, chacun de ses interprètes et créateurs a connu une carrière remarquable par la suite.
La réussite de Radio Active tient en grande partie à son emballage musical et sonore, entièrement dû au musicien Phil Pope. On y rencontre de nombreuses blagues musicales, des musiques d’ambiance caricaturales ou incongrues et d’excellents jingles toujours subtilement parodiques : voix exagérées, phrases instrumentales inutilement longues, etc. Cependant, ce sont les chansons présentées par cette radio qui méritent qu’on s’y attarde tout particulièrement.
Dès ses tous premiers épisodes, Radio Active introduit, sous un prétexte de pure illustration musicale, ce qui apparaîtra rapidement comme la signature (et sans doute, de fait, la motivation première) de ses auteurs : des chansons évoquant les tubes de l’époque, interprétées par des groupes fictifs aux noms calembouresques. À peu près toute la pop music anglo-saxonne de la décennie aura droit à ce traitement parodique (on peut en trouver quelques exemples sur YouTube) ; les jeux de mots sont en général atroces (et de ce fait, excellents), les voix impeccablement convaincantes (fût-ce dans un style sirupeux), et -- surtout -- l’écriture mélodique, harmonique et les arrangements sont d’une intelligence redoutable : à la fois extrêmement bien construits, et très finement exagérés dans les tics propres à l’auteur parodié.
La première de ces chansons est également la plus mémorable : Meaningless Songs In Very High Voices, interprété par les Hee Bee Gee Bees (à ne pas confondre avec un récent groupe israélien). De fait, c’est sous ce nom que les trois chansonniers de Radio Active (Angus Deayton, Geoffrey Perkins, Michael Fenton Stevens, sans oublier les arrangements de Phil Pope) resteront connus, publieront plusieurs disques, et se retrouveront même propulsés au top 10 des tubes... en Australie (la patrie d’origine des Bee Gees authentiques).
Remarquable par son interprétation autant que par son écriture, cette chanson exemplaire offre plusieurs niveaux de compréhension : du plus farcique (les effets vocaux ridicules, encore que l’original n’est pas sans offrir tout ce qu’il faut en la matière) au plus subtil (l’arrangement instrumental et les interventions des chœurs). Le texte des paroles est un commentaire auto-référentiel portant autant sur la forme que sur l’exécution vocale : on rejoint là l’exercice que l’Oumupo propose de nommer métachant. «Meaningless Songs in Very High Voices»... tout est dit dès le titre.
Comme pour beaucoup de comédies britanniques, l’écriture de Radio Active vieillit remarquablement bien : 37 ans après leur première apparition au festival Fringe d’Edinburgh, ses créateurs et interprètes s’y sont retrouvés en 2016 pour y rejouer un de leurs épisodes -- sans aucune modification nécessaire, tant cet humour reste d’actualité. Et pourtant, notre rire lui-même a changé de nature : l’auditeur d’aujourd’hui a l’habitude de l’humour auto-référentiel et de cet état d’esprit méta qui a contaminé l’ensemble du champ médiatique savant et populaire. Un exemple frappant se trouve dans les radios fictives incluses depuis les années 2000 dans la série de jeux vidéo GTA, et qui comprennent de fausses publicités, des parodies de débats (imaginées notamment par Lazlow Jones, véritable animateur radio), des journaux d’actualité effroyablement propagandistes comme dans la vraie vie, et même de très drôles jingles chantés (la station Flash FM du jeu GTA Vice City Stories est une vraie réussite à ce titre). La comparaison avec Radio Active se fait d’elle-même.
Quant à cette dernière, l’écouter ou la réécouter aujourd’hui permet facilement de penser y déceler un niveau de commentaire absurde, de désabusement caustique et de satire socio-culturelle : il serait pourtant largement anachronique de prêter une telle intention à ses auteurs, qui -- nonobstant leur éducation intellectuelle, leur large culture et leur finesse d’observation -- ne l’ont probablement conçue, à l’époque, que comme une suite de pitreries gratuites et sans conséquence.Parodies et pastiches abondent tout au long de l’histoire de la musique (même du temps de Jean-Jacques Rousseau, comme nous l’avions évoqué), qu’elles concernent la musique savante (l’exemple de La Truite en témoigne) ou la chanson ; c’est d’ailleurs dans ce dernier domaine que les imitations et caricatures semblent les plus aisées -- peut-être parce qu’il suffit bien souvent de fabriquer d’autres paroles en conservant la mélodie et l’accompagnement : nous l’avons constaté à propos de Jacques Dutronc (l’on pourrait tout aussi bien évoquer la Vache à mille francs, au succès aujourd’hui incompréhensible). Le pastiche qui consiste à écrire des chansons entièrement nouvelles (paroles et musiques) tout en imitant un style reconnaissable, voire poussé jusqu’à la caricature, est une forme plus rare -- et de ce fait, bien plus impressionnante lorsqu’elle est réussie.
Un mardi de 1980, la chaîne radiophonique britannique BBC Radio 4 laisse l’antenne pendant 28 minutes à une étrange station : Radio Active (c’est son nom) se présente comme «la première radio locale nationale», mais ne se définit guère que par son degré invraisemblable d’amateurisme... Et pour cause : il s’agit en fait d’une radio fictive, au service d’une émission purement parodique imaginée par trois humoristes, une comédienne et un musicien. Radio Active rencontrera un succès certain (sept saisons et plus de 50 épisodes, suivis dans les années 1990 d’une adaptation à la télévision) et durable : outre les innombrables rediffusions et produits dérivés (cassettes, livres) de l’émission elle-même, chacun de ses interprètes et créateurs a connu une carrière remarquable par la suite.
La réussite de Radio Active tient en grande partie à son emballage musical et sonore, entièrement dû au musicien Phil Pope. On y rencontre de nombreuses blagues musicales, des musiques d’ambiance caricaturales ou incongrues et d’excellents jingles toujours subtilement parodiques : voix exagérées, phrases instrumentales inutilement longues, etc. Cependant, ce sont les chansons présentées par cette radio qui méritent qu’on s’y attarde tout particulièrement.
Dès ses tous premiers épisodes, Radio Active introduit, sous un prétexte de pure illustration musicale, ce qui apparaîtra rapidement comme la signature (et sans doute, de fait, la motivation première) de ses auteurs : des chansons évoquant les tubes de l’époque, interprétées par des groupes fictifs aux noms calembouresques. À peu près toute la pop music anglo-saxonne de la décennie aura droit à ce traitement parodique (on peut en trouver quelques exemples sur YouTube) ; les jeux de mots sont en général atroces (et de ce fait, excellents), les voix impeccablement convaincantes (fût-ce dans un style sirupeux), et -- surtout -- l’écriture mélodique, harmonique et les arrangements sont d’une intelligence redoutable : à la fois extrêmement bien construits, et très finement exagérés dans les tics propres à l’auteur parodié.
La première de ces chansons est également la plus mémorable : Meaningless Songs In Very High Voices, interprété par les Hee Bee Gee Bees (à ne pas confondre avec un récent groupe israélien). De fait, c’est sous ce nom que les trois chansonniers de Radio Active (Angus Deayton, Geoffrey Perkins, Michael Fenton Stevens, sans oublier les arrangements de Phil Pope) resteront connus, publieront plusieurs disques, et se retrouveront même propulsés au top 10 des tubes... en Australie (la patrie d’origine des Bee Gees authentiques).
Remarquable par son interprétation autant que par son écriture, cette chanson exemplaire offre plusieurs niveaux de compréhension : du plus farcique (les effets vocaux ridicules, encore que l’original n’est pas sans offrir tout ce qu’il faut en la matière) au plus subtil (l’arrangement instrumental et les interventions des chœurs). Le texte des paroles est un commentaire auto-référentiel portant autant sur la forme que sur l’exécution vocale : on rejoint là l’exercice que l’Oumupo propose de nommer métachant. «Meaningless Songs in Very High Voices»... tout est dit dès le titre.
Comme pour beaucoup de comédies britanniques, l’écriture de Radio Active vieillit remarquablement bien : 37 ans après leur première apparition au festival Fringe d’Edinburgh, ses créateurs et interprètes s’y sont retrouvés en 2016 pour y rejouer un de leurs épisodes -- sans aucune modification nécessaire, tant cet humour reste d’actualité. Et pourtant, notre rire lui-même a changé de nature : l’auditeur d’aujourd’hui a l’habitude de l’humour auto-référentiel et de cet état d’esprit méta qui a contaminé l’ensemble du champ médiatique savant et populaire. Un exemple frappant se trouve dans les radios fictives incluses depuis les années 2000 dans la série de jeux vidéo GTA, et qui comprennent de fausses publicités, des parodies de débats (imaginées notamment par Lazlow Jones, véritable animateur radio), des journaux d’actualité effroyablement propagandistes comme dans la vraie vie, et même de très drôles jingles chantés (la station Flash FM du jeu GTA Vice City Stories est une vraie réussite à ce titre). La comparaison avec Radio Active se fait d’elle-même.
Quant à cette dernière, l’écouter ou la réécouter aujourd’hui permet facilement de penser y déceler un niveau de commentaire absurde, de désabusement caustique et de satire socio-culturelle : il serait pourtant largement anachronique de prêter une telle intention à ses auteurs, qui -- nonobstant leur éducation intellectuelle, leur large culture et leur finesse d’observation -- ne l’ont probablement conçue, à l’époque, que comme une suite de pitreries gratuites et sans conséquence.
Début 2015, dix ans après son ouverture, le nom de domaine ourapo.net a disparu du Web sans (presque) laisser de trace. Heureusement, la page vers laquelle il renvoyait demeure, elle, toujours accessible : il s’agit en fait d’un «audioblog» hébergé par Arte Radio (où officie son co-fondateur Thomas Baumgartner).
OuRaPo, c’est l’Ouvroir de Radiophonie Potentielle (à ne pas confondre avec l’OuTraPo, ayant trait à la Tragicomédie), regroupement de quelques expériences sonores effectuées entre 2004 et 2009, qui explorent cette zone grise ouverte par les expérimentations de la musique concrète dans la deuxième moitié du XXe siècle, de Pierre Henry (né en 1927) à Revolution 9 des Beatles (1968).
La proximité historique et l’adéquation stylistique des Oulipiens envers le médium radiophonique n’est plus à démontrer, comme en témoignent de (trop) rares archives incluses dans la playlist de l’Ourapo, notamment une brève piste enregistrée par Luc Étienne dans les années 1970 (à confronter avec ses autres travaux en la matière).
Les travaux expérimentaux les plus frappants restent sans doute ceux de Georges Perec (volontiers rebaptisé Play-Rec par l’Ourapo) à partir de la fin des années 1960, notamment pour la radio allemande puis française, et que nous avons nous-même tenté de recenser.
La nécessité d’un OuRaPo semble donc relever de l’évidence, et il faut souhaiter que son activité reprenne un jour prochain sous une forme ou une autre. Pendant ce temps, l’OuSonmupo (Ouvroir du Sonore et du Musical Potentiels) a fêté ses huit ans ; on est cependant sans nouvelles de l’OuSoPo (Ouvroir de Sonorités Potentielles) animé de 2005 à 2011 en marge du festival brestois «Longueur d’ondes». Le site de l’OuSoPo reste, toutefois, accessible à l’heure actuelle :
http://ousopo.org/