Parce qu’un peu d’auto-promotion ne nuit pas, nous signalons ici cet article déjà ancien (écrit en 2008, soit avant le lancement de l’Oumupo actuel, par l’auteur de la présente page de liens), consacré à la Composition Algorithmique -- sous l’angle plus spécifique des logiciels Libres.
Outre une description (faussement naïve) de l’état du champ à l’époque, ce compte-rendu (ici traduit de l’anglais) inclut quelques témoignages de compositeurs et programmeurs, et un test sommaire de certains logiciels disponibles, encore actifs aujourd’hui pour la plupart.
Comme souvent, l’article en lui-même importe moins que les nombreux liens qu’il contient. Pour n’en citer que quelques-uns (tous en langue anglaise) :
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cet article récapitule le fonctionnement de l’ordinateur GENIAC qui, dans les années 1950, fut l’un des premiers à "créer" de la musique (même si Ada Lovelace en avait eu l’intuition un siècle auparavant) : http://www.jfsowa.com/misc/compose.htm
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à la fin des années 1980, cet article fait le point sur les avancées en matière de composition (notamment imitative) par des programmes et algorithmes : http://www.nytimes.com/1989/01/22/nyregion/music-bach-versus-computer.html
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quelques années plus tard, cet article s’interroge sur l’utilité de l’ordinateur au service de l’imagination artistique et soulève notamment la question de l’originalité humaine : http://www.ece.umd.edu/~blj/algorithmic_composition/algorithmicmodel.html
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Ce compte-rendu daté de 2001 met en regard la composition algorithmique et la quête d’une Intelligence Artificielle (au moment même où l’humanité commence à se détourner de l’intelligence artificielle à proprement parler, et cesse de se passionner pour les compétitions d’échecs opposant Grands Maîtres humains et programmes informatiques) : http://www.kurzweilai.net/the-age-of-intelligent-machines-artificial-intelligence-and-musical-composition
Notre éminent «oumupote» Jean-François Ballèvre signale ce Petit Canon perpétuel signé Albert Roussel (1869-1937). Sans numéro d’opus, cette brève partition a été rédigée en 1913 mais publiée seulement en 1948, plus d’une décennie après la mort de l’auteur, et reste très rarement jouée -- on ne la trouve guère que dans les recueils d’œuvres complètes pour piano.
Roussel n’est pas le premier à rédiger un «canon perpétuel» : on en trouve un célèbre exemple au XVIIIe siècle dans l’Offrande Musicale de J.S. Bach, et un autre moins connu mais fort réussi un siècle plus tard dans l’opus 18 n°3 de l’organiste Alexandre-Pierre-François Boëly (1785-1858) : http://imslp.org/wiki/12_Pi%C3%A8ces_pour_orgue,_Op.18_%28Bo%C3%ABly,_Alexandre-Pierre-Fran%C3%A7ois%29
De couleur post-fauréenne (et peut-être moins personnelle que la Sonatine, datant pourtant de la même époque), cette pièce est orthographiée de façon quelque peu biscornue sur trois portées (pas toujours aisément appréhensibles à deux mains) ; la main gauche imite rigoureusement la main droite avec un temps de décalage, au point que l’on puisse se demander s’il ne s’agit pas d’un exercice de déchiffrage (tout comme le Prélude en la mineur de Ravel, écrit la même année).
Cependant la particularité majeure de cette partition réside dans sa progression cyclique, que l’auteur veut «perpétuelle» : contrairement aux exemples de Bach et de Boëly précités où la partition est simplement répétée à l’infini, Roussel invite ici l’interprète à enchaîner en reprenant du début, mais une octave au-dessus de l’exécution précédente, «et continuer ainsi autant que le permettra l’étendue du clavier». Que peut-on lire dans cette indication ? Une expérience formelle ? Un travail de mise en évidence des différences de tessiture du piano ? Un simple amusement ?
Peut-être la réponse se trouve-t-elle dans la contradiction entre le mot «perpétuel» et la finitude du clavier, dont l’auteur est parfaitement conscient : dès la troisième reprise, quelques notes disparaissent nécessairement, et si une quatrième reprise est possible, il n’en subsiste plus grand-chose. En d’autres termes, cette musique se répète moins qu’elle ne s’évapore.
Mais peut-être est-ce à l’auditeur d’ajouter mentalement les notes manquantes, de par sa mémoire et son imagination ?
Toujours à la page, notre Oumupien national Martin Granger nous signale que le Collège de ’Pataphysique s’intéresse en ce moment aux «musiques fictives». L’occasion de lire ou relire ce long article (en anglais) sur le sujet, publié dans le magazine littéraire The New Yorker en 2007 par le critique et écrivain Alex Ross (né en 1968).
Sans surprise, Ross prend pour point de départ la «Sonate de Vinteuil» imaginée par Proust, qui reste sans doute l’exemple le plus frappant d’œuvre musicale fictive. Il examine ensuite de nombreux autres exemples, connus ou moins connus, non sans les mettre en perspective avec les implications sociales et artistiques de l’époque dans laquelle ils s’inscrivent.
Extrait (traduit par nos soins) :
Laissez tomber la madeleine : de toute la Recherche du temps perdu de Marcel Proust, l’expérience sensuelle la plus excitante est celle qui fait tomber Charles Swann sous le charme d’une «petite phrase» dans la sonate pour violon d’un compositeur de province du nom de Vinteuil. C’est une mélodie de cinq notes — «légère, apaisante et murmurée comme un parfum» [...]
Proust saisit la dimension imaginaire du phénomène musical : la capacité qu’a l’esprit, sous l’influence de sons lourds de sens, à convoquer des mondes intérieurs. Lorsqu’on écoute attentivement, on ne se contente pas d’assister au flux et reflux de la musique ; on recompose la musique à sa propre image, en investissant d’un sens personnel des détails autrement inoffensifs. Un attachement peut même se créer avec une musique entendue indistinctement, entendue il y a très longtemps, ou même jamais entendue du tout. On ne peut écouter les premiers enregistrements sonores de cantatrices comme Ernestine Schumann-Heink, sans les corriger en sachant, par des témoignages écrits, combien ces chanteuses marquaient leur auditoire ; il en va de même pour les traces sonores crachotantes de Charley Patton et des premiers maîtres du blues. Je suis un pianiste médiocre, mais il y a autant de sens pour moi à massacrer les sonates de Schubert qu’à écouter les versions de référence d’Artur Schnabel et Sviatoslav Richter, car pendant que je joue mon esprit concocte une interprétation idéale.
[...]
En donnant naissance à Vinteuil, Proust s’est inscrit dans un sous-genre ésotérique : l’évocation de compositeurs qui n’existent que sur le papier. Cette catégorie remonte au moins jusqu’à la Vie remarquable du compositeur Joseph Berglinger, signée en 1796 par Wilhelm Wackenroder. Elle a donné parfois lieu à des morceaux de littérature particulièrement boursouflée, tels qu’on en trouve en 1872 dans Charles Auchester, roman d’Elizabeth Sara Sheppard qui décrit les œuvres d’un certain chevalier Seraphael : «Le premier trombone ne tarda pas à fendre le silence ; le second et troisième lui répondaient par des notes fulgurantes alors que les insistances fuguées se déployaient encore et encore ; jusqu’à ce que, telle une gloire déferlant dans toute la hauteur du Ciel des Cieux [NdT:gné?], l’orgue fit irruption, surplombant calmement l’esprit de son autorité absolue et ferme, traduite en Sons.» Cependant, de rares auteurs sont parvenus à inventer des compositeurs et des œuvres qui semblent presque aussi vrais que ceux dont on connaît la musique.En prenant ce répertoire littéraire dans l’ordre chronologique (du conte fantastique d’E.T.A. Hoffmann mettant en scène le Maître de chapelle Kreisle aux extraits époustouflants de Proust sur Vinteuil, ou encore du Docteur Faustus apocalyptique de Thomas Mann aux Tableaux d’une institution satiriques de Randall Jarrell), l’on constate l’essor puis le déclin de la musique classique comme vecteur de pouvoir culturel. Les compositeurs s’émancipent de leur serviture, s’élèvent aux sommets de la splendeur bourgeoise, inventent de nouveaux langages ésotériques, perdent l’esprit, et enfin divaguent au ban de la société et de la raison. Et pourtant, d’époque en époque, des auteurs sont revenus à ce thème central qu’est le pouvoir de la musique sur les créateurs autant que les auditeurs — tout l’art étant de reproduire, en décrivant par écrit des œuvres inexistantes, cette fascination produite par la véritable musique.
Dans son œuvre majeure «À la recherche du temps perdu», l’écrivain Marcel Proust (1871-1922) évoque une musique qui poursuit les protagonistes (Swann puis le narrateur) au long de leur parcours et de leurs déboires sentimentaux. Attribuée au compositeur fictif Vinteuil, il s’agit de l’Andante d’une «Sonate en fa dièse, pour piano et violon» -- plus tard dans le texte apparaîtra également une autre œuvre (un septuor) du même compositeur.
Cet intitulé, en lui-même, n’est pas sans intriguer. Le choix de la tonalité tout d’abord : sans que l’on sache s’il s’agit de fa dièse majeur ou mineur, le manque d’adjectif pourrait nous laisser pencher vers la majeur... mais il s’agirait alors d’un choix de tonalité assez improbable, non seulement parce qu’il impliquerait une écriture pour le moins tortueuse (six dièses à la clé, impossible pour le violon d’utiliser ses cordes à vide), mais parce qu’un compositeur de la fin du XIXe siècle aurait plutôt tendance à écrire cette musique en sol bémol majeur (ce n’est que le siècle suivant qui consacrera la suprématie du dièse). Ensuite, l’intitulé "pour piano et violon" (les deux instruments apparaissent toujours dans cet ordre là chez Proust), plutôt que "pour violon et piano", semble trahir une certaine méconnaissance de l’écriture du genre -- on en trouvera seulement deux autres occurrences, chez le tout jeune compositeur Lekeu et chez Roussel, ce dernier exemple étant postérieur à l’œuvre de Proust.
Quoi qu’il en soit, la sonate est associée (dans le salon huppé de la famille Verdurin) à diverses manifestations cliniques :
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—«Ah! non, non, pas ma sonate! cria Mme Verdurin, je n'ai pas envie à force de pleurer de me fiche un rhume de cerveau avec névralgies faciales, comme la dernière fois; merci du cadeau, je ne tiens pas à recommencer; vous êtes bons vous autres, on voit bien que ce n'est pas vous qui garderez le lit huit jours!»
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—Eh bien! voyons, c'est entendu, dit M. Verdurin, il ne jouera que l'andante.
—«Que l'andante, comme tu y vas» s'écria Mme Verdurin. «C'est justement l'andante qui me casse bras et jambes.»
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Le compositeur lui-même est sans doute affecté :
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Le peintre avait entendu dire que Vinteuil était menacé d'aliénation mentale. Et il assurait qu'on pouvait s'en apercevoir à certains passages de sa sonate. Swann ne trouva pas cette remarque absurde, mais elle le troubla; car une œuvre de musique pure ne contenant aucun des rapports logiques dont l'altération dans le langage dénonce la folie, la folie reconnue dans une sonate lui paraissait quelque chose d'aussi mystérieux que la folie d'une chienne, la folie d'un cheval, qui pourtant s'observent en effet.
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Les influences musicales ayant pu conduire Proust à imaginer cette pièce, ont été recensées de longue date : au premier rang des suspects figurent la sonate de Franck, écrite en 1886, ainsi que les deux sonates de Saint-Saens ; cependant l’on sait aussi que Proust appréciait certaines phrases de Wagner et Fauré, et qu’il eut une aventure avec le compositeur Reynaldo Hahn.
Ce jeu de piste culturel, toutefois, semble d’un intérêt limité au regard de la postérité de la Sonate de Vinteuil, qui a incité plusieurs musiciens ultérieurs à tenter, sinon de la reconstituer, tout au moins d’en suggérer de possibles contours.
Dans les années 2000, le compositeur russo-israélien Boris Yoffe (né en 1968) a ainsi proposé six «Ébauches de la Sonate de Vinteuil», étrangement écrites pour violon seul.
https://www.youtube.com/watch?v=reB-N3AERXY (vidéo censurée à ce jour)
Pour le film «Le temps retrouvé» de Raúl Ruiz en 1999, le compositeur de musiques de film chilien Jorge Arriagada (né en 1943) a rédigé un mouvement de sonate qui multiplie les allusions à des musiques de l’époque, et résulte en un enchevêtrement de références informe et peu convaincant :
https://www.youtube.com/watch?v=pfmXHd10v64
https://www.youtube.com/watch?v=u-F98knpuRQ
Pour le film «Un amour de Swann» de Volker Schlöndorff en 1982, le compositeur Hans-Werner Henze (1926-2012) écrivit douze variations pour orchestre «sur un thème de Vinteuil», le prétexte de la variation lui permettant d’utiliser un langage bien plus contemporain et personnel :
https://www.youtube.com/watch?v=GpUWYf_Jodw
En 1976, le compositeur américain Joseph Fennimore (né en 1940) publie un quatuor «d’après Vinteuil» pour clarinette, alto, violoncelle et piano. D’une écriture instrumentale très traditionnelle, l’œuvre fait signe vers les harmonies post-romantiques et pré-modales de l’époque proustienne, en laissant parfois entendre quelques couleurs plus dépolarisées :
https://www.youtube.com/watch?v=UJRVwULpK0k
En 1946, le compositeur français Claude Pascal (né en 1921) se voit commander par l’ORTF, à l’occasion de sa résidence à la Villa Médicis, une «Sonate de Vinteuil», qui ne sera finalement jouée sous ce titre qu’en novembre 2010.
https://www.youtube.com/watch?v=e8M34dNCofM (vidéo censurée à ce jour)
Il explique à cette occasion en quoi il lui a fallu abandonner cette contrainte pour finalement parvenir à rédiger la partition de sa première sonate pour violon et piano :
«Me voici, en 1946, installé au sommet de l'une des deux tours qui surplombent tout Rome et ses environs. Au travail ! Pour quel résultat ? Nul ! J'étais en effet comme paralysé par la situation psychologique dans laquelle je me trouvais : compositeur par intérim en quelque sorte. Je voyais les semaines passer sans que ni ma cervelle ni mon piano consentent à me tirer d'affaire. Toujours cette page blanche. Une image car en fait, ma "page blanche" portait des portées... Jusqu'au jour où, passant à d'autres travaux, je me suis retrouvé plongé dans une sonate pour piano et violon. L'ombre de Proust était-elle restée tapie dans mon perchoir ? Ce qui est sûr, c'est que toutes mes fibres souffrent encore du "syndrome de la page blanche" alors que je n'ai pas le moindre souvenir des longues heures passées à écrire cette sonate... Le fantôme de Vinteuil aurait-il squatté mon nid d'aigle ?»
http://www.musimem.com/Pascal_Claude.htm