Sous l’intitulé The Sonic Sky sont réunis plusieurs court-métrages successifs réalisés par le compositeur microtonal américain Stephen James Taylor (qui s’est notamment fait connaître dans les années 1980 avec des musiques de dessins animés télévisés). Outre plusieurs créations relevant de l’art contemporain (ce que l’on aurait appelé l’art «digital» dans les années 1990), il présente en introduction une tentative de vulgariser la notion de tempérament et de microtonalité, en particulier à travers les théories de Erv Wilson (né en 1928).
Ce film peut être consulté (et téléchargé) sur la plateforme Vimeo.
Cette vidéo est remarquable de par sa clarté didactique, mais plus encore, par le décalage entre la noblesse et l’ambition de sa démarche (dont l’assise scientifique n’est pas à contester) et l’esthétique présidant à sa mise en application. Surchargée d’animations, filtres et transitions incroyablement datés, cette vidéo pourtant récente évoque le déferlement des logiciels grand-public de la fin des années 1990 (Windows Movie Maker® et autres). D’un point de vue harmonique, la musique de Taylor reste extrêmement proche des langages populaires occidentaux (que l’on pourrait dire «de variété»), les notes étrangères au tempérament ne faisant qu’apporter une coloration somme toute non-essentielle à un langage par ailleurs entièrement tonal ; quant au travail de timbres, il semble limité à des sons purement synthétiques assez stéréotypés et peu expressifs.
S’il est indéniable que les travaux de recherche microintervallique ont œuvré à déconstruire le carcan tonal et post-tonal occidental, il semblerait naïf de prétendre que les nouveaux langages ainsi créés ont une plus légitime prétention à une universalité absolue. C’est pourtant ce que fait allègrement Taylor, qui organise sa démonstration autour d’une métaphore verticale (où le langage harmonique classique représenterait un premier niveau, les tempéraments non-égaux un niveau plus élevé, et la musique microtonale l’espace céleste infini encore au-dessus)... finissant ainsi par créer involontairement une nouvelle «harmonie des sphères», dans les traces de l’idéologie Keplerienne. Pour exaltante que soit la contemplation de cette transcendance potentielle, la vacuité du discours musical sous-jacent n’en est ici que plus déconcertante.
À l’automne 2015, ce clip vidéo (sobrement) intitulé «Menuet de l’extrême : l’orchestre le plus rapide du monde» présente en grande pompe une mélodie de Mozart tirée du troisième mouvement du Divertimento n°17 pour cordes et deux cors kv334, (censément) jouée par une succession de pièces de monnaies lancées dans différents béchers en verre plus ou moins remplis pour émettre des hauteurs pré-établies.
Cette séquence met en œuvre trois ingrédients éprouvés des vidéos que l’on dit «virales» (en ce qu’elles sont supposées pousser ceux qui les voient à les faire immédiatement connaître à d’autres -- ce que nous sommes précisément en train de faire ici, à notre corps défendant) :
- L’alibi scientifique-expérimental, dûment souligné par un tableau noir, des écrans d’ordinateur couverts de code abscons, des modélisations en trois dimensions, et de prétendus chercheurs en blouse blanche comme dans la célèbre expérience Mentos et Coca-Cola
- L’aspect de performance musicale inattendue, comme dans une vidéo (probablement tout aussi falsifiée) du groupe "Ok Go"
- Le ralenti extrême, comme dans les vidéos du compte "Slow Mo Guys"
Cette conjonction ne doit rien au hasard, mais relève d’un calcul efficace : en effet, il s’agit là d’une opération publicitaire pour l’immense groupe industriel japonais Suntory, l’un des plus gros vendeurs de spiritueux et de sodas dans le monde entier. Le nom du produit, ni même du fabricant, n’apparaît que très discrètement à la toute fin de la vidéo (et sur le site http://集中.jp/ en lien dans la "description" sur YouTube, présentant diverses curiosités scientifiques dans un graphisme outrageusement flashy) : l’ultime secret d’une campagne efficace. (La firme Suntory est d’ailleurs réputée pour son sens de la publicité, comme en témoigne une scène mémorable du film «Lost In Translation».)
Intéressons-nous cependant au dernier point mentionné dans cette "description" :
▼ Mozart’s “Minuet” Heightens Concentration [Song: “Minuet” by Mozart (1759~1791)] According to research by Kyoto University and Harvard University, regardless of age, listening to Mozart’s “Minuet” will heighten concentration.
Cet encart nous informe que la "chanson" (song) utilisée dans la vidéo s’intitule "Menuet" ; c’est d’ailleurs, tout simplement , le menuet de Mozart («Mozart’s Minuet»). Ce qui ne laisse pas d’intriguer : non seulement il existe dans l’œuvre de Mozart des centaines de menuets (qu’ils soient ou non explicitement intitulés comme tels), mais le menuet en question n’est pas écrit pour piano comme on peut l’entendre au début de la vidéo, et n’est pas non plus en Ut Majeur comme on nous le donne ici à voir ! (Et encore, l’on passera charitablement sur le fait de désigner comme "chanson" une pièce purement instrumentale, ou comme "orchestre" un ensemble sonore entièrement monodique.)
La phrase suivante est traduite en "Engrish" (c’est-à-dire un anglais approximatif et calqué sur une syntaxe japonaise) : «D’après une recherche par l’Université de Kyoto et l’Université de Harvard, quel que soit l’âge, écouter le "Menuet" de Mozart augmentera la concentration.»
L’étude en question, signée de Nobuo Masataka et Leonid Perlovsky (chercheurs respectivement à Kyoto et Harvard) est parue sur le site Scientific Reports en juin 2013, après une première étude similaire publiée en septembre 2012. (Cette publication fait théoriquement l’objet d’un «peer review», même si sa validité scientifique et déontologique a récemment été remise en question.)
Le principe de ces deux études est de mettre des sujets en situation de dissonance cognitive (par exemple, devoir ranger des cubes verts sur lesquels il est écrit le mot "rouge"), et de déterminer si la présence d’un fond musical réputé consonant contribue à améliorer le temps de réaction et à réduire le taux d’erreurs.
Dans la première étude, des enfants de quatre ans sont exposés à la Sonate pour deux pianos kv448 et au Concerto pour piano kv488. Dans la deuxième étude, à laquelle fait allusion la publicité Suntory, il s’agit de sujets de 8-9 ans et de 65 à 75 ans ("regardless of age", à condition d’ignorer tout ce qu’il y a entre 10 et 65 ans...) exposés à un Menuet -- non pas le premier menuet du Divertimento kv334, mais le trio en Do Majeur kv1(f) pour clavecin (attribué à W.A. Mozart à l’âge de 8 ans quoique très probablement rédigé en partie par son père).
Le protocole expérimental est ici modifié afin de comparer les effets de cette musique réputée consonante (dans laquelle, nous disent les chercheurs, seulement trois intervalles de triton sont dissonants) à ceux d’une musique dissonante : en l’occurrence, une version modifiée du même Menuet dans laquelle les notes Sol et Ré sont abaissées d’un demi-ton (créant ainsi, toujours selon les chercheurs, pas moins de 21 intervalles dissonants : tritons et neuvièmes mineures).
Ces études, cependant, frappent par leur accumulation de présupposés culturels et conceptuels. Notons, par exemple, que ni le choix du compositeur ni celui des œuvres ne font l’objet de la moindre justification : apparemment dans le monde scientifique, il suffit de dire "c’est du Mozart" pour que tout le monde considère comme une évidence qu’il doive s’agir de la musique la plus consonante possible. (Manifestement, personne n’a jugé bon de leur faire écouter le quatuor kv465...) Ces travaux s’inscrivent ainsi dans un corpus interminable d’études sur un hypothétique impact neurologique de la musique de Mozart, à tel point que l’on a même pu parler (non sans une épaisse couche de mauvaise foi) d’«effet Mozart».
Cette dichotomie même de consonance/dissonance ne fait l’objet d’aucune définition -- or nous savons depuis (au moins) les travaux de Helmholtz au XIXe siècle, qu’exceptée l’octave juste (et éventuellement quelques quintes selon le tempérament), aucun intervalle considéré comme «consonant» dans les langages harmoniques occidentaux, ne repose sur une l’exactitude d’un phénomène psycho-acoustique : la consonance "idéale" est une pure construction culturelle -- or les chercheurs ignorent ici l’éventuelle (et quasi-certaine) influence d’un imaginaire musical pré-existant et partagé inconsciemment par les sujets de l’expérience (y compris les jeunes enfants de huit ans).
Du reste, même à supposer que certains intervalles soient intrinsèquement perçus comme consonants ou dissonants, réduire le discours musical à un ensemble d’intervalles sans tenir compte ni de leur succession (et en particulier de la progression dramatique et des gestes de tension-résolution), ni des mouvements mélodiques (les intervalles entre deux notes consécutives plutôt que simultanées), ni de la construction des phrases. Prenant le parti d’ignorer tout ce qui peut faire sens dans un langage musical donné, au nom de ce critère spécieux de «consonance», les auteurs de l’étude passent à côté de tout questionnement sur la prédictibilité formelle ou d’intelligibilité du discours musical.
De même, l’éventuelle expressivité de la musique et du geste instrumental est ignorée ; ainsi, aucun commentaire n’explique le choix, dans la deuxième étude, de diffuser une musique générée en MIDI par un programme informatique plutôt qu’un authentique enregistrement humain. Cette in-humanité de la musique est évidemment encore plus flagrante dans la version modifiée du menuet, où les hauteurs sont substituées de façon systématique sans tenir aucun compte du langage et de la logique interne de la partition. Prendre pour modèle de "musique dissonante" un tel objet musical trafiqué et dont le sens organique est entièrement détruit (plutôt qu’un un discours musical réputé «dissonant» mais doté de sa propre logique et d’une cohérence formelle et harmonique, par exemple écrit au XXe siècle dans un langage atonal ou post-modal), nous semble fortement contestable.
Que prouve cette étude, en définitive ? Qu’une musique moche, fausse, et (littéralement) inhumaine affecte dans des proportions mesurables quoiqu’infimes (inférieures à 6%) la capacité à se concentrer, par rapport à un fond sonore extrêmement prédictible et déjà omniprésent dans notre inconscient musical collectif. Et la presse de se jeter avidement sur cette n-ième occasion de proclamer qu’«une étude scientifique prouve que Mozart est bon pour votre cerveau»... L’on constate alors combien la superficialité de l’étude Masataka-Perlovsky est en parfaite adéquation avec celle des publicitaires Suntory.
Ainsi notre époque permet-elle à un compositeur du XVIIIe siècle de devenir le parfait porte-étendard de l’innocuité virale : ramené à ses «intervalles consonants», converti en MIDI, réduit à une aimable monodie, recyclé en auteur de "chansons" pour vidéos promotionnelles, Mozart est devenu une valeur sûre, un "branding" publicitaire prêt à l’emploi pour justifier tour à tour les approximations pseudo-scientifiques d’universitaires remplissant leurs quotas de publications, le sensationnalisme d’un maljournalisme en quête de clics, et l’alibi mi-scientifique mi-artistique idéal pour publicitaires déguisés.)
En septembre 2014, le jeune musicien canadien Andrew Yuang a présenté sur YouTube cette vidéo où on le voit interpréter la célèbre chanson allemande Neunundneunzig Luftballons (Nena, 1983) au moyen... de 99 ballons de baudruche.
Certes, Yuang n’en est pas à son coup d’essai : sur son site Web il explique avoir déjà produit plus de 2000 chansons, dont un certain nombre (sa série intitulée Song Challenge) utilisant des objets non-musicaux ou autres contraintes ; on peut notamment le voir rapper en lipogramme en E -- ce qui est d’ailleurs probablement moins difficile en anglais qu’en français.
On peut néanmoins regretter qu’il n’aille pas au bout de son idée : ici les «ballons» (qui sont d’un nombre nettement inférieur à 99) ne servent qu’à alimenter l’échantilloneur, et le résultat relève finalement plus de la musique électronique que d’une vraie recherche instrumentale. Cette sonorité est en parfaite adéquation avec la chanson 99 Luftballons et les années 1980 auxquelles elle renvoie, mais le reste des chansons de Yuang souffre de cette froideur liée à l’utilisation intensive de synthétiseurs programmables, d’échantillons numériques séquencés et bouclés à la milliseconde près, de plugins VST et de pistes vocales Autotunées : d’où un aspect «overproduced» qui afflige aujourd’hui de nombreux YouTubeurs à la mode, masquant à tout prix l’aspect artisanal et personnel de leur démarche pour se conformer aux canons d’une industrie pourtant dépassée.
N’empêche. D’un point de vue Oumupien, il est intéressant de réfléchir à d’autres façons de revisiter une chanson ou une pièce en interprétant littéralement son titre. Notre spécialiste Martin Granger n’étant pas disponible pour l’instant, n’hésitez pas à poster vos suggestions sur notre page de contact !
La sonde Voyager, première du nom (lancée en 1977), recèle un disque de cuivre plaqué or qui contient de nombreuses données jugées représentatives de la Terre et de la civilisation humaine dans son ensemble : photographies, électro-encéphalogramme humain, cartographie spatiale, salutations enregistrées dans diverses langues. Son chapitre musical, quant à lui, fait apparaître quelques œuvres dites «classiques» (Bach, Beethoven) ainsi qu’un nuancier d’esprit «world music» (chants traditionnels indien, péruvien, pygmée, japonais) et de musiques populaires dites «actuelles» (blues, etc.).
Saluons au passage la cohérence de la maison de disques EMI, qui s’opposa à l’inclusion de la chanson «Here Comes The Sun» des Beatles, violation de copyright intolérable à ses yeux.
Autre anecdote, rapportée par Lewis Thomas : à Freeman Dyson qui lui suggérait de n’inclure que de la musique de Jean-Sébastien Bach, Carl Sagan aurait répondu «non, ça nous ferait passer pour des crâneurs».
Un quart de siècle plus tard, la sonde Beagle 2, lancée en 2003 par le Royaume Uni en direction de Mars, inclut d’autres œuvres, notamment du plasticien britannique Damien Hirst. Son arrivée sur la planète rouge a été annoncée par un signal sonore de neuf notes composé par le groupe de rock Blur, alors à la mode (malgré l’échec de la mission, il semble avéré que l’indicatif s’est effectivement fait entendre dans l’atmosphère martienne).
C’est en 2012 que la sonde Curiosity, depuis la surface de Mars, a diffusé une chanson en direction de la Terre : il s’agit de Reach For The Stars, du rappeur Will.I.Am.
Curiosity ne s’est pas arrêtée là : un an plus tard, elle a donné à entendre (en faisant vibrer son mécanisme d’analyse d’échantillons du sol) la mélodie «Happy Birthday To You», ce qui a conduit certains commentateurs à se demander si le groupe Warner allait la poursuivre pour représentation non-autorisée (les paroles n’ayant pas été incluses dans l’exécution, cela semble improbable -- du reste, nous savons aujourd’hui que ce soi-disant copyright n’était qu’un grossier attrape-nigauds).
De nombreuses autres musiques ont été jouées dans l’espace, pour le seul bénéfice des astronautes. Ainsi, dès 1965, Wally Schirra et Tom Stafford emmenaient à bord du vaisseau Gemini un harmonica et une clochette. Lors des missions Apollo, Jim Lovell raconte que les astronautes sont autorisés à emporter un baladeur et une cassette ; une des chansons alors jouées sera naturellement le «Fly Me To The Moon» chanté par Frank Sinatra. Sans oublier, bien sûr, la chanson entonnée par Gene Cernan lors d’une excursion sur la Lune.
Rien de tout cela ne règle le «mystère» du sifflement ouï en 1969 par l’équipage d’Apollo 10 en orbite du côté de la face cachée de la Lune, quelques mois avant la première véritable mission lunaire, sifflement que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier... de musique extra-terrestre.
Dans ce clip vidéo publié sur YouTube en 2008 et filmé dans une région de Suède, l’on peut voir un trio de blues interpréter le standard «Sweet Georgia Brown» accompagné par... un tracteur agricole.
Comme le fait remarquer un commentaire :
«Il est déjà en train de jouer alors que les autres s’accordent, il continue de jouer après qu’ils ont fini, il ne les écoute même pas : c’est un vrai batteur.»
Martin Granger nous fait partager cette «petite merveille assez oumupienne» : Song Recycle, du compositeur français Pierre-Yves Macé, repose sur le traitement électroacoustique de chansons recueillies sur YouTube, dont ne sont préservées que certaines scories : phonèmes consonantiques, artéfacts de compression, etc.
Cette bande sonore est accompagnée («dans la tradition du Lied», nous dit l’auteur -- encore que cette parenté demanderait à être éclaircie) par une partie de piano faisant parfois intervenir des techniques contemporaines de jeu instrumental : gratter dans les cordes, etc.
Le projet de la pièce est explicite dès son titre, qui doit être prononcé à l’anglaise (l’auteur jouant sur la proximité syllabique entre /recycle/ et /recital/). Recycler sous-entend la notion de déchet, et il faudrait d’ailleurs se demander si le déchet n’est pas ici autant ce qui résulte du traitement électroacoustique et de la fragmentation des pistes, que de la nature même du matériau d’origine : vidéo dite "amateur", forme d’expression artistique illégitime s’il en est.
Et c’est d’ailleurs là que se trouve la différence entre la démarche de P.-Y. Macé et de nombreux travaux de la fin des années 2000, par exemple le Catcerto de Mindaugas Piečaitis (voir http://oumupo.org/trouvailles/?GSGs0Q) : si ces derniers constituent une sorte de «deffence et illustration» de la culture YouTube, Song Recycle ne célèbre ni ne tente de légitimer son matériau d’origine, mais le rend méconnaissable et n’en garde que les composantes les plus étranges et les moins identifiables, au service d’un discours musical entièrement différent.
En juillet 2009, l’artiste contemporain américano-norvégien Cory Arcangel entreprend de reconstituer les «3 Klavierstücke» op. 11 d’Arnold Schönberg, dans leur version enregistrée par Glenn Gould, en n’utilisant que des extraits de vidéos postées sur le site YouTube, où des chats jouent du piano.
Coïncidence significative, cette initiative est datée de la même époque, à quelques semaines près, que le célèbre "Catcerto" de Mindaugas Piečaitis : voir http://oumupo.org/trouvailles/?GSGs0Q
Sur son site, l’auteur présente non seulement la liste des 170 vidéos qui ont constitué son matériau de départ, mais également le code source constituant la "partition" de son montage, ainsi qu’un nombre impressionnant d’autres vidéos et sites Web constitutifs du courant culturel dans lequel il s’inscrit : YouTube, chats, copier/coller, culture du remix...
Le statut juridique de cette vidéo -- particulièrement dans les pays européens où la protection dite "fair use" est inopérante -- soulève des questions intéressantes et montre la totale inadéquation entre les textes juridiques (encore) en vigueur et les pratiques culturelles actuelles.
- La partition de Schönberg elle-même, publiée en 1909, est dans le domaine public dans de larges parties du monde, mais pas en France, raison pour laquelle nous nous devons de vous interdire formellement de cliquer sur le lien suivant : http://imslp.org/wiki/3_Pieces,_Op.11_%28Schoenberg,_Arnold%29
- L’enregistrement de Glenn Gould, paru en 1959, est entré dans le domaine public dans certains pays mais reste "protégé" un peu partout ; en Union Européenne, une directive inique d’extension du copyright (parue en 2011 et d’application rétroactive) a précisément pour but de confisquer les enregistrements publiés dans les années 1950-60. Certes, la vidéo reconstituée par des chats n’inclut pas directement l’œuvre de Gould, mais il pourrait être argué de ce que la durée et l’intensité de chaque note, ici reproduites le plus fidèlement possible, constituent l’expression de la personnalité de l’interprète et sont donc "protégées".
- Les vidéos de chats utilisées par Cory Arcangel pour son montage, comportent chacune leur droit d’auteur ; si le droit anglo-saxon fournit quelques exceptions en matière de "fair use" et de "sampling", il n’en est rien en droit français et l’auteur aurait donc été contraint de demander (éventuellement moyennant paiement) l’autorisation contractuelle de chacun des auteurs des 170 fragments utilisés.
- Au-delà de toute question juridique légitime ou non, le fait d’héberger son montage sur YouTube n’est pas sans danger quant à la pérennité de son œuvre : il suffirait aux robots d’identification de contenu "protégé" (ContentID et autres) de repérer un fragment indûment copié, pour que la vidéo soit immédiatement censurée et mise hors-circulation, sans réel recours possible.
«J'ai vu ce cat-certo à la fac. Ça a changé ma vie - c'est l'une des raisons principales pour laquelle je compose mes morceaux !! C'est excellent, non ?» -- Mike S., membre anonyme de l’Oumupo.
La principale raison d’être du Web est de célébrer nos chats domestiques, et le site YouTube n’a été inventé que pour partager les vidéos de leurs faits et gestes.
En juillet 2009, le compositeur lituanien Mindaugas Piečaitis prend pour point de départ une série de ces vidéos (montrant le chat "Nora" s’affairant sur un clavier de piano), y adjoint un accompagnement orchestral et donne naissance au premier "Catcerto" de l’histoire.
Cette initiative frappe moins par son habileté harmonique et orchestrale (au demeurant indéniable) que par ses implications culturelles : c’est non seulement la communauté -- aujourd’hui mondiale -- des "vidéos de chat" qui est ainsi légitimée, que la création musicale savante elle-même qui se retrouve intégrée et, pourrait-on dire, dé-ringardisée. Avec sa partition de moins de 5 minutes mais visionnée plus de 5 millions de fois YouTube, Piečaitis a sans doute fait davantage pour la popularisation de la musique contemporaine, que toutes les opérations institutionnelles de ces quarante dernières années...