Parce qu’un peu d’auto-promotion ne nuit pas, nous signalons ici cet article déjà ancien (écrit en 2008, soit avant le lancement de l’Oumupo actuel, par l’auteur de la présente page de liens), consacré à la Composition Algorithmique -- sous l’angle plus spécifique des logiciels Libres.
Outre une description (faussement naïve) de l’état du champ à l’époque, ce compte-rendu (ici traduit de l’anglais) inclut quelques témoignages de compositeurs et programmeurs, et un test sommaire de certains logiciels disponibles, encore actifs aujourd’hui pour la plupart.
Comme souvent, l’article en lui-même importe moins que les nombreux liens qu’il contient. Pour n’en citer que quelques-uns (tous en langue anglaise) :
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cet article récapitule le fonctionnement de l’ordinateur GENIAC qui, dans les années 1950, fut l’un des premiers à "créer" de la musique (même si Ada Lovelace en avait eu l’intuition un siècle auparavant) : http://www.jfsowa.com/misc/compose.htm
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à la fin des années 1980, cet article fait le point sur les avancées en matière de composition (notamment imitative) par des programmes et algorithmes : http://www.nytimes.com/1989/01/22/nyregion/music-bach-versus-computer.html
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quelques années plus tard, cet article s’interroge sur l’utilité de l’ordinateur au service de l’imagination artistique et soulève notamment la question de l’originalité humaine : http://www.ece.umd.edu/~blj/algorithmic_composition/algorithmicmodel.html
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Ce compte-rendu daté de 2001 met en regard la composition algorithmique et la quête d’une Intelligence Artificielle (au moment même où l’humanité commence à se détourner de l’intelligence artificielle à proprement parler, et cesse de se passionner pour les compétitions d’échecs opposant Grands Maîtres humains et programmes informatiques) : http://www.kurzweilai.net/the-age-of-intelligent-machines-artificial-intelligence-and-musical-composition
... Apparemment oui. Un juge californien vient de décider, après de longues années de circonvolutions et de rebondissements, ainsi qu’un méprisable étalage de mauvaise foi de la part de l’éditeur Chappell et de la maison de disques Warner (indûment considérés jusque-là comme titulaires des droits), que la chanson la chanson «Happy Birthday To You» n’avait pas d’ayant-droit légitime et identifié : en d’autres termes, il s’agit d’une œuvre dite "orpheline", qui rejoint de facto le domaine public dont elle aurait dû relever depuis de trop nombreuses décennies.
Étrange destin que celui de cette chanson, probablement écrite à la fin du XIXe siècle par deux filles d’un pasteur presbytérien aux États-Unis sous l’intitulé «Good Morning To You» (on note d’ailleurs le compte différent des syllabes, qui signifie que le rythme caractéristique de la mélodie n’est qu’un ajout ultérieur). Difficile d’imaginer comment une mélodie aussi triviale et des paroles à ce point dépourvues d’originalité ont pu se faire passer si longtemps pour une «œuvre» originale digne de la «protection» du droit d’auteur -- non sans enrichir, ce faisant, une poignée de lointains descendants, d’éditeurs et d’industriels. (La rente annuelle due à «Happy Birthday» est estimée à 2 millions de dollars.)
Voir à ce titre (toujours en anglais) le fascinant travail de recherche conduit il y a quelques années par un universitaire américain :
http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1111624
Si la musique était manifestement déjà dans le domaine public, l’incertitude demeurait jusqu’ici quant aux paroles, et en particulier à l’immense créativité ayant pu conduire à remplacer «good morning» par «happy birthday» (audace folle dont on conviendra qu’il est bien légitime que l’auteur et ses descendants soient récompensés financièrement jusqu’à la septième génération).
À ce titre, une incertitude demeure quant à la "version française" dont le traducteur reste à ce jour inconnu : rien, techniquement, n’empêcherait un hypothétique ayant-droit de continuer à rançonner le public francophone au prétexte que traduire «happy birthday to you» par «joyeux anniversaire», constitue une expression artistique hautement originale. Mais nous nous refuserons à imaginer qu’une telle farce puisse se jouer : les éditeurs et sociétés de gestion collective que nous avons la chance d’avoir en France, sont certainement au-dessus d’une telle mesquinerie.
Toujours à la page, notre Oumupien national Martin Granger nous signale que le Collège de ’Pataphysique s’intéresse en ce moment aux «musiques fictives». L’occasion de lire ou relire ce long article (en anglais) sur le sujet, publié dans le magazine littéraire The New Yorker en 2007 par le critique et écrivain Alex Ross (né en 1968).
Sans surprise, Ross prend pour point de départ la «Sonate de Vinteuil» imaginée par Proust, qui reste sans doute l’exemple le plus frappant d’œuvre musicale fictive. Il examine ensuite de nombreux autres exemples, connus ou moins connus, non sans les mettre en perspective avec les implications sociales et artistiques de l’époque dans laquelle ils s’inscrivent.
Extrait (traduit par nos soins) :
Laissez tomber la madeleine : de toute la Recherche du temps perdu de Marcel Proust, l’expérience sensuelle la plus excitante est celle qui fait tomber Charles Swann sous le charme d’une «petite phrase» dans la sonate pour violon d’un compositeur de province du nom de Vinteuil. C’est une mélodie de cinq notes — «légère, apaisante et murmurée comme un parfum» [...]
Proust saisit la dimension imaginaire du phénomène musical : la capacité qu’a l’esprit, sous l’influence de sons lourds de sens, à convoquer des mondes intérieurs. Lorsqu’on écoute attentivement, on ne se contente pas d’assister au flux et reflux de la musique ; on recompose la musique à sa propre image, en investissant d’un sens personnel des détails autrement inoffensifs. Un attachement peut même se créer avec une musique entendue indistinctement, entendue il y a très longtemps, ou même jamais entendue du tout. On ne peut écouter les premiers enregistrements sonores de cantatrices comme Ernestine Schumann-Heink, sans les corriger en sachant, par des témoignages écrits, combien ces chanteuses marquaient leur auditoire ; il en va de même pour les traces sonores crachotantes de Charley Patton et des premiers maîtres du blues. Je suis un pianiste médiocre, mais il y a autant de sens pour moi à massacrer les sonates de Schubert qu’à écouter les versions de référence d’Artur Schnabel et Sviatoslav Richter, car pendant que je joue mon esprit concocte une interprétation idéale.
[...]
En donnant naissance à Vinteuil, Proust s’est inscrit dans un sous-genre ésotérique : l’évocation de compositeurs qui n’existent que sur le papier. Cette catégorie remonte au moins jusqu’à la Vie remarquable du compositeur Joseph Berglinger, signée en 1796 par Wilhelm Wackenroder. Elle a donné parfois lieu à des morceaux de littérature particulièrement boursouflée, tels qu’on en trouve en 1872 dans Charles Auchester, roman d’Elizabeth Sara Sheppard qui décrit les œuvres d’un certain chevalier Seraphael : «Le premier trombone ne tarda pas à fendre le silence ; le second et troisième lui répondaient par des notes fulgurantes alors que les insistances fuguées se déployaient encore et encore ; jusqu’à ce que, telle une gloire déferlant dans toute la hauteur du Ciel des Cieux [NdT:gné?], l’orgue fit irruption, surplombant calmement l’esprit de son autorité absolue et ferme, traduite en Sons.» Cependant, de rares auteurs sont parvenus à inventer des compositeurs et des œuvres qui semblent presque aussi vrais que ceux dont on connaît la musique.En prenant ce répertoire littéraire dans l’ordre chronologique (du conte fantastique d’E.T.A. Hoffmann mettant en scène le Maître de chapelle Kreisle aux extraits époustouflants de Proust sur Vinteuil, ou encore du Docteur Faustus apocalyptique de Thomas Mann aux Tableaux d’une institution satiriques de Randall Jarrell), l’on constate l’essor puis le déclin de la musique classique comme vecteur de pouvoir culturel. Les compositeurs s’émancipent de leur serviture, s’élèvent aux sommets de la splendeur bourgeoise, inventent de nouveaux langages ésotériques, perdent l’esprit, et enfin divaguent au ban de la société et de la raison. Et pourtant, d’époque en époque, des auteurs sont revenus à ce thème central qu’est le pouvoir de la musique sur les créateurs autant que les auditeurs — tout l’art étant de reproduire, en décrivant par écrit des œuvres inexistantes, cette fascination produite par la véritable musique.
«Suivez-moi. [...] Donnons-nous la mine d’un auteur, et prenons un air sans façon, car ces messieurs n’aiment pas les étrangers qui viennent, avec un lorgnon enchâssé dans l’arcade sourcilière, les regarder travailler, comme on regarde les singes ou les ours monter à l’arbre et faire leurs exercices. Souvent ils se donnent le mot pour se livrer alors aux contorsions les plus bizarres, de sorte que le visiteur se croit traîtreusement amené dans une salle de maniaques ou d’épileptiques. Mais, grâce à notre visage bon enfant, on ne pense pas à nous.
[...]
À l’atelier, on ne respecte rien, ni les hommes de lettres, ni les hommes d’état, ni les artistes, ni le talent, ni la richesse, ni même la sottise. Renvoyée d’un bout de la galerie à l’autre, l’épigramme rebondit, redouble de verve et de sel. Les ridicules sont découverts avec une sagacité merceilleuse, mis à nu et fouettés sans miséricorde. C’est une première vengeance contre la société. Cela ne sert à rien, mais cela soulage. Parfois les compositeurs tournent contre leurs propres confrères cette rage de l’ironie, cette monomanie homicide de la satire. [...] Il faut que le confrère mystifié essuie la fusillade avant de retourner à sa place. Par une étrange contradiction, cet homme contre lequel on vient d’épuiser le carquois de la raillerie, cet homme a-t-il besoin d’un service, il n’a qu’à choisir : tout est à lui, on se dispute pour l’obliger. Presque partout le compositeur a, comme on dit, le cœur sur la main.
[...]
Si le compositeur n’est pas en train de jaser, il rêve. Sa plus grande jouissance est de câler, c’est-à-dire de ne rien faire : Nuns libris, nunc somno. Il y a en lui beaucoup de l’organisation du chat pour la volupté, la gourmandise et surtout la paresse. Vous le verrez les deux coudes appuyés sur la casse, tenant à la main dans son composteur une ligne inachevée. Les yeux à demi fermés, la prunelle engourdie dans une molle torpeur, il suit les nuages qui défilent en haut dans le bleu, et leurs masses mouvantes son imagination bâtit un câteau plus prestigieux, plus féerique que celui d’Aladin. Là ce sont des divans somptueux, des bains parfumés, des chibouques, des oukas, des narguilés que lui allume un petit esclave noir. Là se trouvent des femmes telles qu’on en voit dans les illustrations de Shakespere et de Buron, des houris demi-nues qui le servent, le sybarite ! qui lui versent du vin de Schiraz dans des coupes couronnées de roses. À cette dernière et brillante transformation de son idée, le rêveur n’y tient plus, il fait un mouvement comme pour prendre la coupe, et dans ce mouvement, sa composition, retenue par une simple ficelle, tombe avec bruit et se met en pâte.
[...]
Avec les auteurs, le compositeur est presque sur le pied de l’égalité. Il les voit face à face. Pour lui, ils descendent de leurs piédestaux et se montrent avec leurs faiblesses. Le masque tombe, l’homme reste... et souvent le génie disparaît. Les dieux perdent leur auréole quand on est trop près de l’autel. Bien des secrets d’étude, de cabinet, de politique même, sont dévoilés au compositeur. [...] Que de petitesses, que de choses honteuses on découvre avec tristesse chez ceux qui prétendent guider la nation, et qui ne font, la plupart du temps, que la fourvoyer dans une voie mauvaise ! Le compositeur connaît d’avance toutes les nouvelles. Il a lu hier le manuscrit de ce superbe discours que tel orateur vient d’improviser à la tribune. Aussi, fier de ses connaissances, s’établit-il juge souverain, arbitre suprême du bon et du mauvais en matière de littérature. [...] Si vous affectez de la morgue à son égard, si vous le traitez du haut de votre grandeur [...], le compositeur se dégoûte et prend à tâche de mal faire.
[...]
Le compositeur est pour le progrès en tout et partout. Il a été de chacune des religions nouvelles qui ont essayé de reconquérir notre foi lasse de tout, même de sa pauvre sœur, l’Espérance. On l’a vu successivement saint-simonien, fouriériste, châteliste, etc. Un certain nombre se traîne pourtant encore dans l’ornière usée de l’école voltairienne, et s’attaque, en don Quichottes, à des choses qui n’existent plus. [...] En politique, il marche avec l’extrême gauche et la dépasse trop souvent. [...] Comme il est de nature très-expansif, très-liant, très-porté à se réunir à des camarades, il se trouve faire partie des sociétés plus ou moins bachiques, plus ou moins lyriques ostensiblement, et secrètement plus ou moins révolutionnaires. Rêté d’abord en qualité d’aimable visiteur, il ne tarde pas à devenir membre influent. Là les opinions fermentent d’autant plus qu’elles sont plus comprimées. Les chants et le vin chargé de litharge montent au cerveau ; l’orgueil que donne au compositeur sa demi-érudition, sa supériorité intellectuelle, la fascination d’une autorité quelconque dont on l’éblouit, achèvent de lui renverser les idées, et malheureusement on le retrouve parfois jouant à l’émeute devant les boutiques fermées, donnant un spectacle aux oisifs, occasionnant d’interminables corvées au malheureux tourlourou, seule véritable victime ; tandis que l’arbitraire se frotte les mains et se met à table en pensant à tout ce que cela va lui rapporter.
Lorsqu’ils ont secoué la poussière de l’atelier, certains compositeurs s’habillent assez bien ; il y en a même qui affichent des prétentions à la fashion. Mais vous les reconnaîtrez sûrement à la liberté de leurs manières, de leur démarche, de leur langage. Quelque soignée que soit la mise du compositeur, il y a toujours un petit bout d’oreille qui passe, quelque chose qui cloche, qui jure, qui grimace, qui rompt l’harmonie, qui écorche le regard, qui fait deviner l’ouvrier sous les habits du lion : par exemple, un mauvais chapeau sur une chevelure bien frisée, un jabot et une cravate sale, des bottes luisantes au bout d’un pantalon crotté, un lorgnon et pas de gants, un luxe enfin qui vous rappelle malgré vous celui de Robert Macaire. [...] Sa conversation se débarrasse difficilement de certaines expressions suspectes, ayant une mauvaise odeur d’argot. Son allure retient toujours un peu de ce dandinement, de ce grétillement, de ce jeu des hanches qui caractérisent l’espèce de pyrrhique appelé cancan. Observez les passants dans une rue : ceux-ci ont les yeux à terre, ils songent au passé ; ces autres regardent devant eux, ils s’occupent du présent ; quelques-uns ont la prunelle tournée en haut, ils rêvent de l’avenir. Le compositeur est parmi ces derniers.
[...]
Le vice qu’on reproche le plus au compositeur, c’est sa soif toujours ardente et presque inextinguible. [...] Combien de fois la main du compositeur, en portant la coupe (mot que l’on emploie dans les goguettes pour désigner un verre rayé) à ses lèvres, fait-elle dans une année le tour du monde ? Au nom de mon client, je dédaigne de répondre à de si plates insinuations. Certes, je n’essaierai pas de le disculper entièrement du défaut précité. Je ne serais pas cru si je disais qu’il fait partie de quelque société de tempérance et de sobriété. Je sais qu’il est de ceux qui disent : -- Deux mauvais dîners tiennent bien dans le même ventre. Assez jeûne qui mal dîne, et -- Vin maudit vaut mieux qu’eau bénite. Néanmoins, je réclame pour lui l’indulgence. Ce défaut est une conséquence de son caractère expansif, de son cœur débordant d’affection. L’avez-vous vu seul à une table d’estaminet ou devant un comptoir de marchand de vin ? S’il quitte fréquemment son ouvrage, c’est pour régaler un ami ; s’il passe des journées entières entre les cartes et la bouteille, c’est pour ne pas se séparer des amis ; s’il met toute son attention à diriger une queue de billard, c’est pour enfoncer un ami. [...] Le compositeur se connaît en crûs ; autant que ses finances le lui permettent, ce sont les qualités supérieures qu’il choisit. D’ailleurs, lui qui a éprouvé tant de mécomptes, il faut bien qu’il noie ses réflexions, qu’il tue sous des sensations grossières certains souvenirs douloureux, qu’il cherche à étouffer des facultés vivaces et créatrices dont il lui est à tout jamais interdit de tirer emploi.
[...]
Une autre accusation, dont cette fois je crains que tout mon zèle ne soit impuissant à sauver mon client, c’est celle d’être parfois en retard pour payer ses dettes. Malheureusement cette imputation est motivée. Le compositeur ne compte pas toujours ; ce n’est pas un homme à ranger sa vie en tiroirs, à étiqueter ses actions, à tenir de son temps un journal minutieux comme un étudiant de Leipsick ou de Goëttingue. Son bon cœur, son besoin d’amitié, l’emportent ; et quand vient le jour de la banque, c’est-à-dire le jour où il reçoit le salaire de la quinzaine, il se trouve que le doit dépasse l’avoir, que la recette est plus qu’absorbée par la dépense. Cela se conçoit, si l’on réfléchit que le compositeur est aux pièces, qu’il n’est rétribué qu’en fonction de sa tâche, et que son gain dépend de son assiduité. Ordinairement, lorsqu’il a des dettes, il travaille quelque temps avec ardeur et sans se déranger ; c’est ce qu’il appelle être dans son dur. [...] Une fois son argent reçu, le compositeur paie les dettes qui lui semblent les plus essentielles : c’est le marchand de vin et le gargotier où il pourra retrouver de l’œil, c’est-à-dire du crédit. Il ne lui reste que quelques pièces de monnaie et il les consacre exclusivement à faire la noce. [...] Les sommes qu’on doit sont trop fortes, il n’y a pas moyen de solder tout. Alors, plutôt que de donner un faible à-compte, ne vaut-il pas mieux faire le dimanche une petite partie qui aide à dissiper l’ennui de la semaine ?
[...]
C’est ici le lieu de parler de la plus vive, de la plus caractéristique, de la plus persistante passion du compositeur. Une chose existe qui fait le sujet de ses rêves du jour et de ses songes de la nuit ; qui flotte incessamment devant sa pensée comme un monde de lumières et de parfums ; qui, chaque fois qu’il l’aperçoit, fait vibrer ses nerfs et battre ses artères. Cette chose tient plus de place dans sa vie que l’amour, que la politique, que la bouteille même : c’est le but de ses projets, le point de mire de ses espérances. Devinez-vous ? Non. Vous avez vu derrière nos théâtres une petite porte mystérieuse, par laquelle entrent les acteurs, les figurants, les machinistes, les auteurs et les personnes privilégiées. Vous y voilà. Il est incroyable combien cette petite porte fait pousser de soupirs au []. Il jette un œil d’envie sur tous ceux à qui elle livre passage. Parfois son regard foudroyant tombe sur la portière qui lui fait l’effet du dragon des Hespérides. Que de tentatives n’a-t-il pas commises pour franchir ce seuil redoutable ? [...] Il connaît les secrets de coulisse, la vie privée et scandaleuse des actrices et des acteurs, tout le monde étrange et bigarré d’outre-toile. Les émotions de la scène, il les achèterait au prix de son sang.
[...]
Comment le compositeur traverse-t-il le désert de la vie ? En d’autres termes, quelles sont ses relations avec le beau sexe ? Pour l’amour, le compositeur est le rival de l’étudiant. Il partage avec lui les faveurs de cette adorable grisette qu’on trompe toujours et qui pardonne toujours. Mais il y a cette différence que l’étudiant est un despote orgueilleux et brutal, tandis que le compositeur est un amant tendre et dévoué. Quoiqu’il s’astreine rarement aux formalités d’un mariage en règle, il est prodigue de sentiment et sait être fidèle. On en a vu conserver la même passion des mois entiers !
Le compositeur use sa vie à espérer ; il est toujours à la veille d’échanger sa poétique misère contre une position éclatante ; cependant ses habits l’abandonnent à la longue comme des amis infidèles, et ses bottes finissent par se crever. Ceux qui n’ont pas l’esprit ou la chance d’arriver à quelque chose perdent leur fol espoir, s’encroûtent, se pétrifient [...] et vivent misérables.
[...]
Le rideau vient de tomber, notre héros a quitté la scène. Il s’est bravement montré dans les divers rôles du drame ou plutôt de la comédie qu’il joue en ce monde. On l’a vu sous toutes les faces : tantôt blaguant à son atelier, frondant les choses et les hommes du jour, tantôt nageant dans la joie et le vin ; d’autres fois triste, morose, poursuivi par des loups sous la forme de créanciers. Ces alternatives sont fréquentes à cause de l’instabilité du travail. Pour donner un bon coup d’épaule à la composition, il ne faudrait rien moins qu’un incendie des principales bibliothèques de Paris, mais loin de là !
[...]
Enfant d’une race malheureuse et sacrifiée, poëte de la borne, tribun du carrefour, obscur dispensateur de la lumière, esclave de la pensée des autres, va, montre encore sur le pavé de nos rues ta blouse emblématique ! Étale ta misère comme un reproche à la face du siècle ! [...] Lève la tête et prends courage. Voici, voici le règne des capacités et de l’intelligence ! Euge ! macte animo ! L’or va descendre dans ton creuset ! La roue qui tourne sans cesse va te prendre et t’enlever ! Demain on va ouvrir une issue à ton eau qui se putréfie ! Demain tu marcheras libre et fier. En attendant, continue à lever des lettres, à manipuler la pensée des autres en comprimant la tienne, à boire du vin blanc, à faire des dettes, à danser aux barrières, et tâche de goûter au sein de ta philosophique incurie le repos et la tranquilité que je te souhaite !»
Jules Ladimir, “Le compositeur typographe,” in Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du XIXe siècle, ed. Léon Curmer, Paris, 1840.
Les temps ne sont plus ce qu’ils étaient. L’homme moderne est entièrement tributaire de médicaments chimiques, de chirurgie robotisée, de psychothérapie et de séminaires de gestion du stress... Que n’avons-nous gardé le savoir de nos ancêtres, qui étaient en mesure de vivre heureux et en bonne santé par la SEULE vertu... des notes de musique ?
Cet exposé (en anglais) du toujours excellent site Skeptoid présente les "fréquences solfégiques" (Solfeggio Frequencies), n-ième avatar de ces pseudosciences qui nous promettent amour, gloire et beauté par des moyens divers -- quoique toujours inspirés, au choix, de mère Nature ou de la Sagesse des Anciens.
Au menu :
- la fréquence 396 Hz (approximativement Sol4), dénommée «UT», est censée nous "libérer de la culpabilité et de la peur"
- la fréquence 417 Hz (approximativement La bémol 4), dénommée «RE», est utile pour "résoudre des problèmes et accompagner le changement"
- la fréquence 528 Hz (approximativement Do5), dénommée «MI», accomplit des "métamorphoses et miracles", ce qui inclue -- quoi que l’on puisse entendre par là -- la réparation de l’ADN.
- la fréquence 629 Hz (approximativement Mi bémol 5), dénommée «FA», est celle de "l’amour, du lien et des relations"
- la fréquence 741 Hz (approximativement Fa dièse 5), dénommée «SOL», sert à "éveiller l’intuition".
- enfin la fréquence 852 Hz (environ Sol dièse 5), dénommée «LA» permet de "restaurer l’ordre spirituel".
Selon les sources, ces fréquences et les vertus leur étant attribuées peuvent varier.
Le nom donné à ces hauteurs trahit le public auquel elles s’adressent : dans les pays anglo-saxon, le modèle do-re-mi-fa-sol-la-ti (baptisé "tonic sol-fa") est utilisé pour désigner des mouvements mélodiques relatifs, tandis que parler de hauteurs absolues l’on se servira plus volontiers de lettres de l’alphabet : A signifie La, B, correpond à Si, et ainsi de suite. Quelques détails supplémentaires se trouvent sur notre page http://oumupo.org/wiki/index.php/Solmisation
Notons toutefois que la série de notes présentée ici ne commence pas par un La mais par ce qui correspond à notre Sol actuel ; c’est que ces notes se réfèrent à des musiques anciennes, où le diapason était plus bas (quoique pas toujours). De fait, certains promoteurs des "fréquences solfégiques" nous fournissent même une théorie du complot pour expliquer la hausse du diapason : elle serait due à des forces obscures œuvrant pour la perte de l’humanité et cherchant à dissimuler jalousement le secret des Fréquences ; d’ailleurs il suffit pour s’en convaincre, de savoir que le La a été standardisé à 440 Hz à l’époque... des nazis.
Depuis quelques années, des chercheurs tentent d’imaginer les pratiques musicales des premiers humains, notamment grâce à la découverte de lithophones (instruments de musique en pierre).
Dans une unité de soins psychiatriques, un infirmier a eu l’idée d’inviter des groupes de rock bien bruyant pour jouer devant des patients. Une initiative intrigante.