Con Voce («avec de la voix», 1972) est l’une des pièces les plus courtes et les plus emblématiques du compositeur allemand-argentin Mauricio Kagel (1931-2008). À la fois conceptuelle (les quatre minutes trente-trois de John Cage ne sont pas loin) et théâtralisée (face au public, les interprètes "jouent à jouer"), elle intrigue de par son titre : qu’est-ce que la voix d’un musicien ?
Kagel semble suggérer ici que c’est en renonçant aux modes de jeu musicaux que les musiciens trouvent leur "voix" véritable, celle qui leur permet de se faire comprendre. À la mélodie et aux notes, il substitue le son du souffle, irrémédiablement non-musical pour l’imaginaire collectif du public ; c’est ce son (et, comme chez Cage, l’absence de musique au sens habituel) qui construit le sens.
Membre éminent de l’Oumupo, Jean-François Piette attire notre attention sur un autre ouvrage de Kagel, Zehn Märsche, um den Sieg zu verfehlen («10 marches pour rater la victoire», 1978).
https://www.edition-peters.de/cms/deutsch/general/produkt.html?product_id=EP8458
D’une écriture atrocement maladroite, ces pièces constituent une parodie (amusante quoique sans doute facile) la musique militaire. Voici comment Kagel expose sa démarche, qui prend alors un aspect social (une "voix", pourrait-on dire) engagé :
«Je me suis retrouvé à rédiger des marches militaires [pour accompagner un monologue théâtral], bien que je ne croie pas être en mesure de me livrer à ce genre de bon cœur. (Est-il possible d’y éprouver du plaisir, sachant l’effet recherché par ce genre ? Il m’est fondamentalement impossible d’aspirer à écrire une musique qui pourrait conduire à une victoire militaire.)
Depuis la convention de Genève, les musiciens et infirmiers en uniforme n’ont pas le droit de porter des armes. Cela revient à ignorer soigneusement combien les équipements acoustiques propres à mon corps de métier, tout anodins qu’ils paraissent, constituent des armes offensives en puissance. En fait, c’est l’inverse : la musique peut aller se loger très profondément dans la tête de ceux qui n’ont que des obus à manipuler. De toute façon, nous savons tous comment cela finit.»