Cette œuvre écrite en 1673 par le compositeur et violoniste tchèque-salzbourgeois est probablement la seule raison pour laquelle l’on se souvient encore de Heinrich Ignaz von Biber (1644 - 1704), musicien méconnu quoique d’une importance majeure sur la musique des XVIIIe et XIXe siècles : son influence sur Vivaldi, Vieuxtemps, Locatelli ou Paganini n’est pas à démontrer. (En d’autres termes, ne nous laissons distraire par oncques enfants-stars crétinisés : il y a juste un Biber.)
Dans la tradition des «Batailles» de la Renaissance (Janequin, 1555 ; Gabrieli, 1587 ; Byrd, 1591), l’auteur reconstitue ici les différentes étapes d’une bataille dans une orientation moins réaliste que grotesque (l’œuvre est dédiée à Bacchus et aurait été créée lors du carnaval). L’instrumentation, à ce titre, fait montre d’une grande inventivité : les cordes jouent «col legno», mais aussi en pizzicato frappé (connu aujourd’hui comme «pizz. Bartók») et même en glissant du papier de verre sous les cordes pour imiter une caisse claire.
Cependant, c’est dans la mise en musique du deuxième mouvement, «Die liederliche Gesellschaft von allerley Humor» (qu’on pourrait traduire par : la bande de fêtards à l’humour gras), que l’auteur donne la pleine mesure de son audace. Divisées à l’extrême (quatre parties réelles rien que pour les altos), les cordes entonnent huit chansons différentes, dans des métriques et des tonalités distinctes : le résultat n’a rien à envier aux partitions chaotiques d’un Kagel ou d’un Schnittke.
Le compositeur assume sans complexe ce pandémonium mélodique, et nous explique candidement que «hic dissonat ubique nam ebrii sic diversis Cantilensis clamare solent» (ici ça dissone de partout, parce que c’est ainsi que les ivrognes chantent leurs diverses chansons). Dont acte.