Le début du XXe siècle voit l’avènement d’une science nouvelle : l’ethnomusicologie. L’Europe centrale en est le centre privilégié, avec Komitas en Arménie, Brăiloiu en Roumanie, Kodály et surtout Bartók en Hongrie (et au-delà)... L’Allemagne, tout particulièrement, héberge successivement le théoricien précurseur Carl Stumpf, puis Curt Sachs, Erich von Hornbostel et ses élèves Mieczyslaw Kolinski et Marius Schneider...
Et en France ? L’objet d’étude préféré des penseurs français semble se trouver moins dans l’héritage musical de leur propre pays, que dans celui de leurs colonies. L’on peut mentionner, dès les conquêtes napoléoniennes, les recherches de Villoteau sur la musique égyptienne ; puis un siècle plus tard, les travaux de Rouanet ou du baron d’Erlanger sur la musique arabe ainsi que, au XXe siècle, les publications sur l’Afrique subsaharienne de Schaeffner puis de Gilbert Rouget (qui s’apprête aujourd’hui à fêter son centième anniversaire).
Force nous est, toutefois, de nous arrêter sur le cas de Maurice Duhamel (1884-1940), journaliste et compositeur (on lui doit plusieurs œuvres orchestrales et vocales mineures), qui publia dès les années 1910 plusieurs articles et ouvrages tâchant d’examiner l’histoire et les particularités de la musique de Bretagne (ainsi que du Pays de Galles).
Dès son premier article sur la question en 1910, Duhamel pose quelques bases de sa réflexion (qu’il déploiera ensuite en 1913 dans un livre entier sur la musique bretonne). Certains points sont intéressants quoique parfois hasardeux (par exemple concernant la prédominance des modes majeurs en Bretagne, et son origine historique plus que douteuse), même s’il tend à passer à côté d’explications simples et évidentes (la contamination par des influences culturelles latines).
Hélas, son propos revêt également quelques-unes des tendances les plus irritantes de la «musicologie» française de l’époque (du reste allègrement perpétuées jusqu’à nos jours) : descriptions jargoneuses à l’envi (en particulier en ce qui concerne les dénominations de modes), complexité conceptuelle et terminologique gratuite (il est ridicule de persister à baptiser de plusieurs noms différents des objets absolument identiques), raisonnements circulaires et jamais expliqués, absence totale de rigueur dans l’organisation du texte ou dans la présentation des fragments cités...
Sans surprise, le biais idéologique est omniprésent et teinte aussi bien la démarche de recherche (par exemple dans sa quête d’un hypothétique langage musical originel et universel, qui obsédait alors certains chercheurs français et allemands) que le ton, volontiers paternaliste et condescendant, trahi dès la deuxième phrase du texte : «L’art que ce système nous révèle n’est nullement primitif et grossier, comme on pourrait s’y attendre».
Un comble pour cet homme de gauche, militant socialiste et internationaliste, qui créa successivement plusieurs partis politiques réclamant l’indépendance de la Bretagne tout en affirmant des valeurs de justice et d’égalité sociale.
Merci à Laurent Escolier d’avoir signalé cet article sur la liste de discussion du logiciel GNU LilyPond.