Un jeune contributeur nous signale ce trop méconnu Wild Men’s Dance (Danse sauvage), œuvre pour piano composée en 1913. Leo Ornstein (1893-2002) a alors tout juste vingt ans et a émigré depuis quelques années, avec sa famille, d’Ukraine vers New York.
D’une écriture jusqu’alors inimaginable, cette partition développe un langage rythmique dont la force n’égale que la nouveauté ; d’un point de vue harmonique, le clavier ne devient plus qu’un bac à sable de clusters chromatiques et d’agrégats entièrement atonaux. Lors de sa création à Londres (par l’auteur lui-même, excellent pianiste) en 1914, elle suscite des remous dans l’auditoire : un critique postulera qu’Ornstein «est la somme de Schönberg et Scriabine, au carré». On est moins d’un an après Jeux de Debussy et le Sacre du printemps à Paris (lequel reste pourtant d’une écriture nettement moins radicale que celle de Ornstein) ; deux ans après l’Allegro Barbaro de Bartók, et cinq ans avant Amériques de Varèse.
N’ayant pas eu, comme beaucoup d’auteurs européens, à souffrir de la Grande Guerre, Ornstein poursuit son exploration de la «musique abstraite» avec une Sonate pour violon et piano (1916), Suicide in an Airplane (Suicide dans un avion, 1918) pour piano seul, et Sonata Sauvage (1923). S’il apparaît pendant une dizaine d’années comme l’une des figures majeures de l’innovation musicale et, en particulier, du courant dit futuriste, Ornstein cesse pourtant de se produire en public à partir des années 1920. Il plonge alors peu à peu dans l’oubli, d’autant plus volontiers que son style se fait plus réfléchi et moins audacieux ou exubérant. Sa carrière se poursuivra cependant pendant de longues décennies, puisqu’il publiera sa huitième Sonate pour piano à l’âge de 97 ans en 1990, et mourra au XXIe siècle à l’âge de 108 ans.