Tom Johnson (né en 1939) est un compositeur américain vivant à Paris et fort apprécié des Ou-x-po ; il fut notamment l’invité d’honneur d’un mémorable Jeudi de l’Oulipo en février 2012.
http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/anx_conferences_2012/a.c_120209_oulipo.html
http://multimedia.bnf.fr/conferences/120209_oulipo.mp4
Avec «Failing» (Échec, 1995) pour contrebassiste solo (jouant à la fois la contrebasse et une fonction de récitant), Tom Johnson produit une partition métalinguistique à la fois drôle et captivante. La délimitation de la situation scénique s’estompe, de même que la distinction entre texte écrit et improvisation, l’interprète commençant par bavarder informellement avec son public et introduisant peu à peu des phrases instrumentales. Le texte lui-même n’a pour seul objet que de nous informer, sans cesse, de ce que la partition est d’une difficulté technique rendant son exécution impossible (allégation qui, au demeurant, s’avère illégitime).
https://www.youtube.com/results?search_query=failing+%22tom+johnson%22
Le mécanisme ainsi convoqué est celui du "Paradoxe du menteur", mais avec une composante supplémentaire : celle du défilement du temps et de la progression dramatique (la pièce étant conçue pour être jouée avec partition, et le public voyant bien que les pages se succèdent, et que la pièce s’achemine vers une conclusion).
Il s’agit, au demeurant, de théâtre et de performance plus que d’un discours essentiellement musical ; reste donc à imaginer si une démarche comparable pourrait être envisagée, avec autant d’efficacité mais par des moyens uniquement musicaux et sans l’appui du texte parlé.
L’art du chant diphonique est connu de longue date, notamment parmi les chanteurs traditionnels de Mongolie. Grâce au Web, il est aujourd’hui possible de découvrir cette technique vocale, et même, de se l’approprier au service de langages musicaux divers.
Ainsi, la chanteuse bavaroise Anna-Maria Hefele présente sur YouTube divers exemples de sa pratique du chant diphonique, allant d’arpèges simples à de véritables mélodies :
https://www.youtube.com/watch?v=UHTF1-IhuC0
On reconnaît à la fin de cette démonstration la mélodie «Sehnsucht nach dem Frühlinge» de Mozart (ici présentée par l’interprète, étrangement, comme une mélodie populaire).
Or, les sons diphoniques (harmoniques naturelles) ne permettant pas l’intervalle de dixième mineure, elle emploie à deux endroits (lors de la modulation à la dominante, puis à la toute fin de la mélodie) des notes fondamentales étrangères à la tonalité (des septièmes degrés abaissés, autrement des notes non-sensibles). De fait, l’air prend ainsi une toute autre couleur... plus proche d’une musique populaire non-occidentale, que du langage tonal classique dont il est en fait issu.
Traduire les gestes musicaux par des gestes corporels relève de l’évidence, comme le montrent danseurs et chefs d’orchestre. Plus rares sont les langages qui font correspondre un geste rigoureux à une hauteur précise ; l’exemple le plus répandu (particulièrement dans les pays anglo-saxons) est probablement celui inventé par John Curwen (1816-1880) au milieu du XIXe siècle, et perfectionné par Kodály Zoltán (1882-1967) au XXe siècle.
(On notera qu’en "tonic sol-fa", la gamme est le plus souvent présentée dans l’ordre descendant, contrairement à nos habitudes de "do ré mi fa sol" ou "C D E F G" en anglais et allemand.)
Véritable tarte à la crème de l’enseignement musical en Amérique du Nord, cette codification gestuelle apparaît notamment dans le film Rencontres du troisième type que nous évoquions récemment.
Un autre exemple, moins connu quoique légèrement antérieur, est celui du langage Solrésol imaginé par Jean-François Sudre dans les années 1830 (langage sur lequel nous serons amenés à revenir plus amplement), pour lequel Sudre avait également imaginé une codification par gestes.
À la fois moyen de communication à distance («téléphonie») et langue universelle destinée à la compréhension mutuelle du genre humain (incluant, on le voit, les personnes atteintes de surdité), le Solrésol est pensé par Sudre moins comme traduction d’éléments musicaux que comme une langue à part entière, dotée de son lexique et de sa grammaire.
Enfin, la plupart des activités "musicales" accessibles à des publics sourds et malentendants, s’appuie sur le rythme ou sur les paroles (traduites en langue des signes, principalement ASL ou LSF) ; une façon originale et efficace de combiner les deux composantes (verbale et rythmique) se trouve tout naturellement dans les musiques de type rap ou slam. YouTube en fournit de nombreux exemples (qui échapperont peut-être, espérons-le, à la censure des robots ContentID sous prétexte de copyright).
La série télévisée américaine Battlestar Galactica (2003-2009, d’après une série précédente en 1978) est une fresque de science-fiction emblématique de la première décennie du XXIe siècle. Si les critiques n’ont pas manqué de souligner les sinuosités parfois hasardeuses de son parcours narratif, une large part de sa cohérence stylistique est due sans aucun doute à sa bande son, accordant une large part aux percussions et instruments non-occidentaux (même si le compositeur Bear McCreary ne se prive pas de gestes hollywoodiens plus habituels).
Cependant, au fil des saisons, la musique va au-delà de sa fonction illustrative et tend à faire irruption dans la diégèse même de la série ; elle en vient à jouer un rôle essentiel de résolution des arcs narratifs (d’une façon qui confine au merveilleux, ce qui au passage semble bien pratique pour des scénaristes ne sachant comment terminer leur histoire).
C’est ainsi qu’un motif mélodique, à l’origine pensé comme un riff d’accompagnement pour la chanson «All Along the Watchtower» de Bob Dylan (que les producteurs souhaitaient utiliser à la fin de la saison 3), va progressivement prendre une place prédominante dans le récit.
http://www.bearmccreary.com/wp-content/uploads/2007/12/theme-watchtower.jpg
Après s’être fait entendre furtivement dans des récepteurs radio ou dans l’esprit de certains personnages, le motif apparaît dans son intégralité en compagnie de la chanson, et dévoile ainsi (dans les épisodes finaux de la saison 3) la nature non-humaine de plusieurs personnages importants. (Il faudrait d’ailleurs examiner le sous-texte culturel conduisant à rédiger ce motif dans un mode phrygien "exotique" et à le faire jouer par des instruments non-occidentaux, là où d’autres protagonistes certifiés 100% humains -- blancs pour la plupart -- ont droit à des thèmes mélodiques irlandais ou gaéliques.)
Dans la saison suivante, le même motif se retrouve dans les souvenirs d’enfance et improvisations au piano d’une autre personnage, ce qui là encore donne lieu à de nouvelles révélations.
https://www.youtube.com/watch?v=z-BsOrV80SY
De surcroît, une jeune enfant dessine sur un papier des traces dont on comprend qu’elles constituent une partition sommaire de cette même mélodie.
http://www.bearmccreary.com/wp-content/uploads/2009/02/dots-evolution1.jpg
http://www.bearmccreary.com/wp-content/uploads/2009/02/dots-evolution3.jpg
Enfin, à la toute fin de la série, l’on «découvre» que ces notes, transformées en chiffres, correspondent à des coordonnées spatiales qui indiquent l’emplacement de la Terre (littéralement) promise. On touche ici à un stratagème narratif de deus ex machina...
http://www.bearmccreary.com/wp-content/uploads/2009/03/theme-coordinates.jpg
Le compositeur Bear McCreary fournit sur son site quelques témoignages sur son travail autour de Battlestar Galactica. Au-delà de considérations parfois superficielles ou auto-congratulatoires, il évoque les instruments exotiques mis à contribution (de façon très "world culture", c’est-à-dire entièrement utilitariste et mélangée), et raconte également de quelle façon il a insensiblement substitué sa propre mélodie à la chanson originellement choisie par les producteurs ; ou encore ses différentes propositions pour faire correspondre (a posteriori) un codage numérique à ladite mélodie.
http://www.bearmccreary.com/blog/battlestar-galactica-3/bg3-crossroads-part-ii/
http://www.bearmccreary.com/blog/battlestar-galactica-3/bg4-someone-to-watch-over-me-pt-1/
http://www.bearmccreary.com/blog/battlestar-galactica-3/bg4-daybreak-pt-2/
Dans «Rencontres du troisième type» (Close Encounters of the Third Kind, 1977), des extraterrestres entrent en communication avec l’espèce humaine au moyen de motifs mélodiques, à commencer par un groupe de cinq notes devenu emblématique de ce film.
(À ces cinq notes sont également associés des motifs lumineux et colorés, ainsi que des gestes de la main correspondant à la codification Curwen/Kodály que nous évoquons ici-même)
La «conversation» culmine en un mémorable duo hautbois/tuba basse dû à John Williams.
Que pouvons-nous inférer de ce motif de cinq notes ?
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Les aliens s’expriment en langage tempéré (preuve s’il en est de leur avance technologique, le monde occidental ayant mis plusieurs siècles à y parvenir) ;
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Les aliens attachent beaucoup d’importance à la tonalité majeure (il ne s’agit, après tout, que d’un accord parfait orné)... mais peu importe laquelle (le motif est donné dans de nombreuses transpositions : la M, sib M, do M etc.
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Le rythme, en revanche, semble d’une importance toute accessoire (il est d’ailleurs étrange de voir les «scientifiques» humains donner des instructions portant uniquement sur les rythmes et non les intervalles).
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Ces aliens sont de piètres mélodistes (même au regard de productions ultérieures telles que les indicatifs SNCF actuellement en vigueur) ; ligne brisée sans direction déterminée, sauts d’octave gratuits et désinence sur la quinte...
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Fins observateurs de la culture humaine et en particulier d’Amérique du Nord (leur destination élective), les aliens ont non seulement choisi pour s’exprimer l’un de ces jingles qui ponctuent notre vie quotidienne, mais le font entendre avec une sonorité qui rappelle à s’y méprendre l’orgue électromécanique «Hammond» dont les monodies simplistes jalonnent les matchs de hockey et de baseball.
Bien joué.
Andrew Toovey, compositeur britannique né en 1962 et spécialisé dans les remixs d’œuvres célèbres du patrimoine savant, propose avec son concerto "Out!" pour deux pianos (créé en 1994) une façon assez jubilatoire de superposer des fragments parmi les plus incontournables du répertoire pianistique.
Le procédé est facile et l’orchestration volontiers simpliste (la seule originalité, vite éventée, réside dans l’omniprésence d’une batterie de rock), mais le résultat s’avère pétillant et amusant.
https://youtu.be/qrm6Ms-tD8g
https://youtu.be/i9U7fiKQzIg
https://youtu.be/kHvZEgE404o
Jack Benny (1894 - 1974) était un comique américain, doublé d’un excellent violoniste. Au long de sa très longue carrière (sur scène, à la radio puis à la télévision), le violon est devenu pour lui un motif de gag récurrent, seul ou en duo. Au-delà de l’art comique pratiqué de longue date par les clowns, il préfigure une forme d’humour aujourd’hui largement pratiquée en France.
https://www.youtube.com/watch?v=pmPgNzHZUpY
https://www.youtube.com/watch?v=Q3cc0HlO7so
https://www.youtube.com/watch?v=seZ4KhYr-Hw
https://www.youtube.com/watch?v=_EofKXc-EOo
https://www.youtube.com/watch?v=DdQa-TaQvPs
https://www.youtube.com/watch?v=gfy_i0fi2gU
Toujours signalé par Martin Granger, cet autre "fad" actuel à partir des vidéos musicales sur YouTube : enlevez le son, et reconstituez-le, mais sans musique. Les bruitages prennent évidemment une place prédominante, mais ce qui frappe sans doute le plus est l’absence de la piste musicale qui donne son sens originel à la vidéo. De cette absence naît un sens nouveau : un numéro de danse devient ainsi une étrange pantomine possédée, et ainsi de suite.
Quelques exemples au hasard :
https://www.youtube.com/watch?v=om8kt8gi93Q
https://www.youtube.com/watch?v=hbKh0Y_QCrc
https://www.youtube.com/watch?v=u3wx60nKkt4
https://www.youtube.com/watch?v=5Jd9AmepgdM
https://www.youtube.com/watch?v=fRqCVcSWbDc
Dans un style un peu différent :
https://www.youtube.com/watch?v=2ArMS3MSQwc