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September 27, 2015

L’OuRaPo ne répond plus

Début 2015, dix ans après son ouverture, le nom de domaine ourapo.net a disparu du Web sans (presque) laisser de trace. Heureusement, la page vers laquelle il renvoyait demeure, elle, toujours accessible : il s’agit en fait d’un «audioblog» hébergé par Arte Radio (où officie son co-fondateur Thomas Baumgartner).

OuRaPo, c’est l’Ouvroir de Radiophonie Potentielle (à ne pas confondre avec l’OuTraPo, ayant trait à la Tragicomédie), regroupement de quelques expériences sonores effectuées entre 2004 et 2009, qui explorent cette zone grise ouverte par les expérimentations de la musique concrète dans la deuxième moitié du XXe siècle, de Pierre Henry (né en 1927) à Revolution 9 des Beatles (1968).

La proximité historique et l’adéquation stylistique des Oulipiens envers le médium radiophonique n’est plus à démontrer, comme en témoignent de (trop) rares archives incluses dans la playlist de l’Ourapo, notamment une brève piste enregistrée par Luc Étienne dans les années 1970 (à confronter avec ses autres travaux en la matière).

Les travaux expérimentaux les plus frappants restent sans doute ceux de Georges Perec (volontiers rebaptisé Play-Rec par l’Ourapo) à partir de la fin des années 1960, notamment pour la radio allemande puis française, et que nous avons nous-même tenté de recenser.

La nécessité d’un OuRaPo semble donc relever de l’évidence, et il faut souhaiter que son activité reprenne un jour prochain sous une forme ou une autre. Pendant ce temps, l’OuSonmupo (Ouvroir du Sonore et du Musical Potentiels) a fêté ses huit ans ; on est cependant sans nouvelles de l’OuSoPo (Ouvroir de Sonorités Potentielles) animé de 2005 à 2011 en marge du festival brestois «Longueur d’ondes». Le site de l’OuSoPo reste, toutefois, accessible à l’heure actuelle :
http://ousopo.org/

Comment dit-on «Haydn» en musique française ?

Le centenaire de la mort de Franz Joseph Haydn, en 1909, donne lieu à d’innombrables célébrations à travers l’Europe entière : colloques, concerts, exhumation d’œuvres inédites ou oubliées. En France, c’est Jules Écorcheville (né en 1872), fondateur de la Société Internationale de Musique et directeur de sa revue «S.I.M.», qui propose à divers compositeurs de rédiger des hommages à Haydn.

Un problème se pose alors : comment traduire par des notes de musique les cinq lettres de son nom ? En effet, la notation anglaise de la gamme (en commençant par La naturel) ne va que jusqu’à la lettre G ; la notation allemande, assignant la lettre B au Si bémol, permet d’aller jusqu’à H pour le Si naturel (pour le plus grand bonheur de Bach, qui peut ainsi orthographier son nom entier)... Mais ces systèmes restent essentiellement défectifs, même si certains compositeurs (tels que Schumann) font preuve d’imagination en traduisant par exemple la lettre S par Es, c’est-à-dire Mi bémol.

Écorcheville prend l’initiative de prolonger la gamme en faisant tourner les lettres de l’alphabet de façon cyclique. S’il a l’avantage de la simplicité, ce dispositif n’est pas sans incohérences : ainsi dans le nom de HAYDN, le côtoiement des lettres Y et D oblige à répéter deux fois de suite la même note (Ré naturel).

Ce système ne sera pas sans susciter quelques remarques acrimonieuses ; ainsi dans une lettre du 16 juillet 1909, le vieillard Saint-Saens exhorte son ancien élève Fauré à rejeter l’appel d’Écorcheville tant que ce dernier n’aura pas «prouvé» (?) que les lettres Y et N correspondent à Ré et Sol, ajoutant non sans trahir sa véritable préoccupation qu’«il serait malvenu de s’engager dans une entreprise ridicule qui ferait de nous la risée des musiciens allemands.»

De fait, Ni Fauré ni Saint-Saens ne contribueront (pas plus que Massenet, dont on ignore même s’il a répondu à Écorcheville) au numéro de la revue «S.I.M.» daté de 1910 et entièrement consacré à Haydn. (Voir p.29 et suivantes dans le document PDF ; les autres articles sont tous dignes d’intérêt, «S.I.M.» ayant manifestement eu à cœur de substituer à la superficialité mondaine du «Mercure Galant», un véritable souci de rigueur académique.) On y trouve notamment une valse lente méconnue de Debussy (un an avant la «Plus que lente»), un Prélude Élégiaque de Paul Dukas, un Thème varié néoclassique de Hahn, un Menuet-trio de l’infâme d’Indy, le célèbre Menuet de Ravel (dans lequel le motif donné de cinq notes est exploré dans tous les sens et renversements possibles), et une fugue d’école de Widor. Au final, se dessine ainsi un aperçu remarquable de la création musicale française de la décennie, pour le meilleur et pour le pire.

Pendant l’entre-deux guerres, ce sera dans la «Revue Musicale» fondée et dirigée par Henry Prunières (1861-1942) que se regroupent des compositeurs autour du codage d’un nom : FAURÉ en octobre 1922 (avec Aubert, Enesco, Koechlin, Ladmirault, Ravel, Roger-Ducasse et Schmitt) puis ROUSSEL en 1928 (avec Beck, Delage, Hoérée, Honegger, Ibert, Milhaud, Poulenc et Tansman). L’on pourrait y ajouter, même si aucun motif mélodique n’a été donné à cette occasion, cet extraordinaire «Tombeau de Claude Debussy» dès la fondation de la revue en 1920, réunissant Bartók, Dukas, Goossens, Falla, Malipiero, Ravel, Roussel, Satie, Schmitt et Stravinsky :
https://urresearch.rochester.edu/institutionalPublicationPublicView.action?institutionalItemId=20987

Quelques décennies plus tard, ce n’est pas un compositeur mais un chef d’orchestre, Paul Sacher (1906-1999) qui prête son nom à l’incroyable brochette de compositeurs contemporains réunie par le violoncelliste Rostropovitch en 1976 : Beck, Berio, Boulez, Britten, Dutilleux, Fortner, Ginastera, Halffter, Henze, Holliger, Huber et Lutosławski. Au moyen de deux subterfuges (la lettre S étant, comme on l’a vue, traduite par Mi bémol, et la lettre R étant arbitrairement assignée au Ré naturel), la question du codage des lettres éloignées dans l’alphabet est ici escamotée.
https://en.wikipedia.org/wiki/Sacher_hexachord

Pour en revenir à Jules Écorcheville, celui-ci restera, à son corps défendant, comme l’inventeur d’un codage notes-lettres simpliste et diatonique dit «à la française», ce qui est d’autant plus ironique pour quelqu’un qui a précisément remplacé la Société Nationale de Musique par une «Société Internationale», et qui proclame avec ferveur en 1911 que «l’internationalisme relève de l’intelligence et de la réflexion».
http://www.musicologie.org/Biographies/e/ecorcheville_jules.html

Trois ans plus tard, le monde entre en guerre et il se rend à cette «grande représentation franco-allemande» pour y tenir un rôle qu’il croit humanitaire, et y défendre sa vision d’une culture musicale dépassant les frontières : «Nous partons en chantant la Marseillaise, mais nous reviendrons en chantant l 'Internationale (S.I.M.)!». C’est cependant dans le vacarme des tranchées qu’il meurt, le 19 février 1915.