Parodies et pastiches abondent tout au long de l’histoire de la musique (même du temps de Jean-Jacques Rousseau, comme nous l’avions évoqué), qu’elles concernent la musique savante (l’exemple de La Truite en témoigne) ou la chanson ; c’est d’ailleurs dans ce dernier domaine que les imitations et caricatures semblent les plus aisées -- peut-être parce qu’il suffit bien souvent de fabriquer d’autres paroles en conservant la mélodie et l’accompagnement : nous l’avons constaté à propos de Jacques Dutronc (l’on pourrait tout aussi bien évoquer la Vache à mille francs, au succès aujourd’hui incompréhensible). Le pastiche qui consiste à écrire des chansons entièrement nouvelles (paroles et musiques) tout en imitant un style reconnaissable, voire poussé jusqu’à la caricature, est une forme plus rare -- et de ce fait, bien plus impressionnante lorsqu’elle est réussie.
Un mardi de 1980, la chaîne radiophonique britannique BBC Radio 4 laisse l’antenne pendant 28 minutes à une étrange station : Radio Active (c’est son nom) se présente comme «la première radio locale nationale», mais ne se définit guère que par son degré invraisemblable d’amateurisme... Et pour cause : il s’agit en fait d’une radio fictive, au service d’une émission purement parodique imaginée par trois humoristes, une comédienne et un musicien. Radio Active rencontrera un succès certain (sept saisons et plus de 50 épisodes, suivis dans les années 1990 d’une adaptation à la télévision) et durable : outre les innombrables rediffusions et produits dérivés (cassettes, livres) de l’émission elle-même, chacun de ses interprètes et créateurs a connu une carrière remarquable par la suite.
La réussite de Radio Active tient en grande partie à son emballage musical et sonore, entièrement dû au musicien Phil Pope. On y rencontre de nombreuses blagues musicales, des musiques d’ambiance caricaturales ou incongrues et d’excellents jingles toujours subtilement parodiques : voix exagérées, phrases instrumentales inutilement longues, etc. Cependant, ce sont les chansons présentées par cette radio qui méritent qu’on s’y attarde tout particulièrement.
Dès ses tous premiers épisodes, Radio Active introduit, sous un prétexte de pure illustration musicale, ce qui apparaîtra rapidement comme la signature (et sans doute, de fait, la motivation première) de ses auteurs : des chansons évoquant les tubes de l’époque, interprétées par des groupes fictifs aux noms calembouresques. À peu près toute la pop music anglo-saxonne de la décennie aura droit à ce traitement parodique (on peut en trouver quelques exemples sur YouTube) ; les jeux de mots sont en général atroces (et de ce fait, excellents), les voix impeccablement convaincantes (fût-ce dans un style sirupeux), et -- surtout -- l’écriture mélodique, harmonique et les arrangements sont d’une intelligence redoutable : à la fois extrêmement bien construits, et très finement exagérés dans les tics propres à l’auteur parodié.
La première de ces chansons est également la plus mémorable : Meaningless Songs In Very High Voices, interprété par les Hee Bee Gee Bees (à ne pas confondre avec un récent groupe israélien). De fait, c’est sous ce nom que les trois chansonniers de Radio Active (Angus Deayton, Geoffrey Perkins, Michael Fenton Stevens, sans oublier les arrangements de Phil Pope) resteront connus, publieront plusieurs disques, et se retrouveront même propulsés au top 10 des tubes... en Australie (la patrie d’origine des Bee Gees authentiques).
Remarquable par son interprétation autant que par son écriture, cette chanson exemplaire offre plusieurs niveaux de compréhension : du plus farcique (les effets vocaux ridicules, encore que l’original n’est pas sans offrir tout ce qu’il faut en la matière) au plus subtil (l’arrangement instrumental et les interventions des chœurs). Le texte des paroles est un commentaire auto-référentiel portant autant sur la forme que sur l’exécution vocale : on rejoint là l’exercice que l’Oumupo propose de nommer métachant. «Meaningless Songs in Very High Voices»... tout est dit dès le titre.
Comme pour beaucoup de comédies britanniques, l’écriture de Radio Active vieillit remarquablement bien : 37 ans après leur première apparition au festival Fringe d’Edinburgh, ses créateurs et interprètes s’y sont retrouvés en 2016 pour y rejouer un de leurs épisodes -- sans aucune modification nécessaire, tant cet humour reste d’actualité. Et pourtant, notre rire lui-même a changé de nature : l’auditeur d’aujourd’hui a l’habitude de l’humour auto-référentiel et de cet état d’esprit méta qui a contaminé l’ensemble du champ médiatique savant et populaire. Un exemple frappant se trouve dans les radios fictives incluses depuis les années 2000 dans la série de jeux vidéo GTA, et qui comprennent de fausses publicités, des parodies de débats (imaginées notamment par Lazlow Jones, véritable animateur radio), des journaux d’actualité effroyablement propagandistes comme dans la vraie vie, et même de très drôles jingles chantés (la station Flash FM du jeu GTA Vice City Stories est une vraie réussite à ce titre). La comparaison avec Radio Active se fait d’elle-même.
Quant à cette dernière, l’écouter ou la réécouter aujourd’hui permet facilement de penser y déceler un niveau de commentaire absurde, de désabusement caustique et de satire socio-culturelle : il serait pourtant largement anachronique de prêter une telle intention à ses auteurs, qui -- nonobstant leur éducation intellectuelle, leur large culture et leur finesse d’observation -- ne l’ont probablement conçue, à l’époque, que comme une suite de pitreries gratuites et sans conséquence.Parodies et pastiches abondent tout au long de l’histoire de la musique (même du temps de Jean-Jacques Rousseau, comme nous l’avions évoqué), qu’elles concernent la musique savante (l’exemple de La Truite en témoigne) ou la chanson ; c’est d’ailleurs dans ce dernier domaine que les imitations et caricatures semblent les plus aisées -- peut-être parce qu’il suffit bien souvent de fabriquer d’autres paroles en conservant la mélodie et l’accompagnement : nous l’avons constaté à propos de Jacques Dutronc (l’on pourrait tout aussi bien évoquer la Vache à mille francs, au succès aujourd’hui incompréhensible). Le pastiche qui consiste à écrire des chansons entièrement nouvelles (paroles et musiques) tout en imitant un style reconnaissable, voire poussé jusqu’à la caricature, est une forme plus rare -- et de ce fait, bien plus impressionnante lorsqu’elle est réussie.
Un mardi de 1980, la chaîne radiophonique britannique BBC Radio 4 laisse l’antenne pendant 28 minutes à une étrange station : Radio Active (c’est son nom) se présente comme «la première radio locale nationale», mais ne se définit guère que par son degré invraisemblable d’amateurisme... Et pour cause : il s’agit en fait d’une radio fictive, au service d’une émission purement parodique imaginée par trois humoristes, une comédienne et un musicien. Radio Active rencontrera un succès certain (sept saisons et plus de 50 épisodes, suivis dans les années 1990 d’une adaptation à la télévision) et durable : outre les innombrables rediffusions et produits dérivés (cassettes, livres) de l’émission elle-même, chacun de ses interprètes et créateurs a connu une carrière remarquable par la suite.
La réussite de Radio Active tient en grande partie à son emballage musical et sonore, entièrement dû au musicien Phil Pope. On y rencontre de nombreuses blagues musicales, des musiques d’ambiance caricaturales ou incongrues et d’excellents jingles toujours subtilement parodiques : voix exagérées, phrases instrumentales inutilement longues, etc. Cependant, ce sont les chansons présentées par cette radio qui méritent qu’on s’y attarde tout particulièrement.
Dès ses tous premiers épisodes, Radio Active introduit, sous un prétexte de pure illustration musicale, ce qui apparaîtra rapidement comme la signature (et sans doute, de fait, la motivation première) de ses auteurs : des chansons évoquant les tubes de l’époque, interprétées par des groupes fictifs aux noms calembouresques. À peu près toute la pop music anglo-saxonne de la décennie aura droit à ce traitement parodique (on peut en trouver quelques exemples sur YouTube) ; les jeux de mots sont en général atroces (et de ce fait, excellents), les voix impeccablement convaincantes (fût-ce dans un style sirupeux), et -- surtout -- l’écriture mélodique, harmonique et les arrangements sont d’une intelligence redoutable : à la fois extrêmement bien construits, et très finement exagérés dans les tics propres à l’auteur parodié.
La première de ces chansons est également la plus mémorable : Meaningless Songs In Very High Voices, interprété par les Hee Bee Gee Bees (à ne pas confondre avec un récent groupe israélien). De fait, c’est sous ce nom que les trois chansonniers de Radio Active (Angus Deayton, Geoffrey Perkins, Michael Fenton Stevens, sans oublier les arrangements de Phil Pope) resteront connus, publieront plusieurs disques, et se retrouveront même propulsés au top 10 des tubes... en Australie (la patrie d’origine des Bee Gees authentiques).
Remarquable par son interprétation autant que par son écriture, cette chanson exemplaire offre plusieurs niveaux de compréhension : du plus farcique (les effets vocaux ridicules, encore que l’original n’est pas sans offrir tout ce qu’il faut en la matière) au plus subtil (l’arrangement instrumental et les interventions des chœurs). Le texte des paroles est un commentaire auto-référentiel portant autant sur la forme que sur l’exécution vocale : on rejoint là l’exercice que l’Oumupo propose de nommer métachant. «Meaningless Songs in Very High Voices»... tout est dit dès le titre.
Comme pour beaucoup de comédies britanniques, l’écriture de Radio Active vieillit remarquablement bien : 37 ans après leur première apparition au festival Fringe d’Edinburgh, ses créateurs et interprètes s’y sont retrouvés en 2016 pour y rejouer un de leurs épisodes -- sans aucune modification nécessaire, tant cet humour reste d’actualité. Et pourtant, notre rire lui-même a changé de nature : l’auditeur d’aujourd’hui a l’habitude de l’humour auto-référentiel et de cet état d’esprit méta qui a contaminé l’ensemble du champ médiatique savant et populaire. Un exemple frappant se trouve dans les radios fictives incluses depuis les années 2000 dans la série de jeux vidéo GTA, et qui comprennent de fausses publicités, des parodies de débats (imaginées notamment par Lazlow Jones, véritable animateur radio), des journaux d’actualité effroyablement propagandistes comme dans la vraie vie, et même de très drôles jingles chantés (la station Flash FM du jeu GTA Vice City Stories est une vraie réussite à ce titre). La comparaison avec Radio Active se fait d’elle-même.
Quant à cette dernière, l’écouter ou la réécouter aujourd’hui permet facilement de penser y déceler un niveau de commentaire absurde, de désabusement caustique et de satire socio-culturelle : il serait pourtant largement anachronique de prêter une telle intention à ses auteurs, qui -- nonobstant leur éducation intellectuelle, leur large culture et leur finesse d’observation -- ne l’ont probablement conçue, à l’époque, que comme une suite de pitreries gratuites et sans conséquence.