Cette contribution du chercheur Matthias Robine au colloque J.I.M. 2007 (journées d’informatique musicale, organisées par le Grame) se penche sur les choix des pianistes en matière de doigtés, et sur le lien entre le jeu instrumental pris comme suite de mouvements bio-mécaniques, et son résultat sonore. Comment déterminer algorithmiquement le meilleur doigté pour une partition donnée ? Et à l’inverse, comment reconstituer, à partir d’un enregistrement sonore, quels doigtés ont été employés par l’interprète ?
L’auteur convoque ici certaines références essentielles en matière de recherche bio-mécanique portant sur la main du pianiste, à commencer par les travaux d’Otto Ortmann (1889-1979) qui fait figure de pionnier avec son ouvrage Physiological Mechanics of Piano Technique paru en 1929. (Le présent article inclut notamment, figure 3a, une photographie fascinante suivant une lumière attachée aux doigts d’un pianiste.) Cet article évoque également l’étude essentielle de Christine McKenzie et Dwayne Van Eerd, Rhythmic precision in the performance of piano scales (parue en 1990), et reproduit l’expérience effectuée alors : demander à un pianiste de jouer une gamme à différents tempos, puis relever sur le sonogramme les déviations rythmiques en comparaison d’une division (théorique) strictement égale du temps. Le diagramme résultant fait évidemment apparaître une aspérité notable -- la hantise de tout pianiste -- due au fatidique «passage du pouce». On peut néanmoins regretter que l’auteur n’ait pas ici tenté d’aller plus loin, par exemple en appliquant une analyse similaire aux variations dans l’intensité sonore des différentes notes.
Il est, pour un musicien, toujours amusant de voir combien les études ayant trait à la composition ou à l’exécution instrumentale, procèdent souvent d’un biais lié à la spécialisation scientifique de chaque chercheur : un statisticien parlera d’une partition en termes stochastiques et en chaînes de Markov, un programmeur en intelligence artificielle modélisera les règles harmoniques sous forme d’algorithmes, un cybernéticien tentera de fabriquer des contrôles d’instruments robotisés, etc. Et c’est là que le présent article perd, peut-être, de son intérêt : il ne tient aucun compte de l’aspect profondément affectif et singulier que revêt pour un instrumentiste le choix de ses doigtés, dans lesquels entre généralement des problématiques complexes justifiables (pas toujours) par des contraintes d’exécution, par des filiations esthétiques, par un confort et un ressenti personnel. De ce point de vue, prétendre aborder «la musique» sous forme de gammes supposées parfaitement égales, ou prétendre être en mesure de déterminer «le» doigté adéquat, ne peut trahir qu’une profonde méconnaissance des réalités de la pratique artistique.
Un petit tour sur le Web, d’ailleurs, achève de nous décevoir quant à la profondeur d’analyse (ou son absence) de Matthias Robine, qui (comme beaucoup d’universitaires, particulièrement dans les domaines pseudo-musicaux) semble avoir poursuivi son parcours ces dernières années en créant une entreprise remplie de bon gros buzzwords bien creux.