Signalée par l’indispensable Robert Rapilly («Bob Rap») sur la Liste Oulipo, cette initiative originale propose de recréer les Exercices de style de Raymond Queneau (dans une version légèrement actualisée) en les confiant à… des rappeurs.
Métro bondé. Ligne 12. Le narrateur remarque un personnage A, grand, mince avec une grosse pomme d’Adam qui porte un bob Ricard sur la tête. A engueule son voisin B qui selon lui, en profite pour lui marcher sur les pieds à chaque fois que le métro bouge. Dès qu’une place assise se libère, il file s’asseoir. Deux heures plus tard, devant la gare Saint-Lazare, le narrateur recroise le même personnage A, en vive discussion avec un ami renoi C. C conseille à A de mettre du fromage sur ses frites.
À l’origine de ce projet sympathique, le rappeur Big Daddy SLyM et l’émission Double Neuf, diffusée sur la radio associative marseillaise BAM, en partenariat avec la MJC de Fresnes.
Cartographier le paysage des innombrables ou-x-pos ces cinquante dernières années, est une mission difficile tant ces collectifs ont eu tendance à n’exister que de façon informelle (voire, à se résumer à une seule personne). À partir des années 1990, la tâche se simplifie quelque peu grâce à l’avènement du Web (support toutefois plus fugace qu’on ne l’imagine) -- nous avions ainsi évoqué la difficulté à retrouver des traces de l’OuRapo et de l’OuSoPo ; cela est également vrai d’ouvroirs nettement plus établis puisque l’Oubapo, par exemple, en plus de deux décennies d’existence, n’a toujours pas de site web.
L’Ouchanpo (ou plus exactement LES ouchanpos), Ouvroir de Chanson Potentielle, fait partie de ces idées tellement évidentes qu’elles ont été explorées par plusieurs personnes et dans des directions différentes. S’il est manifeste que la chanson a fait partie de longue date des terrains de jeux ou-x-piens (Raymond Queneau, Paul Braffort et beaucoup d’autres s’y sont essayé), elle semble le plus souvent avoir été amalgamée avec l’Oumupo, dans ses itérations diverses : ce qui a conduit dans les années 2000, un label de variété à intituler une de ses collections «Oumupo», alors qu’il s’agit purement de chanson et non d’expériences musicales. Aujourd’hui encore, l’Oumupo actuel compte parmi ses membres deux spécialistes de la chanson : Martin Granger et Moreno Andreatta.
Ce n’est que vers la fin des années 1990 que l’on trouve quelques traces d’un Ouchanpo formalisé en tant que tel. Comme l’explique le chanteur Emmanuel Dufay dans une brochure :
Amoureux de la chanson, j’ai mis en place, à Rouen, un rendez vous de la création de chansons : l’OuChanPo, Ouvroir de Chansons Potentielles. Depuis 1998, cet atelier d’écriture a vu naître un nombre incalculable de textes dont certains ont été mis en musique.
[...]
À l’aide de jeux d’écriture inspirés de ceux du mouvement surréaliste, [nous avons] constitué en quelques années un répertoire phénoménal de textes variés, hétéroclites, quelquefois surprenants, drôles ou tristes, absurdes ou insolites, qui ont tous cette particularité d’avoir été créés «sous contrainte», mais sans aucun jugement, et dans un temps relativement court. Certains ont été effectivement transformés en chansons.
Cet "Ouchanpo normand" (sic) inclut bientôt d’autres participant(e)s : Benoît Hauchecorne, Nadège Quenouille, Évelyne Boulbar, Manuel Crocis, et semble avoir été en activité jusqu’à au moins début 2012. Il en existe quelques traces sur MySpace ; l’on note toutefois que, si son aspect ludique est effectivement évoqué, peu d’explications sont données quant à une éventuelle démarche d’expérimentation formelle (de surcroît, les puristes s’étonneront peut-être de voir ainsi juxtaposés surréalisme et ou-x-po).
Notons du reste -- et cette remarque s’appliquera également à la totalité des initiatives présentées ci-après -- que ces spécialistes de chanson semblent parfaitement disposés à ne considérer lesdites chansons que de par leur composante textuelle (le poème, autrement dit). L’énoncé même «certains ont été mis en musique» est à ce titre cruellement révélateur : ainsi, il suffirait pour se déclarer "ouchanpo" de ne prendre qu’un substrat des travaux oulipiens, s’appliquant à des textes susceptibles d’être chantés -- mais dans ce cas, lesquels ? Les poèmes ? Les formes courtes ? Les textes inspirés de chansons existantes et connues ? Il y a là une faiblesse conceptuelle fondamentale que l’on n’est que trop heureux de faire passer par pertes et profits.
En 2008, un certain "Lozt" (de son vrai nom François Lozet, auteur-chanteur et producteur) publie une série d’articles au nom de l’Ouchanpo, qu’il déclare fonder ainsi. Outre quelques développements politico-artistiques (parfois un brin fumeux, mais que n’aurait peut-être pas renié l’auteur des présentes lignes à la même époque ?), on lui doit l’ébauche d’un Traité contre la rime dans la chanson, ainsi que le concept de Kaléidophonie, au demeurant assez mal défini :
La kaleidophonie, ou le kaleidophone, est certes une forme particulière de chanson - mais une autre forme de chanson. Elle existe, existe déjà, certes à l'état embryonnaire, au fond de chaque conscience. C'est le babil ressurgi, l'angoisse première qu'il faut rassurer par la répétition, le bégaiement de l'âme qui permet d'être soi. Ce sont ces refrains insensés sur quoi tout en nous se fonde, et qu'il s'agit maintenant de distinguer, de mettre en forme.
Là encore, on le voit, la démarche ou-x-pienne est encore assez étrangère ; au demeurant, ledit Lozt mettra un terme à ses publications dès fin 2008.
Le 21 novembre 2012 (quelques mois après les dernières apparitions publiques de l’Ouchanpo dit "normand", et plus d’un après l’annonce officielle de l’Oumupo actuel), le toujours vigilant Robert Rapilly signale sur la Liste Oulipo :
Chère Liste,
Veux-tu savoir ce qu'est un tougoudougoudou (pluriel tougoudouxgoudous avec x
au milieu et s à la fin) ?
À supposer que oui, voici ce qu'est un tougoudougoudou.
Un tougoudougoudou est un tercet d'octosyllabes à rime unique dont :
- le premier vers désigne le dédicataire,
- le deuxième vers décrit le dédicataire,
- le dernier vers dézingue le dédicataire.
Le tougoudougoudou,on l'aura compris, se veut méchant.
Au contraire l'inventeur du tougoudougoudou semble gentil, que je sache.
Il se nomme Jean Mouchès et son site se visite là :
http://www.jeanmouches.fr/ouchanpo-ouvroir-de-chanson-potentielle-les-tougouxdougoudous/
Jean Mouchès (dont on peut trouver quelques vidéos en ligne) a choisi de donner à ces travaux l’intitulé d’Ouchanpo ; et de fait, même si ses expériences formelles restent peu nombreuses, on peut y trouver un certain esprit oulipien (d’ailleurs, son «tougoudougou» fera pendant quelques jours les délices de la Liste Oulipo toute entière).
Plus récemment (en avril 2016), le mathématicien et informaticien Nicolas Trotignon (de Normale Sup’ Lyon), a consacré sur son blog une série de brefs billets à des travaux qu’il dénomme Ouchanpo :
Je propose ici un travail anouchanpiste («an» veut dire «analytique»). C’est-dire qu’on va analyser les contraintes formelles dans des chansons classiques. Je remets à plus tard le synthouchanpisme («synth» veut dire «synthétique») qui se propose d’inventer et d’appliquer des contraintes nouvelles. Disons à beaucoup plus tard, quand je serai vraiment désespéré de ne plus rien trouver pour ce blog, et après vous avoir fourgué les 5000 chansons de Pierre Delanoë traduites en japonnais. (sic)
De Georges Brassens à Bobby Lapointe, il relève ainsi quelques ouchanpismes par anticipation (que d’aucun nommeraient peut-être "curiosités musicales"?), pas inintéressants quoique restant toujours à l’état d’ébauche.
Ce qui nous amène aux travaux sans doute les plus discrets, mais les plus intéressants, de ce tour d’horizon : ils sont à trouver, sans aucune surprise, du côté de la toujours plus indispensable Liste Oulipo, qui a d’ailleurs fêté ses vingt ans en 2016. La liste est précisément en deuil ces jours-ci : elle pleure la disparition récente de Dider Bergeret (à quelques jours de son soixantième anniversaire) ; présent sur la liste depuis son tout début, il s’y était distingué par sa gentillesse, son humour et la qualité jamais démentie de ses propositions.
Or Didier Bergeret était également fort intéressé par la chanson. Si la plupart de ses travaux restent consultables dans les archives de la Liste (qui requièrent de s’inscrire), l’on peut toutefois trouver, par exemple, sa contribution en forme de chanson à la BLO16 dédiée à Nicolas Graner. De façon peut-être plus marquante (puisque certains s’en souviennent encore dix-huit ans plus tard), Didier Bergeret avait posté la proposition suivante le 22 mars 1999, que voici reproduite in extenso ; elle pourra donner une idée de la qualité et de la finesse d’un travail authentiquement ou-x-pien :
From: DBERGERET < dbergeret@uvcs.uvic.ca>
To: "Oulipo (E-mail)" < oulipo@quatramaran.ens.fr>
Subject: ouchanpo (long)
Date: Mon, 22 Mar 1999 23:57:02 -0800Dans la série des ouXpo, pourquoi pas un sur la chanson?
Un bon nombre des chansons de Brassens qui ont bercé ma jeunesse sont construites sur le modèle "thème et variations": toute l'idée est contenue dans le ou les premier(s) couplet(s), les couplets suivants ne sont que des variations. Une fois le thème exposé, chaque couplet subséquent est construit sur le même moule: on peut en dégager un certain nombre de contraintes de forme, de style, de sens, que l'auteur s'est imposées. On pourrait dire qu'il s'agit de sa part d'une sorte d'auto-pastiche.
En observant les contraintes que Brassens s'est imposées dans la composition de certaines chansons, on peut - sacrilège à part - leur ajouter des couplets inédits. C'est un exercice auquel je me suis livré il y a quelques années, et je me permets d'en livrer ici un exemple.
Chanson de départ: Bécassine (texte original)
Un champ de blé prenait racine
Sous la coiffe de Bécassine,
Ceux qui cherchaient la toison d'or
Ailleurs avaient bigrement tort.
Tous les seigneurs du voisinage,
Les gros bonnets, grands personnages,
Rêvaient de joindre à leur blason
Une boucle de sa toison.
Un champ de blé prenait racine
Sous la coiffe de Bécassine.
C'est une espèce de robin,
N'ayant pas l'ombre d'un lopin,
Qu'elle laissa pendre, vainqueur,
Au bout de ses accroche-cœurs.
C'est une sorte de manant,
Un amoureux du tout-venant
Qui pourra chanter la chanson
Des blés d'or en toute saison
Et jusqu'à l'heure du trépas,
Si le diable s'en mêle pas.Au fond des yeux de Bécassine
Deux pervenches prenaient racine,
Si belles que Sémiramis
Ne s'en est jamais bien remis'.
Et les grands noms à majuscules,
Les Cupidons à particules
Auraient cédé tous leurs acquêts
En échange de ce bouquet.
Au fond des yeux de Bécassine
Deux pervenches prenaient racine.
C'est une espèce de gredin,
N'ayant pas l'ombre d'un jardin,
Un soupirant de rien du tout
Qui lui fit faire les yeux doux.
C'est une sorte de manant,
Un amoureux du tout-venant
Qui pourra chanter la chanson
Des fleurs bleu's en toute saison
Et jusqu'à l'heure du trépas,
Si le diable s'en mêle pas.À sa bouche, deux belles guignes,
Deux cerises tout à fait dignes,
Tout à fait dignes du panier
De madame de Sévigné.
Les hobereaux, les gentillâtres,
Tombés tous fous d'elle, idolâtres,
Auraient bien mis leur bourse à plat
Pour s'offrir ces deux guignes-là,
Tout à fait dignes du panier
De madame de Sévigné.
C'est une espèce d'étranger,
N'ayant pas l'ombre d'un verger,
Qui fit s'ouvrir, qui étrenna
Ses joli's lèvres incarnat.
C'est une sorte de manant,
Un amoureux du tout-venant
Qui pourra chanter la chanson
Du temps des c'ris's en tout' saison
Et jusqu'à l'heure du trépas,
Si le diable s'en mêle pas.Résumé: Bécassine était fort belle, à tel point que les personnages les plus riches et les plus haut placés de la région étaient prêts aux plus grands sacrifices pour obtenir ses faveurs. Elle jeta pourtant son dévolu sur un petit roturier sans le sou venu d'ailleurs.
On peut observer les contraintes suivantes:
- Chacun des trois couplets fait référence à un détail spécifique de l'anatomie de Bécassine (les cheveux, les yeux, les lèvres). On remarquera au passage la progression vers le bas.
- Chacun de ces détails anatomiques est assimilé à un élément végétal (le blé, les pervenches et les cerises, respectivement).
- La métaphore végétale est une métaphore filée: le végétal renvoie à son tour à un terrain idoine (un lopin, un jardin, un verger), ainsi qu'au titre d'une chanson connue (la Chanson des Blés d'Or, Fleur Bleue, le Temps
des Cerises).- L'heureux élu du cœur de Bécassine est désigné par un nom plutôt péjoratif qui rime avec le terrain en question (robin, gredin, étranger, rimant respectivement avec lopin, jardin et verger).
- Le caractère exceptionnel de la beauté de Bécassine est souligné dans chaque couplet par une référence mythologique ou littéraire (la Toison d'Or, les jardins de Sémiramis, Madame de Sévigné)
- Brassens s'interdit, comme il se doit, la répétition: les personnages qui convoitent Bécassine et la richesse de ceux-ci sont évoqués par des expressions différentes dans chaque couplet.
- L'exception évidente à (6) ci-dessus est le dernier sizain de chaque couplet, rigoureusement identique (à part le titre de chanson), ce qui lui confère une indéniable qualité de refrain.
Mettons-nous maintenant au travail: compte tenu de la progression vers le bas et du caractère sexuel de plus en plus marqué des attraits de Bécassine, il semblerait normal, dans le quatrième couplet, de décrire ses seins.
Pour la métaphore végétale, si les poires, les pommes ou les oranges s'imposent par leur forme, elles ne brillent pas par leur poésie. En outre, le verger a déjà été utilisé au deuxième couplet. On se souviendra, en revanche, que Baudelaire a comparé avec bonheur les seins de son égérie à des grappes de raisin (dans "Les Bijoux"), ce qui permet aussi l'usage du mot "vignoble," non encore mentionné dans la chanson. Le quatrième couplet, donc, pourrait avoir l'air de ceci:À sa gorge pendaient deux grappes
Qui faisaient songer aux agapes,
Aux agapes du bon Bacchus
Où l'on s'enivrait tant et plus.
Les nobliaux de la province,
Dont les coffres n'était pas minces,
Auraient tout donné sans retard
Pour avoir droit à leur nectar.
A sa gorge pendaient deux grappes
Qui faisaient songer aux agapes.
C'est une espèce de guignol
N'ayant pas l'ombre d'un vignoble,
Un petit paltoquet indigne
Qui tâta des fruits de sa vigne,
C'est une sorte de manant,
Un amoureux du tout-venant
Qui pourra chanter la chanson
Du P'tit Vin Blanc en tout' saison
Et jusqu'à l'heure du trépas
Si le diable s'en mêle pas.Je me demande ce que Brassens aurait pensé d'une telle manipulation de ses textes. J'ose espérer qu'il se serait un peu reconnu. S'il y en a que ça amuse, on peut faire un travail analogue sur d'autres chansons qui s'y prêtent particulièrement. Citons par exemple:
L'ancêtre
La non-demande en mariage
Le petit joueur de flûteau
Rien à jeter
La rose, la bouteille et la poignée de mains (et....?)
La route aux quatre (cinq? six?) chansons
Les sabots d'Hélène
Etc.PS: Il y a un site web très complet sur Brassens, avec tous les textes, à:
http://web.archive.org/web/19990429035414/http://www.3cm.com/brassens/index.htm"Virile effusion" à toutes et à tous
DB
S’il doit exister un Ouchanpo un jour, le meilleur vœu que nous puissions lui souhaiter est qu’il soit, au moins un peu, héritier de Didier Bergeret.
Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer les curieuses créations sonores de Luc Étienne (1908-1984, co-opté à l’Oulipo en 1970). Cet écrivain contrepèteur (il fut l’une des "Comtesses" du Canard Enchaîné) s’intéressait particulièrement au langage en tant qu’objet sonore, que ce soit en manipulant les syllabes ou même la piste magnétique directement. À ce titre, il fit partie des premiers à se déclarer "Oumupien" dès les années 1970.
Dans un dossier consacré à l’Oulipo en 2006, le webzine anglophone Drunken Boat publie quelques-unes des expériences sonores de Luc Étienne : des palindromes et rétrogradations sonores, mais également quelques fragments musicaux joués sur un clavier accordé en tempérament décimal (ET10).
D’autres expériences de Luc Étienne (entreprises à partir de 1957 et regroupées sous le titre Les Après-midi d’un Magnétophone, parfois orthographié Magnétofaune) sont à entendre sur le disque remarquable Pataphysics paru en 2005 chez le label anglais (aujourd’hui disparu) Sonic Arts Network.
Une copie des travaux d’expérimentation sonore de Luc Étienne nous a aimablement été transmise par Alain Zalmanski (du Collège de ’Pataphysique et de la Liste Oulipo) ; nous avons fait le choix de publier en ligne cette copie, pour son intérêt historique et en hommage à l’inventivité de ce tout premier oumupien.
Matrin Granger nous fait découvrir les travaux du chanteur britannique (et Lillois d’adoption) Paul Grundy, notamment son récent album Solid Idols dont chacune des 26 chansons (plus un numéro introductif) est construite comme un «beau présent» oulipien sur le nom d’une personnalité du Royaume-Uni.
À titre d’exemple, Martin nous fait partager ce numéro (ici sans Flash, sans oublier les paroles) autour du nom de Jane Austen.
Pour autant que nous puissions en juger, la contrainte formelle n’affecte que les paroles et non la mise en musique. (L’exercice relève donc davantage de l’Oulipo, fût-ce indirectement, que de l’Oumupo.)
Le lied Die Forelle est l’une des partitions les plus connues de Franz Schubert (1797-1828), sur un texte de Christian Friedrich Schubart (1739-1791). Écrite en 1817 (en passant par une demi-douzaine de versions successives), elle semble se prêter à toutes sortes de dérivations, à commencer par les variations de Schubert lui-même pour quintette avec piano, ainsi que les deux transcriptions successives pour piano seul de Franz Liszt. Pour le public francophone d’une certaine génération, l’air reste associé à ses paroles humoristiques des Frères Jacques.
Alain Zalmanski (chercheur, vulgarisateur, ’pataphysicien, auteur polygraphe et éminent contributeur de la Liste Oulipo) nous signale ces Variations sur La Truite du chef de chœur autrichien Franz Schöggl (1930-1982). Intitulée Die launige Forelle («Trout as you like it» dans une traduction anglaise posthume), cette pièce pour chœur mixte à quatre voix présente dix variations successives (dont quatre ou cinq sont souvent omises), qui constituent autant de détournements faisant chacun allusion à un compositeur ou une esthétique différents : Mozart, Beethoven, Weber, Wagner, Liszt, chanson napolitaine, chœur russe, etc.
Cette pièce ne figurant pas encore dans le domaine public, il nous est impossible de la consulter dans son intégralité. Il en existe cependant de nombreux enregistrements en ligne (mais, pour autant que nous puissions voir, tous lacunaires), ainsi qu’un fragment de partition traduit en hongrois.
La variation sur un thème est évidemment un exercice musical universel et immémorial (voir par exemple notre page consacrée à la Folia), qui se prête notoirement bien à des jeux d’allusions et de clins d’œil ; ainsi Beethoven se plaît-il, dans ses variations Diabelli (dont nous avions proposé un résumé, à citer le Notte giorno faticar de Mozart.
Plus récemment, l’Ircam proposa en 1998 à divers compositeurs de rédiger des variations sur la chanson (traduite en français) de la série télévisée Zorro ; on y trouve aussi bien une Histoire du Zorro que le Zorro lunaire, et d’autres pastiches plus savoureux les uns que les autres. L’extrait diffusé en ligne (et archivé ici par nos soins) permet d’entendre un magnifique Zorro et les sortilèges à la manière de Ravel.
Merci à Alain Zalmanski de nous avoir signalé cette Truite de Schöggl ; profitons-en pour mentionner qu’Alain a récemment fêté ses 80 ans et que la liste lui a rendu hommage à cette occasion (comme dix ans auparavant) ; l’Oumupo a d’ailleurs saisi cette occasion pour faire entendre un extrait méconnu du Double Concerto pour violon et contrebasse d’Alban Berg, disparu l’année même où naissait notre Zalmanski national.
Cette célèbre berceuse du compositeur crémonais Tarquinio Merula (1595? - 1665), signalée par un membre de la Liste Oulipo, se distingue par sa basse continue sur deux notes seulement. Sur cette basse obstinée (s’il en est), se déploie une mélodie surprenante par son expressivité et son audace, riche en mouvements disjoints et en ambiguïtés modales.
Loin d’un artifice gratuit, le mouvement circulaire du discours musical est chargé de sens : mimétique du balancement d’un berceau, il produit un effet envoûtant, hypnotique, et d’une beauté qui échappe largement à son époque.
Des procédés d’écriture se retrouveront évidemment à partir de la seconde moitié du XXe siècle, dans la musique dite minimaliste mais aussi dans le jazz (à ce titre, l’ancrage sur la dominante de cette berceuse fait penser aux morceaux en mode phrygien que l’on trouve par exemple chez E.S.T.).
De nombreux enregistrements très différents se trouvent sur le Web :
https://soundcloud.com/outhere-music/berceuse-de-merula
https://www.youtube.com/watch?v=oC7MAlkOTYM
https://www.youtube.com/watch?v=OvR9-L9Je9Y
https://www.youtube.com/watch?v=ZgBzg0Z_qyE
https://www.youtube.com/watch?v=nJNC2-BXTRY
https://www.youtube.com/watch?v=SKXIeBHOgBo
https://www.youtube.com/watch?v=nJNC2-BXTRY
Glanés sur l’excellent site du non moins excellent Nicolas Graner, ces quelques couplets avec des rimes en «do ré mi» (et plus si affinités).
Noël Bernard, éminent contributeur de la Liste Oulipo, aime à transcrire des thèmes musicaux sous forme de poèmes (en général fort réussis, comme souvent chez lui). Ici, le troisième concerto de Rachmaninov.
À lire également, ses explications assorties de quelques exemples simples :
http://www.talipo.fr/?page_id=1376#c_harmonique
Un autre exemple inspiré de Debussy, remixé avec «la nuit» de J. Jouet :
http://www.talipo.fr/?p=3242