Sous l’intitulé The Sonic Sky sont réunis plusieurs court-métrages successifs réalisés par le compositeur microtonal américain Stephen James Taylor (qui s’est notamment fait connaître dans les années 1980 avec des musiques de dessins animés télévisés). Outre plusieurs créations relevant de l’art contemporain (ce que l’on aurait appelé l’art «digital» dans les années 1990), il présente en introduction une tentative de vulgariser la notion de tempérament et de microtonalité, en particulier à travers les théories de Erv Wilson (né en 1928).
Ce film peut être consulté (et téléchargé) sur la plateforme Vimeo.
Cette vidéo est remarquable de par sa clarté didactique, mais plus encore, par le décalage entre la noblesse et l’ambition de sa démarche (dont l’assise scientifique n’est pas à contester) et l’esthétique présidant à sa mise en application. Surchargée d’animations, filtres et transitions incroyablement datés, cette vidéo pourtant récente évoque le déferlement des logiciels grand-public de la fin des années 1990 (Windows Movie Maker® et autres). D’un point de vue harmonique, la musique de Taylor reste extrêmement proche des langages populaires occidentaux (que l’on pourrait dire «de variété»), les notes étrangères au tempérament ne faisant qu’apporter une coloration somme toute non-essentielle à un langage par ailleurs entièrement tonal ; quant au travail de timbres, il semble limité à des sons purement synthétiques assez stéréotypés et peu expressifs.
S’il est indéniable que les travaux de recherche microintervallique ont œuvré à déconstruire le carcan tonal et post-tonal occidental, il semblerait naïf de prétendre que les nouveaux langages ainsi créés ont une plus légitime prétention à une universalité absolue. C’est pourtant ce que fait allègrement Taylor, qui organise sa démonstration autour d’une métaphore verticale (où le langage harmonique classique représenterait un premier niveau, les tempéraments non-égaux un niveau plus élevé, et la musique microtonale l’espace céleste infini encore au-dessus)... finissant ainsi par créer involontairement une nouvelle «harmonie des sphères», dans les traces de l’idéologie Keplerienne. Pour exaltante que soit la contemplation de cette transcendance potentielle, la vacuité du discours musical sous-jacent n’en est ici que plus déconcertante.
Au chimiste corse Angelo Mariani (1838-1914), l’on doit non seulement la commercialisation du «vin Mariani» (à l’extrait de coca) qui transforma une bonne partie de la population en cocaïnomanes déchaînés, mais également une conception visionnaire et agressive de la publicité qui façonnera radicalement la société moderne, dite «de consommation».
C’est au début des années 1890 que Mariani commence à acheter régulièrement de larges encarts dans la presse quotidienne nationale (notamment Le Figaro) pour y promouvoir son breuvage accompagné d’un portrait (réalisé d’après photographie) et de la dédicace manuscrite d’une célébrité du moment. Cette combinaison (image+dédicace "personnalisée", dirait-on aujourd’hui), faisant signe vers le phénomène plus tard dénommé «star system», touche non seulement un public de choix (la bonne société lettrée et urbaine, à la fois cœur de cible et prescripteur pour le corps social dans son ensemble), mais incite d’autres personnalités mondaines à se prêter à l’opération.
Cette mode ne fait que s’accroître avec la parution régulière, dès 1894 et sous l’impulsion du bibliophile Octave Uzanne (1851-1931), d’«Albums Mariani» regroupant en recueil les dédicaces et autographes précités, accompagnés non seulement du portrait de chaque célébrité mais de deux pages biographiques d’une flagornerie éhontée. Flattant habilement le narcissisme des heureux élus, ces albums deviendront rapidement un «Who’s Who» de la haute société qui se bouscule pour y figurer et assurer la promotion du vin Mariani. Plus de 1000 personnalités y figureront en tout (dont l’inventaire exact reste, d’ailleurs, à faire) : écrivains français (Hugo, Verne, Zola, Hérédia, Colette, Renard, Mistral -- ce dernier étant non seulement très lié avec Mariani mais aussi rompu à l’exercice publicitaire : on lui doit notamment de nombreux quatrains pour la savon Mikado), dramaturges (Feydeau, Courteline, Dumas fils), auteurs étrangers (Wells, Ibsen), artistes (Rodin, Sarah Bernhardt), inventeurs (les frères Lumières, Edison), personnalités politiques (Louise Michel, Anatole France, Gambetta, pas moins de sept présidents de la république française) et dignitaires du monde entier (président des USA, reine d’Angleterre, czar de Russie)...
Le monde musical n’est évidemment pas en reste, d’autant plus volontiers que les fragments de partition tracés hâtivement à la main constituent une forme originale de dédicace entre gens de bonne compagnie. Tentons donc de recenser ces autographes musicaux, en commençant par les divas, et chanteurs d’opéra :
Rose Delaunay, 1890
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Anne Judic, 1895
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6569202c/f195.image
Renée du Minil, 1900
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k406114m/f52.image
Obin, 1894 (sur un air de Auber)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206023v/f151.image
Jean-Baptiste Faure (de l’Opéra), 1896
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6569202c/f135.image
Lucien Fugère (de l’Opéra Comique), 1897 (sur un air de Rossini)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6569202c/f135.image
Tagliafico, 1894 (ancien chanteur, impresario)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206023v/f212.image
Raoul Pugno, 1927 (pianiste)
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http://ecx.images-amazon.com/images/I/412Ok74QfnL.jpg
Les compositeurs furent abondamment mis à contribution par Mariani. Ainsi de Charles Gounod, dont la relation avec le vin de coca prend tout son sens lorsque l’on connaît son tempérament fortement dépressif, particulièrement dans ses vieux jours. Il adresse ainsi au vin Mariani, en 1894, une brève louange en Do Majeur pour chœur d’hommes :
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Le compositeur Émile Pessard lui réplique par un chœur responsorial pour voix aigües quelques semaines plus tard : «Je complète le chœur de Gounod, à la demande des femmes et des enfants qui doivent au vin Mariani et à l’élixir de coca du Pérou la force, la fraîcheur et la santé» [sic]
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206023v/f160.image
S’ensuit tout un défilé de "petits maîtres" tels que, la même année, Bernard Salvayre, surnommé pour l’occasion... "le Verdi de Toulouse".
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206023v/f193.image
Jules Massenet, en 1895, fait preuve de plus d’imagination en rédigeant un "antique chant péruvien" -- de tout notre corpus, c’est le seul fragment dépourvu de paroles, et certainement le plus intéressant musicalement :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6569202c/f219.image
Victorin Joncières, 1896
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6569202c/f187.image
Ernest Boulanger, 1896 (sur l’air des "Sabots de la marquise")
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6569202c/f63.image
Robert Planquette, 1897
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k299357b/f198.image
Théodore Dubois, 1897
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k299357b/f89.image
Alfred Bruneau, 1900
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k406114m/f52.image
Gustave Charpentier, 1901 (se contente manifestement du minimum syndical)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2060260/f51.image
Pietro Mascagni, 1904 (sombré dans l’oubli après son opéra «la Cavaliera rusticana» de 1890 ; il s’agit du seul compositeur étranger de notre corpus)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k205989q/f187.image
Armande de Polignac, 1911
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k205992d/f223.image
Se dessine ainsi un panorama de la création musicale française post-romantique dans ce qu’elle a de plus tarte ; si l’on échappe à Delibes, Chabrier, Saint-Saens ou Lalo, l’on doit s’avouer frappé de constater que n’y figurent ni Debussy, Ravel, Satie ou les jeunes fondateurs du groupe des six, ni les auteurs étrangers de premier ordre qui fréquentèrent Paris à cette époque : Falla, Stravinsky, Prokofiev... Malgré son indéniable effort d’ouverture aux personnalités de sexe féminin et d’origines ou de cultures diverses, le vin Mariani apparaît comme indissociable de l’esprit cocardier et obtus fin-de-règne de la prétendue «Belle» Époque, de cette paresse intellectuelle embourgeoisée qui présidera jusqu’à la Grande Guerre. Du reste, si les albums Mariani se poursuivront tant bien que mal jusqu’au début des années 1930, les fragments musicaux tendent à s’y raréfier dès le début du XXe siècle, et en disparaissent presque entièrement après le décès d’Angelo Mariani en 1914.
Seule y fait exception une petite valse en Ré Majeur publiée en 1925, qui constitue d’ailleurs le fragment le plus développé et abouti de notre recensement :
http://www.persee.fr/renderPage/pharm_0035-2349_1980_num_68_247_2084/0/1456/pharm_0035-2349_1980_num_68_247_T1_0232_0003.jpg
Nonobstant sa tournure guillerette et sa relative platitude (à l’exception d’un saut de septième puis d’octave au centre de la mélodie), cette épigramme musicale prend une saveur étrangement douce-amère lorsqu’on sait qu’elle constitue la toute dernière partition rédigée, peu de temps avant sa mort et malgré une surdité quasi-totale... par un certain Gabriel Fauré.
Fin 2013, cette courte animation en boucle (Gif animé) a amusé quelques milliers d’internautes car elle évoque irrésistiblement (pour qui possède la référence pop-culturelle requise) une chanson.
Rares sont les exemples de synesthésie aussi simples et accessibles, comme n’ont pas manqué de le souligner les hordes de Redditeurs rompus aux considérations «meta» :
http://www.reddit.com/r/gifs/comments/1ui2jf/hear_with_your_eyes/
http://www.reddit.com/r/woahdude/comments/251478/can_you_hear_it/
http://www.reddit.com/r/gifs/comments/2a4f2t/i_can_actually_hear_this_gif/
Évidemment, la chose s’adresse nécessairement à un public bien précis, ayant grandi à une époque où ladite chanson s’est imposée comme la tarte à la crème des publicités télévisuelles (Evian, Halo, Pepsi) et dont les forums Web et le gif animé sont le signe de ralliement par excellence. (Cette génération est notamment décrite dans la série télévisée "Veronica Mars" -- dont l’épisode 14, saison 1, fait précisément intervenir ce motif rythmique.)
Jack Benny (1894 - 1974) était un comique américain, doublé d’un excellent violoniste. Au long de sa très longue carrière (sur scène, à la radio puis à la télévision), le violon est devenu pour lui un motif de gag récurrent, seul ou en duo. Au-delà de l’art comique pratiqué de longue date par les clowns, il préfigure une forme d’humour aujourd’hui largement pratiquée en France.
https://www.youtube.com/watch?v=pmPgNzHZUpY
https://www.youtube.com/watch?v=Q3cc0HlO7so
https://www.youtube.com/watch?v=seZ4KhYr-Hw
https://www.youtube.com/watch?v=_EofKXc-EOo
https://www.youtube.com/watch?v=DdQa-TaQvPs
https://www.youtube.com/watch?v=gfy_i0fi2gU
Martin Granger nous signale cette mode récente sur YouTube : prenez une vidéo musicale, remplacez le son (avec une attention toute particulière pour les bruitages) et débrouillez-vous pour que les chanteurs et instrumentistes présentés à l’écran n’apparaissent pas, comment dire, au sommet de leur art.
Quelques exemples en vrac :
Les concerts de rock sont une cible de choix :
Le jazz n’y échappe pas :
- voici un shred très subtil et progressif
- un autre
Et la musique savante non plus :
- concerto pour cor de Mozart
- un hilarant shred de Glenn Gould, avec une grande attention portée aux mouvements des doigts sur le clavier
Professeur de français en lycée, Roger Berthet recense sur son site quelques exercices de style mémorables. On notera en particulier ceux de de Thierry Dedieu présentés ici sur une comptine à base de poule, ainsi que les «Souris vertes» réalisées par ses propres élèves.
Le chercheur Moreno Andreatta nous signale cette composition dont la progression harmonique suit rigoureusement, nous dit-il, les «cycles hamiltoniens dans le Tonnetz». (C’est moins méchant que ça en a l’air.)