Dans son essai Prosodia Rationalis (rédigé en 1775 puis révisé en 1779), l’écrivain et homme politique anglais Joshua Steele se propose d’«établir la mélodie et la métrique du langage parlé, en l’exprimant et en la transmettant par des symboles spécifiques».
Audacieuse et construite très rationnellement, son approche part de la notation musicale classique pour conclure rapidement à son insuffisance en matière de voix parlée, et procède alors à l’élaboration d’un nouveau système de notation pouvant exprimer à la fois les variations de hauteur (y compris au sein d’une même syllabe), de durée, et d’intensité.
L’influence du discours oral sur la musique n’est évidemment plus à démontrer : de la prosodie scandée antique au rap/slam en passant par le Sprechgesang ou encore la speech melody de Steve Reich, la voix parlée est un matériau essentiel à bien des langages musicaux anciens et contemporains. (Il faut à ce titre mentionner également les langues de communication employant des moyens musicaux, telles les langues sifflées ou les tambours parlants d’Afrique de l’Ouest.) Parallèlement, les chercheurs en phonétique n’ont de cesse de s’interroger sur les inflexions de la voix, propres à telle langue, à telle expression ou encore à tel milieu social -- et pour quelques compositeurs/acousticiens hautement spécialisés dans la décomposition des formants de la voix humaine, les deux démarches scientifique et artistique peuvent parfois converger.
De fait : bien avant l’avènement des sciences du langage, des sciences humaines et du structuralisme, Steele crée un pont extrêmement original entre la musique savante, qui constitue son arrière-plan culturel, et ce qui allait devenir la linguistique. L’aspect anthropologique et la comparaison de langues différentes ne semble pas faire partie de sa démarche (ce qui aurait pourtant pu être possible étant donné sa curiosité envers les hommes de toutes origines) ; cependant il témoigne d’une grande finesse pour analyser l’intonation de nombreuses phrases anglaises, issues notamment de sermons religieux, ou même... de son propre texte, donnant ainsi lieu à une forme de méta-sémiotique remarquable par sa modernité.