Curieux personnage que David Teie. Ce musicien américain accompli, chanteur, brillant violoncelliste (aussi bien en orchestre qu’en soliste), s’est aussi essayé à la composition (il est l’auteur de plusieurs pièces symphoniques et concertos, après avoir étudié notamment avec Corigliano), et a même pris part à des concerts de rock (avec Metallica puis Echobrain)... avant de s’improviser chercheur dans un domaine jusqu’alors totalement ignoré par la science : l’influence de la musique sur les différentes espèces animales.
L’hypothèse de Teie est simple, mais touche à l’essence même de la musique : selon lui, ce qui rend un stimulus auditif agréable à écouter, résulte, d’une part, de l’adéquation de ce son à l’appareil auditif propre à l’auditeur, d’autre part au souvenir, même inconscient, de sons entendus au tout début de son existence. Ainsi, les perceptions intra-utérines façonneraient le style de musique préféré chez l’être humain : instruments reproduisant les fréquences proches de la voix parlée (notamment la voix maternelle), tempo se rapprochant de la vitesse des battements cardiaques entendus par le fœtus, etc.
Il deviendrait alors possible, postule Teie, d’élaborer à partir de ces deux préceptes un langage musical adapté à d’autres espèces animales. Ce sera l’objet d’une première étude réalisée en 2010 avec le spécialiste des singes tamarins Charles Snowdon. Pour s’adresser à un public plus large, Teie se tourne ensuite vers des animaux plus familiers : les chats. Outre son approche scientifique (qui fait l’objet d’une nouvelle publication par la société d’éthologie appliquée), Teie cherche maintenant à commercialiser sa musique avec son site Web Music for Cats, une impeccable vidéo promotionnelle, impliquant très intelligemment quelques chats déjà rendus célèbres sur YouTube, et une campagne d’appel aux dons qui a récolté les vingt mille dollars escomptés en deux jours seulement, et a même dépassé deux cent quarante mille dollars en un mois.
À quoi ressemblent ces objets musicaux ? Tout d’abord, il faut noter que c’est bien de musique que nous devons parler : avec beaucoup de clairvoyance, Teie a compris qu’il s’adressait aussi (voire avant tout) aux humains se trouvant en compagnie de félins. (Exactement comme les "psys" spécialisés pour animaux s’intéressent en réalité souvent à la relation entre l’animal et son maître -- et l’on peut d’ailleurs constater que David Teie fait l’objet des mêmes moqueries que ces psycho-éthologues comportementaliste.)
À ce titre, il sous-tend son discours de couleurs harmoniques assez riches et renouvelées (dans une temporalité très étirée qui évoque les compositeurs américains dans le sillage de Feldman), et le parsème de quelques interventions mélodiques instrumentales manifestement destinées à une oreille humaine. La partie plus spécifiquement féline (qui s’intègre de façon organique et assez réussie avec le reste du discouts) repose sur des textures sonores (synthétiques) évoquant divers bruits naturels : ronronnement, chants d’oiseaux. Au-delà de son succès commercial et médiatique, l’ensemble est plaisant (y compris, semble-t-il, pour les chats) et donne l’impression d’avoir été élaboré avec beaucoup de soin et d’honnêteté -- même si le sérieux de la démarche et de son assise scientifique, reste à établir.
À travers cette musique étonnante et, d’une certaine façon, envoûtante, David Teie propose de réexaminer, même d’une façon peut-être ici idéaliste ou naïve, simpliste ou maladroite, la musique dans son état le plus élémentaire : celui de phénomène sonore et de perception psycho-acoustique. Grâce au choix d’une musique pour les chats, il invite aussi à retrouver la musique en tant qu’objet de partage et de lien affectif. Une démarche attachante... et peut-être plus profonde qu’il n’y paraît ?