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August 7, 2016

Longue vie et prospérité

En 1966 voit le jour la série télévisée Star Trek, qui laissera une empreinte durable sur l’imaginaire et la vie culturelle des cinq décennies suivantes (et au-delà, sans nul doute). Si d’innombrables commentaires ont été faits quant à l’univers (pour une fois, le terme n’est pas entièrement inapproprié) de la série, ses arrières-plans philosophiques, scientifiques et linguistiques, un aspect mérite d’être souligné ici : l’omniprésence d’éléments musicaux surprenants et marquants.

Tout d’abord, il est frappant de constater combien les personnages de Star Trek (tant dans la série d’origine que dans les séries et films suivants, à l’exception des plus récents) ont de propension à chanter et jouer de la musique sous divers prétextes (c’est même un ressort narratif dans le film Star Trek: Insurrection). Des dizaines d’œuvres et chansons ont été jouées par les personnages à ce jour, et cette discussion sur Reddit fait le point sur les diverses compétences instrumentales des personnages majeurs : Riker et son trombone, Data au violon, Nella Daren et Seven of Nine au piano (mais aussi Spock), Uhura à l’épinette, Harry Kim à la clarinette, etc. De nombreux compositeurs sont mentionnés, et certains font même une apparition (Beethoven et surtout Brahms, qui donne même son nom à un personnage).

Au répertoire musical connu s’ajoute tout un corpus musical fictionnel : ainsi par exemple des opéras klingons, évoqués régulièrement par des personnages. Cette tradition musicale s’est d’ailleurs vue concrétisée sur Terre au XXIe siècle, lorsqu’un groupe de hollandais a effectivement créé un véritable opéra Klingon, en 2010 (en voici un extrait).

De même, outre les instruments de musique connus, Star Trek donne naissance à tout un instrumentarium spécifique, d’au moins une trentaine de spécimens divers, de la harpe vulcaine de Spock (pour laquelle nous disposons de plans détaillés) à la flûte acquise par Picard dans le village de Ressik où il vit une existence entière et fonde une famille, avant de tout perdre en un instant -- ce qui donne lieu à un moment mémorable de la série.

De surcroît, beaucoup d’acteurs de Star Trek sont eux-même mélomanes : tant Leonard Nimoy que William Shatner ont entrepris de se lancer dans la chanson (avec un bonheur discutable pour ce dernier) ; Jonathan Frakes a réellement joué du trombone dans sa jeunesse, et Brent Spiner est un habitué de Broadway.

Enfin, l’accompagnement musical de la série et des films subséquents, mérite qu’on s’y attarde. Différents thèmes musicaux ont été réalisés par de nombreux compositeurs pour les génériques et musiques d’arrière-plan ; le thème d’origine est dû à Alexander Courage et a donné lieu à de nombreuses anecdotes intéressantes :

  • le compositeur déclara s’être inspiré d’une chanson des années 1930.
  • le texte parlé sur l’introduction est lui-même inspiré d’une brochure du gouvernement américain encourageant à l’exploration spatiale.
  • les «wooosh» faits par le vaisseau spatial montré à l’image sont des bruitages ajoutés à la musique par Courage lui-même, qui les produisit avec sa bouche.
  • le créateur de la série, Gene Rodenberry, écrivit des paroles pour ce thème musical, non pour qu’elles soient chantées mais simplement pour s’arroger la moitié des droits de diffusion.
  • même si le thérémine est devenu une sonorité emblématique de la série, le thème original n’est pas joué par un instrument électronique mais par une vocalise de soprano (Loulie Jean Norman), mêlée à un son de flûte et d’orgue. (Le mixage était à l’origine égal et difficilement identifiable, mais Rodenberry insista pour en faire un véritable solo de soprano.)

Le matériau thématique et timbrique de Star Trek s’élargit en 1979 avec le premier long-métrage consacré à ces personnages. Confiée à Jerry Goldsmith, la musique sera terminée dans l’urgence (la dernière séance d’enregistrement se termine à deux heures du matin cinq jours avant la sortie du film), et fait intervenir un thème d’inspiration plus nettement hollywoodienne (Star Wars est sorti quelques mois auparavant et John Williams est à son pinnacle), qui servira plus tard non seulement à la lignée de longs-métrages mais aussi à la nouvelle série télévisée Star Trek: The Next Generation.

Ce premier film surprend par son sérieux et sa lenteur, qui -- lorsqu’elle ne s’empêtre pas dans les lourdeurs du treknobabble -- atteint à des aspects presque contemplatifs. Sous l’influence de Goldsmith et du réalisateur Robert Wise (à qui l’on doit, presque trente ans plus tôt, Le Jour où la Terre s’arrêta, qui fit date dans l’histoire de la musique de film et de la science-fiction), la partition donne tout leur sens à de longues séquences d’images hallucinées, quasi-abstraites. On peut notamment y entendre un instrument unique : le Blaster Beam.

Cet instrument électronique de taille impressionnante (5 à 6 mètres) a été découvert et popularisé au début des années 1970 par le jeune musicien Craig Huxley qui venait lui-même de renoncer à une carrière d’acteur (enfant, il était d’ailleurs apparu dans... la série Star Trek). Mettant en œuvre une série de cordes tendues sous un panneau d’acier (plus tard remplacé par de l’aluminium), cet instrument produit du son par percussion ou vibrations diverses (on peut utiliser aussi bien un archet qu’une masse, et allonger ou réduire la zone de vibration), le son étant ensuite capté par une série de pickups électro-magnétiques. Le timbre résultant est grave, profond et riche, à la fois violent et grandiose ; parfaitement adapté à des mondes intersidéraux où se fondent musique et effets sonores. De fait, le Blaster Beam restera l’apanage de ce type d’écriture... jusqu’au début des années 1990, où il acquiert une réputation nouvelle et inattendue : en effet, naît sur Usenet une légende urbaine, selon laquelle cet instrument procurerait au public féminin des sensations, comment dire, particulièrement plaisantes. Where no man has gone before?