Daily Shaarli

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January 26, 2016

Esthétique du #fail

Début 2014, les internautes mélomanes se sont régalés de cette vidéo extraite d’un concert symphonique dans lequel -- au milieu d’un passage solennel -- l’un des trombonistes se retrouve à éternuer dans son instrument. Le Tiptree sneeze, du nom du village britannique où se produisait l’orchestre, est devenu l’un de ces memes (prononcer mîme), ces références souvent ironiques communes à une certaine génération d’internautes et sur lesquelles se construit, peu à peu, une culture transnationale. On peut à ce titre le rapprocher de nombreuses autres vidéos montrant des éternuements d’animaux : Loulou de Poméranie, bébé panda, bébé cheval et autres chatons -- le trombone étant manifestement lui aussi assimilé à un animal, probablement de l’ordre des pachydermes...

Cet engouement pour les éternuements témoigne aussi d’une désacralisation de la musique instrumentale (en l’occurrence savante), se rapprochant d’autres phénomènes que nous avions observés ici-même. Cette vision ironique (voire vengeresse) du monde légitimé se résume en général par un mot-clé : #fail (échec, parfois amplifié en"epic fail"). Le monde de la musique classique s’y prête extrêmement bien : ainsi de cette vidéo montrant le grand virtuose Yuri Bashmet penaud lorsqu’une corde de son alto saute en pleine phrase de concerto.

Autre exemple qui nous a été suggéré par un jeune contributeur : le concerto pour piano de Mozart joué par Maria Joao Pires à la fin des années 2000 avec l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, où la soliste se rend compte pendant l’introduction orchestrale qu’elle a en fait travaillé une autre œuvre que celle qui est jouée... et se résout à rejoindre quand même l’orchestre, à l’improviste et de mémoire, dans une interprétation irréprochable.

Telle est peut-être le véritable enjeu du #fail musical : inviter les musiciens légitimés à rejoindre la farandole irrévérencieuse des sujets de moqueries sur le Web, c’est aussi se réapproprier la musique elle-même, de façon moins intimidante et plus appropriée à notre époque en quête d’égalité planétaire.