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September 25, 2015

Musiques d’outre-Terre

La sonde Voyager, première du nom (lancée en 1977), recèle un disque de cuivre plaqué or qui contient de nombreuses données jugées représentatives de la Terre et de la civilisation humaine dans son ensemble : photographies, électro-encéphalogramme humain, cartographie spatiale, salutations enregistrées dans diverses langues. Son chapitre musical, quant à lui, fait apparaître quelques œuvres dites «classiques» (Bach, Beethoven) ainsi qu’un nuancier d’esprit «world music» (chants traditionnels indien, péruvien, pygmée, japonais) et de musiques populaires dites «actuelles» (blues, etc.).
Saluons au passage la cohérence de la maison de disques EMI, qui s’opposa à l’inclusion de la chanson «Here Comes The Sun» des Beatles, violation de copyright intolérable à ses yeux.

Autre anecdote, rapportée par Lewis Thomas : à Freeman Dyson qui lui suggérait de n’inclure que de la musique de Jean-Sébastien Bach, Carl Sagan aurait répondu «non, ça nous ferait passer pour des crâneurs».

Un quart de siècle plus tard, la sonde Beagle 2, lancée en 2003 par le Royaume Uni en direction de Mars, inclut d’autres œuvres, notamment du plasticien britannique Damien Hirst. Son arrivée sur la planète rouge a été annoncée par un signal sonore de neuf notes composé par le groupe de rock Blur, alors à la mode (malgré l’échec de la mission, il semble avéré que l’indicatif s’est effectivement fait entendre dans l’atmosphère martienne).

C’est en 2012 que la sonde Curiosity, depuis la surface de Mars, a diffusé une chanson en direction de la Terre : il s’agit de Reach For The Stars, du rappeur Will.I.Am.

Curiosity ne s’est pas arrêtée là : un an plus tard, elle a donné à entendre (en faisant vibrer son mécanisme d’analyse d’échantillons du sol) la mélodie «Happy Birthday To You», ce qui a conduit certains commentateurs à se demander si le groupe Warner allait la poursuivre pour représentation non-autorisée (les paroles n’ayant pas été incluses dans l’exécution, cela semble improbable -- du reste, nous savons aujourd’hui que ce soi-disant copyright n’était qu’un grossier attrape-nigauds).

De nombreuses autres musiques ont été jouées dans l’espace, pour le seul bénéfice des astronautes. Ainsi, dès 1965, Wally Schirra et Tom Stafford emmenaient à bord du vaisseau Gemini un harmonica et une clochette. Lors des missions Apollo, Jim Lovell raconte que les astronautes sont autorisés à emporter un baladeur et une cassette ; une des chansons alors jouées sera naturellement le «Fly Me To The Moon» chanté par Frank Sinatra. Sans oublier, bien sûr, la chanson entonnée par Gene Cernan lors d’une excursion sur la Lune.

Rien de tout cela ne règle le «mystère» du sifflement ouï en 1969 par l’équipage d’Apollo 10 en orbite du côté de la face cachée de la Lune, quelques mois avant la première véritable mission lunaire, sifflement que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier... de musique extra-terrestre.

La Bataille de Biber

Cette œuvre écrite en 1673 par le compositeur et violoniste tchèque-salzbourgeois est probablement la seule raison pour laquelle l’on se souvient encore de Heinrich Ignaz von Biber (1644 - 1704), musicien méconnu quoique d’une importance majeure sur la musique des XVIIIe et XIXe siècles : son influence sur Vivaldi, Vieuxtemps, Locatelli ou Paganini n’est pas à démontrer. (En d’autres termes, ne nous laissons distraire par oncques enfants-stars crétinisés : il y a juste un Biber.)

Dans la tradition des «Batailles» de la Renaissance (Janequin, 1555 ; Gabrieli, 1587 ; Byrd, 1591), l’auteur reconstitue ici les différentes étapes d’une bataille dans une orientation moins réaliste que grotesque (l’œuvre est dédiée à Bacchus et aurait été créée lors du carnaval). L’instrumentation, à ce titre, fait montre d’une grande inventivité : les cordes jouent «col legno», mais aussi en pizzicato frappé (connu aujourd’hui comme «pizz. Bartók») et même en glissant du papier de verre sous les cordes pour imiter une caisse claire.

Cependant, c’est dans la mise en musique du deuxième mouvement, «Die liederliche Gesellschaft von allerley Humor» (qu’on pourrait traduire par : la bande de fêtards à l’humour gras), que l’auteur donne la pleine mesure de son audace. Divisées à l’extrême (quatre parties réelles rien que pour les altos), les cordes entonnent huit chansons différentes, dans des métriques et des tonalités distinctes : le résultat n’a rien à envier aux partitions chaotiques d’un Kagel ou d’un Schnittke.

Le compositeur assume sans complexe ce pandémonium mélodique, et nous explique candidement que «hic dissonat ubique nam ebrii sic diversis Cantilensis clamare solent» (ici ça dissone de partout, parce que c’est ainsi que les ivrognes chantent leurs diverses chansons). Dont acte.