Au début des années 2000, un étudiant du Minnesota décide de partir à la découverte de la culture des Maasai, en particulier sous un angle ethnomusicologique. Les travaux de Hans Johnson (devenu depuis lors illustrateur et vidéaste) n’ont malheureusement débouché sur aucune publication scientifique rigoureuse ; il en reste, toutefois, quelques traces éloquentes sur le Web.
Les Maasai sont une tribu d’éleveurs nomades (environ neuf cent mille, même s’il n’existe aucun chiffre avéré) répartis sur un territoire allant du Kenya à la Tanzanie. Leur mode de vie est encore largement traditionnel, ce qui inclut malheureusement un rituel de mutilation génitale des femmes. Du fait des sécheresses induites par l’évolution du climat, mais aussi de l’épidémie de Sida qui s’est étendue à certaines régions rurales d’Afrique, la préservation de leur culture est devenue de plus en plus difficile. La musique (exclusivement vocale, à l’exception d’une corne d’antilope utilisée pour certaines occasions) et la danse jalonnent leur célébrations collectives.
Dans les quelques pages mises en ligne autrefois par Hans Johnson, l’on peut trouver quelques éléments généraux sur la danse, les paroles chantées, le rôle social de la musique et la structure des chants ; il n’est pas inintéressant de noter, par exemple, que la première section de chaque chant est dénommée namba, ce qui correspondrait en fait simplement au terme anglais number apporté par les colonisateurs occidentaux. Une autre page intéressante est consacrée au rythme de cette tradition musicale vocale, en général scandée par des motifs onomatopéiques sans signification lexicale, par exemple Laleyio qui donne son nom au site de Johnson.
Hans Johnson propose également sur son site (aujourd’hui disparu) un exemple sonore de chœur Maasai, ainsi qu’une plus longue compilation des chants qu’il a recueillis dans un disque manifestement essentiel. (Nous proposons de ces deux fichiers une copie archivée par nos soins.)
D’autres ressources en ligne datent également de cette même époque ; c’est le cas d’une page de l’auteur-reporter Jens Finke, légèrement antérieure à celle de Johnson, ou encore, du site très complet de Doris L. Payne, professeur de linguistique à l’université de l’Oregon. Le site anglophone de l’association Maasai a aussi été lancé entre 2006 et 2007. Quelques vidéos sur YouTube datent de la même période (on en trouve cependant d’autres plus récentes). Curieusement, le peuple Maasai semble être d’un certain intérêt pour des finlandais (on peut en juger par la page Wikipédia en finnois) ; le site d’un groupe vocal Maasai en témoigne (à ne pas confondre avec un film italien plus récent, du même nom). Si ce site semble s’inspirer en partie de celui de Hans Johnson, il propose toutefois un document vidéo que nous avons, là encore, archivé.
Dans le sillage du disque enregistré par Hans Johnson, on peut également mentionner un «Maasai music project» proposé entre 2010 et 2012 par une entrepreneuse New-Yorkaise, Natalie Dawson Hribko. On peut en trouver quelques extraits en ligne. Enfin, nous pouvons terminer ce parcours par une visite sur le site Mdundo, qui importe depuis quelques années en Afrique le modèle des plateformes de distribution musicale néo-capitalistes. On peut trouver sur Mdundo quelques musiciens (parfois intéressants) se revendiquant de l’héritage Maasai ; plusieurs d’entre eux semblent appartenir à la minorité chrétienne. Teintée de rap et de reggae, reposant (nécessairement) sur des moyens synthétiques, leur musique est (au même titre que la pop asiatique, avec laquelle l’on entend ici quelques convergences surprenantes) très fortement occidentalisée, et ne porte guère d’autres influences que les occasionnels marqueurs/clichés dont les blancs raffolent… en tant que signes de «pittoresque».
Dans une notice précédente, nous évoquions cet article du linguiste américain Mark Liberman qui, à son tour, s’amusait d’une vidéo où un musicien avait reproduit des fragments de discours d’un futur (quoiqu’improbable à l’époque) président des États-Unis.
Or, notre contributeur Gilles Esposito-Farese attire notre attention sur le fait qu’a existé, en langue française, un précédent remarquable (identifié grâce à l’aide de l’oumupien Martin Granger) : en 1986, le guitariste de jazz québecois René Lussier a ainsi imaginé, sous le titre Le Trésor de la langue, une performance musicale dans laquelle il mime, à la guitare, différents discours parlés (notamment de De Gaulle).
Au-delà des hauteurs et de l’intonation des phrases, c’est le rythme de l’élocution qui frappe, et inspire. Martin Granger, toujours lui, nous signale ainsi cette récente vidéo dans laquelle un jeune musicien irlandais de 24 ans, David Dockery, restitue à la batterie une scène mémorable de la série It’s Always Sunny in Philadelphia.
Toujours dans les percussions, mais dans un autre style, Jean-François Piette nous renvoie également à «cet exceptionnel compositeur qu'est Vinko Globokar» (fin de citation), dont une pièce intitulée Toucher s’inspire également de la voix parlée, en l’occurrence des fragments de Brecht traduits en français. Au-delà du rythme et de l’accentuation, on peut noter ici un travail relativement fin sur les timbres sonores, visant à reproduire les phonèmes de la voix parlée.
Ce qui nous amène, inévitablement, à évoquer enfin la pratique des tambours parlants, en Afrique de l’Ouest, où des instruments de percussion servent de véritable moyen de communication à distance, selon une démarche qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler (sous d’autres latitudes) celle des langues sifflées que nous avions également abordées. L’étude de ces "substituts de parole" (speech surrogate) est un champ en plein développement : citons un article de l’université du Ghana, et une thèse sur une tribu du Nigeria, parus respectivement en 2009 et 2010.
La page Wikipédia anglophone note par ailleurs que, si cette «langue» instrumentale n’est à l’origine qu’une pure transposition («transphonation» serait, ici encore, un terme plus approprié) de la langue parlée, la syntaxe en est toutefois modifiée pour une meilleure intelligibilité : ainsi les mots courts sont accompagnés de périphrases destinées à empêcher toute confusion possible : ainsi, le mot "lune" serait rendu par "lune qui regarde vers la Terre", le mot "guerre" par "guerre qui nous rend attentifs aux embuscades", et la phrase "viens à la maison" par… "Conduis tes pas sur le chemin d’où ils sont venus, plante tes pieds et tes jambes en contrebas, dans le village qui est le nôtre".
Ou comme le dirait un ingénieur, la redondance du signal minimise la perte d’informations.
Mais c’est sans doute moins poétique.