Dans «Rencontres du troisième type» (Close Encounters of the Third Kind, 1977), des extraterrestres entrent en communication avec l’espèce humaine au moyen de motifs mélodiques, à commencer par un groupe de cinq notes devenu emblématique de ce film.
(À ces cinq notes sont également associés des motifs lumineux et colorés, ainsi que des gestes de la main correspondant à la codification Curwen/Kodály que nous évoquons ici-même)
La «conversation» culmine en un mémorable duo hautbois/tuba basse dû à John Williams.
Que pouvons-nous inférer de ce motif de cinq notes ?
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Les aliens s’expriment en langage tempéré (preuve s’il en est de leur avance technologique, le monde occidental ayant mis plusieurs siècles à y parvenir) ;
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Les aliens attachent beaucoup d’importance à la tonalité majeure (il ne s’agit, après tout, que d’un accord parfait orné)... mais peu importe laquelle (le motif est donné dans de nombreuses transpositions : la M, sib M, do M etc.
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Le rythme, en revanche, semble d’une importance toute accessoire (il est d’ailleurs étrange de voir les «scientifiques» humains donner des instructions portant uniquement sur les rythmes et non les intervalles).
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Ces aliens sont de piètres mélodistes (même au regard de productions ultérieures telles que les indicatifs SNCF actuellement en vigueur) ; ligne brisée sans direction déterminée, sauts d’octave gratuits et désinence sur la quinte...
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Fins observateurs de la culture humaine et en particulier d’Amérique du Nord (leur destination élective), les aliens ont non seulement choisi pour s’exprimer l’un de ces jingles qui ponctuent notre vie quotidienne, mais le font entendre avec une sonorité qui rappelle à s’y méprendre l’orgue électromécanique «Hammond» dont les monodies simplistes jalonnent les matchs de hockey et de baseball.
Bien joué.
Identifiable dès ses deux premières notes (mi-fa grave, jouées au tuba basse), le thème musical du film Jaws ("Les dents de la mer", 1975) imprègne l’imaginaire musical occidental depuis quatre décennies — que l’on ait ou non vu le film en question.
Doit-on en conclure que ces deux notes sont en elles-mêmes chargées de sens, ou, plus probablement, qu’elles convoquent très efficacement les fragments narratifs (et partant, le sentiment de tension et de danger) auxquelles elles sont associées ? Il s’agit moins de "deux notes", comme ne l’ont que trop souligné les critiques, que d’un mouvement mélodique, ascendant et suspensif (l’appui est clairement sur la première note, ce qui exclut par exemple d’y voir une résolution sensible-tonique). Quant au choix d’une tessiture grave, il exprime moins une métaphore "sous-marine" (que l’on reste libre d’imaginer) que le rôle harmonique du motif (la broderie demeure irrésolue, et le demi-ton montre clairement qu’il s’agit d’une dominante dans un contexte mineur et non d’une tonique).
Quoi qu’il en soit, le fait que ce thème soit (pour un large public occidental) aisément identifiable au moyen de ses deux notes seulement (de même que les quatre notes "pom pom pom poom" évoquent grossièrement Beethoven), constitue un point notable, et peut-être inégalé, de notre imaginaire musical collectif.
Un éditorial diffusé en 2014 par la radio publique NPR résume une série d’articles passionnants (en anglais) dans lesquels un web-designer suédois, Martin Nilsson, s’est employé à explorer l'origine de ce motif mélodique/rythmique qui, dans les produits culturels occidentaux, constitue le signe par excellence de l'orientalité (dans un sens grossier, primaire et raciste). Un exemple canonique se trouve dans un film de kung-fu de 1974, mais on le trouve aussi textuellement dans plusieurs cartoons des années 1930 ; en fait les gens qui se sont penchés sur le sujet trouvent même des proto-exemples jusqu'en 1847 ! Un magnifique travail de recherche et d’analyse.