Cet article de la défunte revue universitaire Labyrinthe examine les lieux de convergence et de rencontre entre l’analyse littéraire et le domaine musical.
Ce tableau reprend la description des différentes tonalités (majeures et mineures) selon quatre théoriciens différents du XVIIIe siècle : Charpentier, Rameau, Mattheson et Schubart.
On peut lui adjoindre cet autre tableau dû à Kirnberger et portant, cette fois, sur les intervalles :
http://www.musebaroque.fr/MB_Archive/Documents/intervalles.htm
Au-delà de la part d’arbitraire (inévitable et quelque peu ridicule) attachée à cette symbolique, rappelons que s’agissant d’un tempérament encore largement inégal (et qui plus est, non encore standardisé), les différences d’un pays à l’autre (voire d’une région à l’autre) étaient à cette époque bien réelles et tout à fait perceptibles.
Au siècle suivant, quelques petits-maîtres tels Gevaert et Lavignac s’essaieront à établir leur propre nomenclature des tonalités et des instruments :
https://en.wikipedia.org/wiki/Albert_Lavignac
La Marseillaise demeure un objet musical intrigant. D’une qualité indiscutablement médiocre à tous points de vue (mélodique, harmonique, rythmique, poétique), il a pourtant frappé les esprit et assis sur les républiques françaises une domination rarement ébranlée -- écrasant sans difficulté les contestations abondantes et souvent étayées quant à sa paternité.
En 1863, le directeur du conservatoire de Bruxelles Édouard Fétis (fils du théoricien François-Joseph Fétis), annonce de façon tonitruante que la Marseillaise serait en fait l’œuvre d’un obscur musicien nommé Julien l’ainé, dit Navoigille. Tempête dans la presse ; le neveu de Rouget de Lisle contre-attaque notamment, l’année suivante, par une longue lettre publiée dans la revue «l’Intermédiaire des chercheurs et curieux» ou il fait le point, de façon détaillée, sur les nombreuses questions que soulèvent la paternité de la Marseillaise (en particulier sa mise en musique) ; s’il parvient, sans surprise, à la conclusion que son oncle est bien le seul auteur du chant de guerre, la longue liste de pièces à charge qu’il énumère n’en est pas moins troublante.
L’affaire ira jusque devant les tribunaux, quand soudain, fin novembre 1864, Fétis se rétracte et Rouget de Lisle se désiste. Sa lettre sera reprise (suivie d’une postface et de la rétractation de Fétis) dans «Le Ménestrel» quelques mois plus tard, que l’on peut consulter sur Gallica et en translittération automatisée.
Début 1865, deuxième coup de théâtre : Fétis revient à la charge avec une nouvelle hypothèse. Il adresse à la Société des antiquaires de Morinie, une communication selon laquelle ce serait en fait le maître de chapelle de l’église de Saint-Omer, un certain Jean-Baptiste-Lucien Grisons, qui aurait écrit dans un oratorio intitulé Esther l’air de la Marseillaise, bien avant la Révolution. (Cette missive est introuvable sur Gallica, mais dûment numérisée par Google et disponible en ligne grâce aux bibliothécaires américains.)
Mais… la moindre partition de cet oratorio semble introuvable ! Les antiquaires picards vont même jusqu’à procéder à des fouilles ; un manuscrit finit par surgir mais son authenticité est discutée ; Rouget de Lisle menace à nouveau d’un procès, et l’affaire finira par s’enliser dans des batailles d’avocats. Ce n’est qu’en 1886 qu’un certain Arthur Loth, ayant eu accès au manuscrit en question, y consacrera tout un ouvrage Le chant de la Marseillaise, son véritable auteur, passé relativement inaperçu de même que sa réédition en 1992 par son arrière-petit-fils sous le titre La Marseillaise : enquête sur son véritable auteur.
Il faut dire que les circonstances mêmes de l’apparition de la Marseillaise restent relativement floues, puisque Rouget de Lisle (l’oncle) lui-même ne signa pas tout de suite son air. On trouve même dans un journal de l’époque (La Chronique de Paris du 27 août 1792, malheureusement indisponible sur Gallica ou Internet Archive) :
Les paroles sont de M. Rougez, capitaine du génie, en garnison à Huningue. L’air a été composé par Allemand pour l’armée de Biron.
Au-delà même des questions de paternité, celle de la première édition imprimée de la Marseillaise est également soulevée. L’on peut ainsi noter l’apparition précoce d’une édition illustrée par le caricaturiste britannique Richard Newton, artiste engagé (qui prendra notamment position en faveur de l’abolition de l’esclavage). Cette édition publiée en Grande-Bretagne pourrait bien être la toute première publication imprimée de la Marseillaise, avant même son apparition en France ; c’est en tout cas la thèse avancée dans un article de 1955 signé par un conservateur du British Museum.
Ce dernier article n’est accessible en ligne, quoiqu’uniquement au prix d’un contournement de la censure imposée par le régime de notre actuelle République Populaire de France. C’est donc à plus d’un titre que la Marseillaise n’en finit pas de révéler, depuis plus de deux siècles, les innombrables trahisons de l’idéal républicain.
Publié en 1938, un regard historique et idéologique détaillé et essentiel sur les deux principaux hymnes (auxquels l’on pourrait ajouter la Carmagnole et le Ça ira) qui présidèrent aux luttes sociales et politiques dans la France de 1789 jusqu’au Front Populaire.
Saviez-vous que l’Internationale était à l’origine chantée sur la musique de la Marseillaise ? Qu’il fallut dix-sept ans pour qu’elle eût une autre mélodie -- un an après la mort de son parolier ? Qu’il en exista même d’autres mises en musique ? Que sa partition fut imprimée sans prénom pour le compositeur, dans l’espoir de protéger celui-ci de représailles ? Que la cinquième note de la mélodie n’est pas un mi mais un fa ?
On trouvera également dans cet article l’émouvante transcription, dans un français approximatif, de la lettre qui mit fin au conflit entre les deux frères se disputant la paternité de la musique de l’Internationale, conflit savamment instrumentalisé par divers intérêts politiques et commerciaux.
Un siècle plus tard, l’Internationale était encore allègrement employée comme instrument de chantage par des aigrefins.
Depuis quelques mois, cet air s’est aujourd’hui définitivement élevé dans le domaine public. (Encore que l’on puisse toujours se faire casser la gueule par la flicaille, à l’ancienne, pour l’avoir sifflé. Mais il faut bien préserver quelques traditions, que diable.)
Il rejoint ainsi, pour le meilleur et pour le pire, la Marseillaise -- quoique de façon bien plus respectueuse de la démocratie, puisque cette dernière sert encore de prétexte à d’iniques bâillonnements de la liberté d’expression.
Un éditorial diffusé en 2014 par la radio publique NPR résume une série d’articles passionnants (en anglais) dans lesquels un web-designer suédois, Martin Nilsson, s’est employé à explorer l'origine de ce motif mélodique/rythmique qui, dans les produits culturels occidentaux, constitue le signe par excellence de l'orientalité (dans un sens grossier, primaire et raciste). Un exemple canonique se trouve dans un film de kung-fu de 1974, mais on le trouve aussi textuellement dans plusieurs cartoons des années 1930 ; en fait les gens qui se sont penchés sur le sujet trouvent même des proto-exemples jusqu'en 1847 ! Un magnifique travail de recherche et d’analyse.