Créé en 2016, le «Festival des cultures LGBT» a choisi, non sans sagesse, d’adopter le pluriel pour ne pas sembler postuler l’existence d’une culture unitaire qui rassemblerait, subsumerait, résumerait (et, pour finir, caricaturerait) l’ensemble des personnes homosexuelles, bi-sexuelles et inter- ou trans-genre. (Ce petit jeu sémiologique autour du pluriel n’est d’ailleurs pas sans rappeler la grotesque valse-hésitation qui conduisit à rebaptiser la station de radio «France Musique» en «France Musiques» pendant quelques années, avant de revenir au singulier... en attendant la prochaine lubie à la mode.)
Et pourtant : l’existence de menaces affectant l’ensemble de ces personnes (à commencer par l’épidémie de SIDA et la dénégation de certains droits civiques) a bel et bien suscité un mouvement de solidarité et l’apparition de ce que l’on peut désigner globalement comme une «communauté LGBT», même si cette dernière est faite de nombreux regroupements et courants divers et, parfois, rivaux. Dans le domaine musical, l’avènement de clubs et discothêques puis de larges manifestations, l’existence de vedettes pop assumant leur homosexualité (Elton John en est un exemple, que nous évoquions récemment), et la montée en puissance d’une esthétique queer, ont nettement dessiné un panorama musical associant les identités LGBT à des musiques «branchées» (dans tous les sens du terme : c’est-à-dire, notamment, amplifiées et électroniques).
Qu’en est-il, pour autant, de la musique savante et instrumentale ? À partir des années 1990, des regroupements se forment autour des pratiques musicales dites «classiques», à commencer par le London Gay Symphony Orchestra qui, rassemblant des musiciens de haut niveau, entame dès 1996 une trajectoire remarquable et (encore aujourd’hui) couronnée de succès, au point de susciter deux sous-ensembles autonomes : les London Gay Symphonic Winds et le London Gay Big Band. Dans son sillage se formeront d’autres orchestres, en Angleterre (le Birmingham Gay Symphony Orchestra ouvert à tous -- peut-être en mémoire de l’orchestre de Portsmouth, expérience marquante en la matière), mais aussi en Allemagne (le Rainbow Symphony de Cologne, le Concentus Alius de Berlin), au Canada (le Counterpoint Community Orchestra de Toronto), et aux États-Unis (le Queer Urban Orchestra de New-York City, les ensembles symphoniques, jazz et harmonies de Lakeside Pride à Chicago, le Bay Area Rainbow Symphony à San Francisco, le Atlanta Philharmonic Orchestra et le Minnesota Philharmonic Orchestra), et en Australie (le Melbourne Rainbow Band).
La France, pour sa part, est représentée par diverses associations, notamment son propre Rainbow Symphony Orchestra depuis 2002, et plus récemment les Concerts Gais. De fait, les orchestres LGBT semblent se développer plus aisément dans les pays anglophones, où ils sont notamment fédérés par la Lesbian and Gay Band Association. Ceci pour ne rien dire des groupes vocaux LGBT, qui sont encore plus nombreux ; l’on se contentera de mentionner ici la fédération américaine GALA et son homologue européenne Legato, qui propose notamment le festival Various Voices tous les quatre ans. La musique ne semble, en revanche, pas représentée au Festival International du Théâtre Gay de Dublin.
L’opéra est un autre champ où s’expriment des problématiques LGBT. Là encore, les pays anglo-saxons sont en première ligne : dès 1995 est créé (à Houston) un opéra sur Harvey Milk, puis peu après l’opéra Patience and Sarah à New York. C’est également à New York que sera commandé, dans la décennie suivante, l’opéra Brokeback Mountain (finalement créé à Madrid) ; ou, encore, de nouveau à Houston, l’opéra en un acte Edalat Square portant sur les exécutions d’homosexuels en Iran. Une autre création importante sera celle de Fellow Travelers en 2016 à Cincinatti. Le Royaume-Uni n’est pas en reste (à titre symbolique, l’opéra royal a d’ailleurs arboré un drapeau arc-en-ciel en 2016) ; on y trouve notamment la compagnie Secret Opera qui se plaît par exemple à réécrire Carmen... en n’y mettant que des rôles masculins (CarMen).
Un point commun aux orchestres LGBT est de ne pas prétendre exclure les interprètes cisgenre-hétérosexuels, mais de se proclamer ouverts à «toutes» les orientations et identités (les chœurs et ensembles vocaux LGBT, en revanche, sont plus exclusifs) . Ce qui ne fait qu’exprimer, en creux, le climat de discrimination existant d’ordinaire dans le milieu musical -- de fait, les travaux de Claudia Goldin et Cecilia Rouse, dès la fin des années 1990, et ceux plus récents d’Amy Louise Phelps, ont montré combien les jugements sexistes (conscients ou non) peuvent sous-tendre le milieu des orchestres symphoniques.
Le mouvement LGBT cherche également à s’ancrer dans un héritage historique, notamment en s’intéressant à l’orientation sexuelle des musiciens et artistes du passé (laquelle constitue, depuis plusieurs décennies déjà, un sujet d’étude prisé des universitaires). Les archives de la défunte encyclopédie glbtq en témoignent ; ainsi, surtout, que cette chronologie de la vie musicale LGBT au Royaume-Uni, de la Renaissance à nos jours, proposée par l’Archive LBGT UK. D’une rigueur pas toujours universitaire, cette page n’en demeure pas moins particulièrement intéressante ; il n’est que trop souhaitable que voie le jour un équivalent de ce travail à l’échelle européenne, voire mondiale.
Début 2015, dix ans après son ouverture, le nom de domaine ourapo.net a disparu du Web sans (presque) laisser de trace. Heureusement, la page vers laquelle il renvoyait demeure, elle, toujours accessible : il s’agit en fait d’un «audioblog» hébergé par Arte Radio (où officie son co-fondateur Thomas Baumgartner).
OuRaPo, c’est l’Ouvroir de Radiophonie Potentielle (à ne pas confondre avec l’OuTraPo, ayant trait à la Tragicomédie), regroupement de quelques expériences sonores effectuées entre 2004 et 2009, qui explorent cette zone grise ouverte par les expérimentations de la musique concrète dans la deuxième moitié du XXe siècle, de Pierre Henry (né en 1927) à Revolution 9 des Beatles (1968).
La proximité historique et l’adéquation stylistique des Oulipiens envers le médium radiophonique n’est plus à démontrer, comme en témoignent de (trop) rares archives incluses dans la playlist de l’Ourapo, notamment une brève piste enregistrée par Luc Étienne dans les années 1970 (à confronter avec ses autres travaux en la matière).
Les travaux expérimentaux les plus frappants restent sans doute ceux de Georges Perec (volontiers rebaptisé Play-Rec par l’Ourapo) à partir de la fin des années 1960, notamment pour la radio allemande puis française, et que nous avons nous-même tenté de recenser.
La nécessité d’un OuRaPo semble donc relever de l’évidence, et il faut souhaiter que son activité reprenne un jour prochain sous une forme ou une autre. Pendant ce temps, l’OuSonmupo (Ouvroir du Sonore et du Musical Potentiels) a fêté ses huit ans ; on est cependant sans nouvelles de l’OuSoPo (Ouvroir de Sonorités Potentielles) animé de 2005 à 2011 en marge du festival brestois «Longueur d’ondes». Le site de l’OuSoPo reste, toutefois, accessible à l’heure actuelle :
http://ousopo.org/
Robert Rapilly (de la liste Oulipo) nous signale ce festival réalisé en Lorraine par l’association Vu d’Un Œuf. L’édition 2014 invitait notamment Tom Johnson et Vinko Globokar.